Jeunes ou vieux, qui sont les sacrifiés du Covid ? Et si la pseudo guerre des générations masquait surtout les failles de la gouvernance française...<!-- --> | Atlantico.fr
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Des jeunes manifestent à Paris le 20 janvier 2021.
Des jeunes manifestent à Paris le 20 janvier 2021.
©Alain JOCARD / AFP

Faillite

Au-delà de l'épidémie de Covid-19, les jeunes souffrent depuis des années de nombreuses difficultés, tandis que le niveau de vie des plus âgés, comparativement, s'améliore. Une situation due en grande partie à l'absence de croissance en France depuis dix ans.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Les jeunes sont sacrifiés économiquement et psychologiquement, les vieux sont sacrifiés humainement en raison de notre incapacité à enrayer l’épidémie ou à gérer dignement la situation dans les Ehpad ou hôpitaux. Le point commun de cette crise générationnelle est-elle la faillite des politiques publiques ? Cette faillite touche-t-elle tous les secteurs ?

Alexandre Delaigue : Il y a deux dimensions à ce sujet. Regarde-t-on le moment présent uniquement, ou une tendance un peu plus longue – les quinze dernières années ? Sur la nature de l'épidémie, nous sommes victime des circonstances. Il n'y a pas de pays qui ait eu un fonctionnement différent : face à la pandémie, le nombre d'options était relativement limité. De ce point de vue, ce n'est pas un aspect « conflit de génération » qui intervient, mais une épidémie lors de laquelle les attitudes des pays n'ont pas été déterminées par les classes d'âge. Un certain nombre de pays ont mis en place la stratégie Zéro Covid, d'autres – notamment les pays européens – sont dans cette situation de semi-confinement et de restrictions sans fin, mais ces choix ne sont pas liés à des structures de population.

Mais si on regarde les choses sur le plus long terme, il est clair qu'indépendamment du fait que la situation pour les jeunes est assez difficile maintenant à cause de l'épidémie, cette situation n'est pas bonne depuis longtemps. Tout une série de choses qui étaient acquises par les générations précédentes sont plus difficiles, en particulier l'accès à la propriété. Du point de vue de l'emploi, les difficultés sont aussi plus grandes. Tout cela est caractéristique d'une situation très dure pour la jeunesse aujourd'hui.

Dans le même temps, comparativement, la situation des personnes âgées peut apparaître comme meilleure depuis les dix dernières années. Pour une raison simple : un système de retraite a vocation à fournir aux gens un revenu fixe qui fait l'objet d'un certain nombre de mécanismes d'indexation mais est relativement inerte. Cela nous amène à une situation dans laquelle les jeunes font face à des difficultés structurelles, tandis que les personnes âgées bénéficient d'une certaine inertie de leurs revenus. Or, dans un contexte de faible croissance, on se retrouve vite dans un jeu à somme nulle, c'est-à-dire une situation dans laquelle si certains s'en sortent un peu, d'autres vont dans le même temps avoir des difficultés. Si le gâteau a une taille fixe, une part même modérée pour une personne va être quelque chose en moins pour les autres.

Source des tableaux : David Cayla sur Twitter

Si on regarde la situation des personnes âgées de plus de 65 ans, on ne peut pas dire qu'elle soit exceptionnelle. Il y a énormément de petites retraites et ce que l'on observe comme augmentation est juste la conséquence du fait que les femmes qui arrivent maintenant en retraite avaient des niveaux de qualification plus élevés que celles des générations précédentes, qui étaient moins nombreuses sur le marché du travail. C'est un effet mécanique qui donne l'impression que la situation des retraités s'améliore, car dans une situation où la taille du gâteau ne grossit pas, cette augmentation donne l'impression de se faire au détriment de la situation des plus jeunes.

Sommes nous enfermés dans une spirale de croissance faible en raison de mauvais choix macro-économiques depuis 40 ans ?

Sans aller si loin, si l'on regarde les vingt dernières années, on observe une véritable coupure aux alentours de 2010. Entre 2000 et 2008, l'Europe est à peu près sur la même trajectoire de croissance que les Etats-Unis. Et en 2008, on subit nous aussi la crise. Le problème, c'est qu'après 2010, la situation s'est considérablement dégradée. Nous avons eu depuis cette année une croissance de quasiment zéro en Europe, alors qu'elle est repartie aux Etats-Unis. Si on se penche sur les erreurs commises, il est impossible de ne pas parler des décisions des ministres de la zone euro, qui ont abouti à des politiques d'austérité beaucoup plus nettes qu'aux Etats-Unis et qui ont causé beaucoup d'incertitudes en Europe, ce qui a pesé sur l'économie.

Y-a-t-il un risque que ces erreurs se répètent aujourd'hui ?

Très clairement, on voit une différence d'attitude entre l'Europe et les Etats-Unis. Ces derniers sont dans une logique de plans gigantesques de relance de l'économie, alors qu'en Europe, on revoit la même chose qu'en 2010 : on soutient l'activité au moment de la crise, mais dès qu'elle est terminée, le raisonnement passe à « oulala, il faut faire de la consolidation budgétaire, se débarrasser de la dette, la dette, la dette ». C'est exactement ce qu'il s'est passé après la crise de 2008. Les Etats-Unis, au début de cette crise, avaient plus au moins fait les mêmes erreurs au début, mais ensuite ont changé de braquet pour avoir une politique économique – en particulier sous Donald Trump – bien plus expansionniste.

En Europe, nous n'avons jamais connu ce redémarrage qu'on eu les Etats-Unis. Et actuellement, le discours est que dès que ça ira mieux – voire un peu avant – on arrêtera le soutien à l'économie et il faudra de la consolidation. C'est le signe d'une Europe qui n'a pas appris de ses erreurs alors qu'aux Etats-Unis, il y a un consensus entre Républicains et Démocrates sur la nécessité d'une grande relance de l'économie sur les deux ou trois prochaines années.

Que faire pour retrouver une croissance protectrice, notamment pour les jeunes, en France et en Europe ?

Ce n'est pas si facile pour plusieurs raisons. D'abord, les sociétés qui sont déjà riches ont tendance à avoir une moins forte croissance, à cause du vieillissement de la population, du fait qu'on soit prospère, etc. Il ne faut pas espérer croître comme lors des Trente glorieuses. Mais ce n'est pas une raison pour rajouter une série d'erreurs là-dessus. Dans un contexte d'une croissance faible, de base, il faut éviter les erreurs de gestion macro-économiques et en particulier ne pas soutenir suffisamment l'économie lorsqu'elle en a besoin et se focaliser exclusivement sur la consolidation budgétaire dont les bénéficies sont difficiles à observer.

La question de la croissance, c'est aussi une affaire d'attitude générale par rapport à l'innovation, au changement, et cela n'est pas quelque chose que l'on trouve en Europe. Il manque une culture de la croissance économique qui ne se limite pas à des aspects de politique fiscale mais qui soit vraiment une attitude positive vis-à-vis de l'innovation technologique.

Ces problèmes sont-ils plus européens que français ?

La France est un peu au milieu du gué. Si on voulait chercher un pays en grandes difficultés, on prendrait plutôt l'Italie qui a vraiment connu une croissance zéro depuis 2000, alors qu'en France on est plutôt à 1% par an. Par contre, il y a d'autres pays dans la zone euro qui se portent globalement mieux et ont mieux passé les deux dernières décennies, notamment l'Allemagne sur les dix dernières années. La France se trouve dans le ventre mou de l'Union européenne. Il faut dire que nous n'avons pas un système politique qui fonctionne bien : on le voit avec la gestion du Covid. On a l'impression que quel que soit le sujet, le système est grippé de partout, qu'il y a des points de blocage partout.

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