Le pape François marie 20 couples "d’aujourd’hui” : entre sortie de l’hypocrisie et respect des dogmes, jusqu’où l’Eglise peut-elle aller sans diluer son message ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Pape François.
Le Pape François.
©REUTERS/Dylan Martinez

Les temps changent

Le pape François a marié ce dimanche 14 septembre 20 couples censés être représentatifs de notre époque. Ce geste intervient trois semaines avant le synode qui se tiendra du 5 au 19 octobre sur les enjeux autour de la famille et du mariage.

Philippe  Levillain

Philippe Levillain

Philippe Levillain est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris X-Nanterre, membre du Comité pontifical des Sciences.

 

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Atlantico : Fait assez rare pour être mentionné, ce dimanche 14 septembre le pape François a célébré le mariage de vingt couples dans la basilique Saint-Pierre au Vatican. Ces derniers ont été sélectionné de telle sorte qu'ils soient représentatifs de notre époque : certains ont eu des enfants hors mariage, vivaient déjà  sous le même toit, ou bien se sont rencontrés dans leur paroisse. Quel message l'Eglise cherche-t-elle à faire passer au travers de cette cérémonie ?

Philippe Levillain : Le message est très subtil, à l'image du pape François. Rappelons d'emblée que jamais le Saint-Siège ne prendra une décision autorisant le mariage de concubins non baptisés. Cet échantillon sociologique fait la démarche de sanctifier son union, dans le sens du texte de Vatican II, qui proclame la sainteté du mariage. Au travers de cette cérémonie, le souverain pontife rappelle qu'il n'est jamais trop tard "pour bien faire". La situation antérieure de ces couples n'est pas prise en compte, dans la mesure où ce qui compte, c'est leur démarche. Le fait que la cérémonie se déroule en la Basilique Saint-Pierre procède du principe très astucieux de l'analogie. Par ce geste il invite les prêtres à faire comme lui, c’est-à-dire à ne pas hésiter à marier des personnes sur le tard, et ayant déjà des enfants, et il encourage également ces dernières à demander sous la houlette d'un prêtre la caution de l'Eglise.

Ceci dit, la chose n'est pas nouvelle. De manière générale l'Eglise de France pose peu de questions sur le passé des jeunes mariés, y compris sur la date de leur baptême, même si en principe un certificat est exigé. Cette habitude qui a été prise de "fermer les yeux" correspond à la demande de Jean-Paul II et de Benoît XVI, dans la logique de Vatican II.

Le synode qui se tiendra du 5 au 19 octobre doit rassembler 253 évêques, délégués et experts, qui débattront de la famille et du mariage religieux. L'interdiction pour les personnes divorcées de recevoir la communion devrait notamment être au cœur des débats. L'Eglise peut-elle vraiment se moderniser conformément aux vœux d'une grande partie de la société ? Jusqu'où peut-elle aller sans se dénaturer ?

Le mariage étant un sacrement, il est indissoluble. La question se pose de savoir si on peut l'adapter, par exemple en considérant que le divorcé victime de l'adultère peut se remarier. Il me semble que le pape François lui-même n'envisage pas de revenir sur cette interdiction. Par contre le synode fait aussi partie des subtilités du pape François : le problème est mis sur le tapis, dans l'idée qu'il faut le résoudre. Cela ne va pas forcément déboucher sur des résolutions, mais peut inciter à des pratiques et à des expériences.

De même, il ne faut pas s'attendre à des changements considérables sur la question du célibat des prêtres : Benoît XVI a rappelé que le célibat est un don de Dieu, position que partage le pape François. On pourrait imaginer une prêtrise à deux vitesses, avec d'un côté des prêtres mariés qui n'accèderaient jamais à l'épiscopat, et de l'autre ceux qui prononceraient le vœu de chasteté et pourraient ainsi accéder aux plus hautes fonctions. Cette idée a été reprise par l'Eglise orthodoxe, mais rencontre peu d'échos chez les Catholiques.

Aujourd'hui l'Eglise traites les problèmes contemporains au coup par coup : elle n'est plus dans la condamnation mais dans la considération. Cela signifie qu'elle est prête à accueillir certaines personnes  en son sein, à condition que ces dernières fassent elles aussi un effort.

A l'occasion d'un enterrement dans le Lot et Garonne, un prêtre a choqué l'assemblée en critiquant ouvertement le caractère "non catholique" d'un poème et de la chanson "Mon Vieux" de Daniel Guichard (voir ici). Un certain nombre de catholiques, qu'ils soient ecclésiastes ou simples fidèles, rejettent-ils toute évolution dans le dogme et la liturgie ? A se montrer trop progressiste sur certaines questions, l'Eglise prend-elle des risques vis-à-vis de ceux qui forment son socle le plus solide ?

Le cas que vous mentionnez est extrême. Depuis très longtemps lors de funérailles, outre les témoignages de la famille et des proches, un certain goût pour les textes profanes accompagnant le défunt dans son chemin vers le cimetière s'est imposé. Le père de Certeau, jésuite de son état, s'est bien fait enterrer dans les années 80 dans la chapelle de son ordre à Sèvres, à côté d'une personne qui était sa concubine, et a fait entende à la fin de la messe "Non, je ne regrette rien" d'Edith Piaf. On peut dire de ce prêtre qu'il représente la pointe extrême d'un certain extrémisme en termes d'observance de la liturgie. A mon sens l'intrusion du profane dans le sacré fait partie de la modernité de l'Eglise. Le risque qui existe, c'est celui d'une radicalisation devant certaines pratiques qui contrasteraient trop avec le religieux.

Tous les catholiques n'aspirent pas au changement, notamment dans la génération montante des fidèles et des prêtres. Il n'y a qu'à voir la Manif pour Tous, qui rassemble des catégories de Français très hétérogènes. Je ne pense pas que l'Eglise puisse, au travers d'un Vatican III, changer radicalement les choses. Le pape François, en bon jésuite, rappelle les règles, mais montre qu'en pratique on peut faire autrement. Il tient un discours de tolérance à l'égard des homosexuels, par exemple, sans pour autant laisser espérer un texte autorisant le mariage homosexuel. La révolution se produira lorsque vingt mariages homosexuels seront célébrés dans la basilique Saint-Pierre de Rome !

L'Eglise est-elle cette vieille institution inapte au changement, ou au contraire peut-elle nous surprendre ?

L'Eglise peut surprendre, car son temps n'est pas celui de l'homme. Elle a toujours été très lente. On note un certain nombre d'évolutions depuis le XIXe siècle, aussi bien sur la femme que sur l'homosexualité ou le divorce, bien qu'il ne fasse pas de doute que l'Eglise d'aujourd'hui est encore pétrie par le christianisme des années préconciliaires. Or le pape François est le premier de la période post conciliaire à ne pas avoir connu Vatican II. Par conséquent il l'interprète un peu plus à sa façon.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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