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L'annonce du cancer : l'étrange banalité du mal
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

xx Extrait du livre "Le Petit Soldat" de François-Régis Delaunay, publié aux éditions Persée (1/2).

François-Régis Delaunay

François-Régis Delaunay

François-Régis Delaunay, chirurgien-dentiste libéral, a cessé son activité médicale en 2014. Il a également mené durant toute sa vie professionnelle plusieurs activités entrepreneuriales. Il a ensuite consacré tout son temps à sa vie familiale et à son épouse. 

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Isabelle est maintenant en possession des éléments de sa vie à venir. Je file voir mon assistante, le téléphone en main, et lui demande de trouver une excuse pour renvoyer mon prochain patient à un autre rendez-vous. Par chance, c’est une consultation peu urgente. Je me cale dans mon fauteuil et suis pendu aux paroles d’Isabelle.

Incroyable, elle connaît son gynécologue depuis plus de vingt ans, et c’est en sanglotant qu’il s’adresse à elle. Elle me dit même qu’une larme est peut-être venue s’attarder sur sa joue. Il lui annonce donc ce qu’elle savait déjà. Elle est atteinte d’un cancer du sein. Mais en prime, et l’origine de son faciès déconfit trouve sans doute là ses racines, il lui donne des précisions sur la nature du cancer diagnostiqué :

« HER2+++ 4,5 mm»

Quelques lettres, chiffres et signes qui signent une des formes les plus agressives de cette pathologie.

D’abord parce que ce cancer est +++ et que, de ce fait, il est la forme redoutable car très métastatique, mais ensuite parce que sa taille de 4,5 mm est très importante et permet de penser qu’il est installé depuis pas mal de temps.

Il est vrai que l’année précédente, lors de son contrôle annuel, les radiologues avaient eu quelques hésitations, finalement balayées par un nouvel examen le lendemain. Il est probable que le processus était déjà enclenché.

Le visage meurtri de son médecin se transforma progressivement en masque de combattant. Il fallait prendre le taureau par les cornes. Agir vite.

Dans le feu de cette action subite, Isabelle oublie mes précieux conseils et, d’ailleurs, il n’est pas exclu qu’elle n’ait, à ce moment, pas voie au chapitre.

Pas de tergiversations, le temps du flottement rugueux de l’annonce passé, le médecin va droit au but.

- Il n’y a pas d’hésitation, je vous dirige tout de suite vers le meilleur de tous, celui vers qui j’enverrais ma femme si cela lui arrivait.

Il prononce un nom compliqué qu’Isabelle ne mémorise pas et décroche instantanément son téléphone. Evidemment, impossible de joindre cette huile aussi facilement. Toutefois, le circuit des petits messages laissés aux bonnes personnes avec les bons codes fonctionne à merveille, et quelques minutes plus tard, un rendez-vous totalement improbable est proposé à Isabelle pour le soir même.

A ce moment, elle prend conscience qu’elle a rendez-vous avec cet OVNI dont je lui avais parlé et qui m’avait fait une telle impression pendant la nuit. Krishna Bentley CLOUGH…

C’était donc cela, ce nom que nous n’arrivions pas à retenir…

Aussitôt, un sourire plein de reconnaissance et d’espoir envahit son visage et elle conte à son médecin ma renversante rencontre télévisuelle de la nuit. Bien entendu, celui ci ne peut que confirmer le bienfondé de ces sensations et je sens dans la voix d’Isabelle tout le poids de cette bonne nouvelle dans le cortège des annonces pessimistes précédentes.

Je partage avec une joie soudaine ce hasard invraisemblable qui balaye pour un temps les nuages sombres accumulés depuis quelques minutes. Doit-on ou peut-on établir un lien entre ces évènements ? Où est le hasard ? Où se niche la nécessité ?

Le reste de l’après-midi passe finalement assez vite. Isabelle et moi sommes, à distance, dans les mêmes cheminements où les hypothèses et les plans se font et se défont au rythme des secondes.

En début de soirée, Isabelle se rend donc à l’Institut du Sein ( cerise sur le gâteau, en anglais le Paris Breast Center), entité qui regroupe de très grands spécialistes de la pathologie, dissidents de structures plus importantes et médiatisées, dans lesquelles ils n’avaient probablement pas atteint le graal espéré.

C’est là qu’elle doit rencontrer le petit homme vert. J’avais tant parlé à Isabelle de cet individu que lorsqu’elle se trouva en face de lui, elle ne fut pas surprise. Sauf par son regard, la solidité de son ton, son sourire, aussi.

Grand, la silhouette élancée, le geste sûr, on n’a pas trop de mal à regarder cette personne là. Mais, bien entendu, ce n’est pas le sujet… Je n’étais pas présent à ce rendez-vous mais l’imprégnation que j’avais acquise de ce personnage m’a permis d’imaginer tous les moments de cette consultation.

Il confirme d’abord que le diagnostic n’est pas celui dont on peut rêver, mais il rajoute tout de suite que cette forme compliquée bénéficie en revanche d’un traitement souvent très efficace, à base d’Herceptin, en complément, bien entendu, des voies plus classiques. Son plan de traitement est établi en quelques instants. Il va diriger Isabelle vers son confrère radiothérapeute Yves OTMEZGUINE, qui va aussi être l’homme de la chimiothérapie.

La première balle qui sera tirée sur l’ennemi.

Krishna, lui, n’interviendra que plus tard, les mains fleuries de bistouris et de fil à suturer, et avant qu’Yves ne revienne sur le devant de la scène, pour la radiothérapie. On a l’impression qu’une pièce de théâtre se met en place, avec une mise en scène réglée au micron, ne laissant aucune place à l’improvisation et dont les acteurs semblent parfaitement rodés à la version interactive. Le patient est dans un circuit dont il est un membre agissant, volontaire et vivant. Il doit comprendre ce qui va lui arriver et prendre un peu son destin en main, en accompagnant chacune des étapes programmées de sa propre impulsion.

La mobilisation générale a pris corps. Les soldats sont appelés au front. Armés jusqu’aux dents, ils sont prêts à mettre toutes leurs forces dans l’assaut, avec bonne humeur et optimisme.

Premier temps, un état des lieux, pour connaître le degré d’infiltration de l’ennemi.

Deuxième étape, la guerre chimique, et sa chimiothérapie redoutée, mais essentielle.

Troisième voie, la guerre de terrain, avec la sortie des sabres et autres armes coupantes ou tranchantes.

Quatrième palier, la phase nucléaire et le bombardement terminal du champ de bataille pour anéantir le plus efficacement possible l’ennemi. Tout cela prendra du temps. Krishna annonce déjà que l’année qui se profile sera dédiée à ce combat.

L’imprimante crache un chapelet d’ordonnances et de lettres que Krishna Bentley relit, signe une à une et confie à Isabelle avec un commentaire pour chacune d’elles.

Il y a là un mot pour le gynécologue, un pour Yves l’oncologue, une lettre pour le médecin traitant, une ordonnance pour un scanner complet, des pieds à la tête, une prescription pour un bilan sanguin exhaustif….

Isabelle peut enfin se diriger vers la gare Saint-Lazare et prendre un train pour la Normandie. Deux heures plus tard, elle est dans mes bras et nous sentons les vifs picots d’émotion qui transpercent nos vêtements et vont réveiller chez l’autre les bouleversements contenus depuis ces heures qui nous ont paru interminables.

C’est presque une banalité, de nos jours. Nous sommes tous, un jour ou un autre, confrontés à cette annonce dans notre famille ou dans un cercle proche. Mais, nous avons beau être prévenus, savoir que cette rencontre peut arriver, lorsqu’elle frappe à la porte, c’est un véritable éboulement de nos certitudes qui s’immisce en nous.

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