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L'assurance maladie, le vilain petit virus qui mine la santé de notre économie
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Bonnes feuilles

Lourdement déficitaire, obèse, inutilement compliqué, traditionaliste et ingérable, l'État providence est à bout de souffle. Dans "La mort de l'État-providence", Arnaud Robinet et Jacques Bichot démontrent qu'il faut le remplacer de vraies assurances sociales. Extrait (2/2).

Sortir du fatras de recettes actuellement destinées à l’assurance maladie

Les recettes de l’assurance maladie en 2012 se sont élevées à 155 milliards d’euros, soit 5,5 milliards de moins qu’il n’aurait fallu pour payer ses dépenses. Ces 155 milliards ne proviennent des cotisations stricto sensu qu’à hauteur de 72,9 milliards, soit une petite moitié. S’ajoute à ces « vraies » cotisations 1,1 milliard de « cotisations prises en charge par l’État » : c’est une petite partie des exonérations de charges patronales, la partie principale étant compensée par des affectations partielles de recettes fiscales (hors CSG), qui s’élèvent à 16,6 milliards. La CSG fournit 55 milliards. Hormis 2,2 milliards de recettes fiscales diverses, dont la plus importante est la taxe sur les médicaments (1 milliard), le reste est constitué principalement de transferts. Parmi ceux-ci on notera 0,9 milliard net en provenance de la CNSA, résultante de transferts plus importants dans les deux sens entre la CNAM et la CNSA, qui illustrent la complication de la tuyauterie consécutive à la création de cette amorce de branche dépendance, alias « cinquième branche ».

Ce fatras provient de la politique qui est celle des pouvoirs publics depuis longtemps : utiliser le « système D » pour trouver des recettes permettant de couvrir une partie importante des dépenses, et financer le solde par recours à l’emprunt. Cela est typique de l’État providence à la française : les recettes étant considérées comme fiscales, les pouvoirs publics ne cherchent pas à les définir en conformité avec une logique d’échange mutualiste, ils appliquent tout simplement le principe de base des fiscalistes « réalistes » : prendre l’argent là où il y en a et où la résistance au prélèvement n’est pas trop forte, que ce soit de la part des contribuables ou de celle des élus qui les représentent. La probabilité pour qu’une telle politique aboutisse à un prélèvement (ou à un ensemble de prélèvements) simple et logique (cohérent avec l’analyse économique des fonctions remplies par l’assurance maladie) est faible. Comment aller vers un prélèvement simple qui corresponde à la logique assurantielle mutualiste (je paye pour être couvert, en acceptant par fraternité de payer plus si je gagne plus) ? Nous indiquons ci-dessous quelques pistes pour aller dans ce sens.

Premièrement, les recettes de l’assurance maladie vont, si nous sommes écoutés, être constituées pour près de 50 % par l’apport de la Caisse nationale d’investissement jeunesse et par celui des retraités, lui-même provenant en fin de compte majoritairement des revenus professionnels des actifs via les cotisations vieillesse. Il ne s’agit donc pas de prélever sur les travailleurs, sous forme de cotisation maladie, environ 160 milliards, mais seulement quelque 80 milliards. Cela montre que les cotisations maladie actuelles sont presque suffisantes ; seule une fraction de la CSG devra être convertie en cotisation. Le financement des soins dont bénéficient les travailleurs par une cotisation sur leurs revenus professionnels n’est donc pas un problème ; le vrai problème est celui du financement de l’investissement dans la jeunesse et des pensions.

Deuxièmement, les cotisations maladie pourraient être étendues aux revenus de capitaux, l’opération s’effectuant en même temps que la fusion des cotisations patronales et salariales préconisée plus haut (voir chapitre III). Les diverses taxes sur les revenus de capitaux affectées à la sécurité sociale (principalement le « forfait social » et le « prélèvement social sur les revenus du capital ») seraient remplacées par cette cotisation maladie assise sur lesdits revenus. En effet, autant il serait anormal d’alimenter l’assurance vieillesse à l’aide d’un prélèvement portant sur d’autres revenus que ceux du travail, autant il est logique de financer l’assurance maladie par un prélèvement sur l’ensemble des revenus : c’est l’esprit du principe mutualiste. Il n’existe aucune raison valable pour qu’un ménage qui est riche du fait de ses revenus financiers cotise moins à l’assurance maladie qu’un autre ménage, titulaire de revenus égaux, mais de composition différente, dominée par les revenus du travail.

À ce stade il convient d’apporter une importante précision concernant les revenus de capitaux. Le fisc français est nominaliste : il ne tient pas compte de l’inflation, qui peut rendre le revenu réel bien différent du revenu nominal. Par exemple, un ménage détenant des obligations ou des comptes sur livret qui rapportent 2 % d’intérêt (nominal) annuel ne perçoit pas le moindre revenu réel si le taux d’inflation est lui-même égal à 2 %. Pour les placements dont le principal a une valeur fixe en euros, le revenu réel est égal au revenu nominal diminué du taux de la hausse des prix à la consommation. Ce revenu réel, et non le revenu nominal, qui ne signifie rien, est la seule base acceptable pour le calcul des cotisations maladie. Le calcul de l’impôt sur le revenu devrait évidemment ne prendre en compte, lui aussi, que le revenu réel. Le mensonge nominaliste est comparable à celui que nous avons dénoncé concernant la distribution de faux droits ; le respect de la réalité devrait être une règle d’or pour les pouvoirs publics.

Troisièmement, il faut poser et résoudre le problème des conjoints sans activité professionnelle, actuellement couverts sans cotisation (droit dérivé de l’assurance du conjoint exerçant une activité). Dans une perspective de couverture maladie universelle, ce problème ne se pose pas vraiment ; mais il en va tout autrement dès lors que l’on passe à une véritable assurance maladie, dans laquelle ce sont les cotisations qui ouvrent le droit à la prise en charge des soins. Deux cas doivent être distingués, selon que le conjoint réputé « inactif » est ou non un parent « actif au foyer », c’est-à-dire ayant interrompu son activité professionnelle pour s’occuper des enfants membres de sa famille.

Une activité parentale limitant fortement le recours aux modes de garde pris en charge par la branche famille pourrait donner lieu à transfert de la branche famille à l’assurance maladie, financé par la contribution jeunesse au même titre que le transfert relatif à la couverture maladie des enfants. En revanche, on voit mal ce qui pourrait justifier la gratuité de l’assurance maladie d’une personne qui passe ses journées à bridger, jouer au tennis, aller au cinéma, courir les expositions et faire du shopping. Il faudra donc faire des choix. Si le ménage pratique la communauté des acquêts, on peut envisager de considérer que, le revenu étant commun aux deux conjoints, ceux-ci cotisent conjointement en versant un certain pourcentage du revenu professionnel unique. Dans le cas contraire, sans doute faudrait-il envisager une cotisation forfaitaire pour le conjoint inactif.

(...)

Les prélèvements qui ouvrent des droits en proportion de leur importance ne réduisent pas la propension à travailler ; en revanche, lorsque les droits ouverts sont les mêmes quelle que soit la contribution fournie, il est à craindre que le désir de travailler plus pour gagner plus soit freiné par la confiscation (le prélèvement sans contrepartie) d’une fraction du gain professionnel. Cela est vrai pour la redevance à verser aux aînés (la cotisation vieillesse), qui ne donnera plus aucun droit à pension future si nos recommandations sont suivies d’effet – et cela plaide en faveur d’un taux de redevance raisonnable. C’est vrai également pour la cotisation d’assurance maladie. Il peut s’agir d’une personne qui hésite à travailler plus, et donc à cotiser plus sans pour autant en retirer davantage de fruits en matière d’assurance maladie de base. Il peut aussi s’agir d’un ménage où l’un des conjoints, ayant arrêté ou réduit son activité professionnelle pour s’occuper des enfants, se pose la question de revenir ou non sur le marché du travail.

Le problème n’est pas seulement qualitatif, mais aussi quantitatif. Si le taux de cotisation maladie est modeste, son effet négatif sur l’incitation à travailler sera lui aussi modeste. C’est une des raisons pour lesquelles nous préconisons que les prélèvements finançant la couverture maladie des enfants soient inclus dans les contributions jeunesse, qui procurent des droits à pension. Mais cela ne concerne qu’une faible partie du budget de l’assurance maladie. Pour la partie qui correspond aux retraités, le financement préconisé est inclus dans la cotisation vieillesse, qui ne rapportera rien d’autre que le sentiment d’avoir fait son devoir. Et pour la partie qui sert à couvrir les adultes, travailler plus (et donc cotiser plus), que ce soit sous la forme d’une reprise de travail pour le conjoint ayant arrêté ou d’un investissement plus important dans une activité professionnelle préexistante, la cotisation maladie représente bel et bien une diminution de l’incitation à travailler. Sous quelque angle que l’on examine le problème, les restrictions à la contributivité pèsent négativement sur la propension à travailler. La solidarité, le principe de l’assurance mutualiste ont un coût en termes de croissance économique. Cela n’empêche pas que la solidarité soit une bonne chose, mais rappelons-nous la sagesse populaire : il ne faut pas abuser des bonnes choses.

Dans ce but, sans doute faut-il faire une place suffisante, plus importante qu’aujourd’hui, à l’assurance complémentaire, qui, elle, ne doit pas être soumise au principe mutualiste. Si l’assurance maladie « pour tous » reste un peu spartiate par rapport aux desiderata de la population, l’incitation à travailler plus pour s’offrir une bonne complémentaire sera forte. Il est également concevable d’appliquer la technique dite nudge. Ce mot anglais qui signifie « pousser du coude » est employé pour désigner les méthodes qui amènent en douceur les comportements à s’infléchir dans un certain sens. Le nudge est très utilisé en marketing : tout responsable de grande surface sait que les ventes dépendent de l’endroit où les marchandises sont placées dans les rayons ; les têtes de gondole, par exemple, débitent davantage que les linéaires. Il ne faut pas être trop manipulateur, mais laisser par exemple aux assurances complémentaires le soin de prendre encharge certains biens ou services dont l’attractivité est forte bien que leur utilité médicale soit modeste serait, nous semble-t-il, de bonne guerre – pardon, de bon nudge – pour agir positivement sur l’incitation à travailler, contrebalancer en partie le frein que constitue une assurance maladie solidaire.

Extrait de  "La mort de l'État-providence : vive les assurances sociales !", Arnaud Robinet et Jacques Bichot (Les Belles Lettres éditions), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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