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Justice et maintien de l’ordre : le en-même-temps schizophrène et de plus en plus dangereux du quinquennat Macron
©Sameer Al-Doumy / AFP

Jeu dangereux

Entre la dureté confinant à la brutalité assumée par le préfet de police de Paris Didier Lallement dans sa stratégie de maintien de l’ordre, et l’angélisme virant au laxisme dans la politique pénale mise en oeuvre par la ministre de la justice Nicole Belloubet, le gouvernement prend le risque de cumuler les colères… et de les faire basculer dans la rage.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico: Pensez-vous que la police française est devenue trop violente lors des manifestations ? Le préfet de police Didier Lallement devrait-il faire preuve de moins de fermeté ? 

Guillaume Jeanson: Si vous faites référence à la dernière manifestation, certaines critiques semblent en effet le supposer. Vos collègues de Mediapart se seraient procurés plusieurs notes de la gendarmerie nationale et de CRS qui questionnent la légalité des ordres donnés par le préfet de police de Paris à l’occasion de la manifestation à laquelle vous faites référence. Seraient en effet évoqués « des emplois disproportionnés de la force », ce qui irait dans le sens de votre question, mais aussi, « Des pratiques contraires à la législation ainsi qu’à la réglementation ». Bien sûr, la préfecture de police de Paris a tenté de se justifier par un communiqué en arguant que les forces de l'ordre ont dû intervenir « ponctuellement au cours de la marche pour mettre fin à des dégradations et à des tentatives de départs en cortèges sauvages de quelques groupes de plusieurs centaines de personnes ». Un groupe de plusieurs centaines de manifestants aurait selon elle notamment refusé de respecter un appel à la dispersion et forcé un barrage. Malgré le soutien en apparence indéfectible que le préfet Lallement semble bénéficier du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, ce dernier a toutefois demandé un rapport à la préfecture de Police sur ce qui s'est passé en marge de cette marche. Celui qui, encore le 19 février dernier assurait qu’« Il n’y a pas de problème Lallement », pourrait être amené à réviser son jugement à l’aune des conclusions de ce rapport.

Vous vous interrogez sur le juste degré de fermeté. Je pense qu’il faut du pragmatisme et se garder de trop grandes généralités. Lors de leur gestion du mouvement des gilets jaunes, les forces de l’ordre ont en effet subi une double crtique en un sens contradictoire : On leur a la fois reproché d’être brutaux et de laisser faire. L'Inspection générale de la police nationale aurait été saisie 313 fois pour des suspicions de violences policières et certaines vidéos amateurs, montrant des membres des forces de l’ordre brutalisant, apparemment sans nécessité, des manifestants, ont suscité de légitimes interrogations. A l’inverse, comme je vous le disais, il leur a aussi été reproché légitimement de ne pas réussir à prévenir suffisamment les violences et à contenir les troubles à l’ordre public : les tags sur l’Arc de Triomphe le 1er décembre 2018 ou le pillage des commerces sur les Champs-Élysées le 16 mars 2019 ont ainsi marqué durablement les esprits… Plus ou moins de fermeté ? Ce qu’il faut c’est une doctrine de l’emploi assurant un meilleur ciblage. On le voit, la réponse ne saurait donc être binaire.

Xavier Raufer: Mme Taubira rêvait de vider les prisons ? Mme Belloubet le fait. Car en réalité, sous son allure de brave juriste égarée dans un monde brutal, l'actuelle Garde des Sceaux impose une loi plus toxique encore que tout ce qui s'élabora de fumeux-laxiste sous le quinquennat Hollande. Loi démontrant l'absolu mépris de l'équipe Macron pour les victimes sans nombre du crime au quotidien, autant qu'une rage proprement libérale-libertaire de vider les prisons au plus vite et le plus radicalement possible.

Les faits. Dite "de programmation et de réforme pour la justice", la loi 2019-2222 du 23 mars 2019 entre en vigueur le 1e mars 2020. Or cette loi fait tout pour empêcher le juge d'envoyer les malfaiteurs en prison et de facto, dans ce registre là, outrepasse tout ce qu'entreprit jadis la laxiste Mme Taubira.

Démontrons-le.

Code pénal, article 132-19, désormais : "toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut qu'être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate". Ce, quand les peines d'un mois ou moins de prison sont désormais interdites, et que celles de moins de six mois sont forcément "aménagées".

En prime, "le tribunal doit spécialement motiver sa décision au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale". Voilà le juge déjà submergé, désormais systématiquement contraint à d'infinies enquêtes, confronté à une montagne de rapports et autres paperasses à remplir, bientôt poussé à renoncer et renvoyer le malfaiteur - parfois, le criminel - dans la nature, libre d'agresser, de voler - ou pire.

L'article 132-25 en rajoute "pour toute peine inférieure ou égale à un an d'emprisonnement" : la juridiction de jugement doit "ordonner que la peine sera exécutée en totalité sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur". Ce bien sûr "sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné" - situation que devront vérifier et contrôler des magistrats et autres personnels de justice accablés de travail, suivant chacun cent dossiers alors que la norme est de douze : mission bien sûr impossible.

Enfin la ruse, destinée à tromper l'opinion par un simulacre de justice, des "peines de prison ferme" mais "sans mandat de dépôt" où le condamné rentre chez lui, mains dans les poches, après une sanction parfaitement platonique.

On voit que la peur de la prison - cruciale pour prévenir le crime - ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir pour des criminel, désormais à peu près libres d'agir à leur guise. D'autant que, pour certaines infractions type cambriolages, les taux d'élucidation sont si bas que l'impunité des bandits y est garantie à 90%. On risque plus en traversant la rue...


Concernant la justice, quels risques à mettre en place une justice plus laxiste ? Ne risque-t-on pas de renforcer le sentiment d'injustice et par là-même, ne risque-t-on pas d'accentuer la crise de la démocratie actuelle ?  

Guillaume Jeanson: Vous questionnez les risques. Il me semble que le risque principal d’une justice laxiste est qu’elle soit à terme « ubérisée » par ceux qui lui préféreront leur vengeance privée. Une vengeance qui leur semblera alors d’autant plus juste et nécessaire qu’ils auront perdu confiance en la réponse bien souvent uniquement théorique que prétend apporter l’institution judiciaire. Mais une vengeance dont les excès immanquables risquent aussi de poser un jour les germes du chaos. Avant d’en arriver là, observons toutefois que le gouvernement sait réclamer à la justice, lorsqu’il se pense en péril, de la fermeté. Il n’est en effet pas contestable que lors de la répression du mouvement des gilets jaunes, les parquets ont reçu des instructions de fermeté, qu’ils ont appliqué ces instructions et que, notamment, lors des audiences, les réquisitions ont pu être inhabituellement sévères. Si nombre de ces réquisitions n’ont finalement guère été suivies par les juges du siège, cela tient moins à un éventuel « laxisme » des juges à titre individuel, qu’aux contraintes du système judiciaire tel qu’il a été construit depuis maintenant des décennies. Jean-François Thony, le président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a pu ainsi insister légitimement sur «l'injonction contradictoire de la justice à qui notre législateur demande depuis plusieurs années, quelle que soit la couleur du gouvernement, d'éviter les peines d'emprisonnement - une nouvelle loi interdit les courtes peines - et à qui on reproche dans le même temps de n'en pas mettre assez. ».

Ce qui dérange en réalité, c’est principalement ce sentiment que l’Etat est faible avec les délinquants professionnels, mais fort avec les citoyens qui le contestent. Car si vous ne trouverez pas de laxisme dans la politique pénale du gouvernement à l’encontre des gilets jaunes, vous en trouverez en revanche davantage dans les conséquences dramatiques de certaines de ses décisions. Je veux parler notamment ici de son reniement de son engagement à construire 15.000 places de prison sur le quinquennat. Un reniement qui conduit directement à ce que des dizaines de milliers de peines ne soient encore que très tardivement exécutées. Ce qui retire toute crédibilité à l’institution judiciaire et génère inévitablement un sentiment d’impunité. Le sentiment d’injustice découle de ce deux poids deux mesures entre des consignes brutales et de fermeté envers ce qui contestent le pouvoir en place et une légèreté incompréhensible devant l’aggravation de la situation sécuritaire en France.

Xavier Raufer: De Taubira en Belloubet, une constante dans la justice selon Hollande-Macron : pleine sollicitude pour les malfaiteurs, indifférence d'airain pour les victimes sans nombre du crime. Un chiffre. En 2019, la France compte plus de 70 000 victimes de "braquages à domicile", lors desquels les bandits cambriolent des logements en présence même d'habitants terrifiés ou molestés. Plus de 700 victimes par jour, méprisées et délaissées par la caste au pouvoir. Victimes risquant en prime le retour de bandits systématiquement élargis par une justice, aujourd'hui bien plus péniblement "en perte de repères" que les pires racailles.

On sait l'issue de ces situations échappant à tout contrôle. Un jour, la part la plus menacée, la plus malmenée du peuple constate l'abolition du pacte fondateur de l'État-nation, par lequel ce dernier confie à l'État "le monopole de la violence légitime". Nait alors l'idée de se faire justice soi-même - situation effrayante et brutale qui accable à présent les favelas du Brésil ou des townships d'Afrique du sud.

Et quand on en arrive à ce point-là, nul Lallement ou autre freluquet pseudo-caudillo, n'y peut plus rien. 

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