Jeff Bezos démissionne de la présidence d’Amazon mais vous êtes loin d’en avoir fini avec lui<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeff Bezos nouvelles activités Amazon défis Blue Origin Washington Post
Jeff Bezos nouvelles activités Amazon défis Blue Origin Washington Post
©Jim WATSON / AFP

Nouveaux défis

L’homme le plus riche de la planète n’entend pas prendre sa retraite mais se consacrer à ses passions, au premier rang desquelles l’espace et le journalisme. Attachez vos ceintures.

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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Le patron d’Amazon, Jeff Bezos a indiqué vouloir quitter son poste de CEO pour se consacrer à ses passions :  l’environnement, l’espace, l’éducation et le journalisme. Ce type décision est-il conforme à la personnalité de Jeff Bezos et plus largement à ceux des grandes fortunes de la tech ?

Pierre Bentata : C’est en tout cas conforme à l’archétype d’un grand entrepreneur. Comme il le dit lui-même, il observe qu’Amazon a passé un cap, un plafond de verre, notamment grâce aux décisions de confinements et de fermetures. Aujourd’hui, une grande partie de la consommation est prête à consommer en ligne. Et le géant du retail en ligne, c’est Amazon. Il y aura des innovations mais le business model fonctionne et c’est un succès.  Et ce qu’on voit de la part de ces entrepreneurs marshalliens, ou schumpetériens, qui ont une volonté de mener des projets gigantesques. Il a mené Amazon là où il voulait aller, donc ça va bien se passer. Alors que dans le même temps il a des activités soit où il est très critiqué, soit qui ne décollent pas. Cela doit le frustrer ou du moins représenter un vrai défi.

Sur quoi se portent les critiques qui lui sont faites ?

Elles émanent notamment de Républicains, concernant la presse. A l’époque où les médias sont de plus en plus concentrés, que Jeff Bezos avec son image et son poids financier contrôle le Washington Post, l’un des journaux les plus lus aux Etats-Unis, cela a été très critiqué. Avec un changement de président, il se dit qu’il a une possibilité d’améliorer son image et de faire des changements au Washington Post. Mais là où le défi est le plus important, c’est sur le volet philanthropique, sur le Day One Fund. Celui-ci vise à promouvoir l’éducation dans les quartiers défavorisés. Lorsque l’on voit comment il a été visionnaire sur le retail et que son idéologie est très proche des milieux libertariens, on peut s’interroger. Même si sa vision est philanthropique elle est hors Etat. Elle ouvre la voie à plusieurs projets notamment de privatisation complète de l’éducation. Il a probablement compris qu’il y a un problème d’adéquation des compétences, de défiance vis-à-vis des systèmes d’éducation, des prix explosifs dans l’enseignement supérieur, etc. et qu’il y a des modèles alternatifs qui existent. Avec son pouvoir et son idéologie, il doit pouvoir changer les choses comme a pu le faire Xavier Niel, mais de manière plus importante, au niveau de l’école primaire.

En se consacrant à ces domaines, pourrait-il leur apporter autant que ce qu’il a apporté au marché du commerce en ligne ? Cela ne risque-t-il pas de créer un « Far West », notamment avec son projet Blue Origin ?

Une activité entrepreneuriale est toujours risquée et incertaine. Mais avec Blue Origin il relève le défi de rattraper le retard qu’il a sur SpaceX et Elon Musk. C’est l’affrontement de deux entrepreneurs avec des logiques très différentes dans un secteur très innovant. Chez Bezos c’est de la « vieille économie » avec un contrôle très hiérarchique, une centralisation forte et une vraie observation de la productivité qu’il n’y a pas chez Elon Musk qui peut sembler plus anarchiste. Jeff Bezos comprend parfaitement comment fonctionne les nouvelles technologies et comment on les adapte. Et l’industrie spatiale c’est déjà une sorte de Far West. Il y a des questions juridiques qui se posent sur la propriété, le droit du premier occupant, etc. Derrière la collecte de données des satellites de la Défense américaine, il y a trois groupes privés dont Palantir. L’arrivée d’un géant comme Bezos ne va faire qu’accélérer le processus dans une course déjà devenue privée. Les Etats ont un retard irrattrapable.

Que penser de la volonté du patron d’Amazon d’investir dans un organisme pour la protection de l’environnement comme il compte le faire ?

Cela peut surprendre un peu si l’on ne s’arrête qu’à l’image de l’entreprise qui ne se préoccupe absolument pas de l’environnement. Mais ça ne peut plus être le cas car il y a une vraie conscience environnementale qui s’est développée. Donc son action est compréhensible en termes d’image : la sienne et celle de son empire. Dans son dernier discours il déplore que Amazon soit considérée comme très puissante et efficace mais pas aimée en tant que marque. Il y a une sorte de greenwashing ou en tout cas de soft power. Mais on a besoin de fonds donc tant mieux s’il le fait. S’il est capable d’agir pour l’environnement comme Bill Gates l’a fait pour la famine, c’est très bien.

Ce qu’il veut c’est imiter Bill Gates et séparer son entreprise originale de son image propre. Mais l’époque a changé depuis Bill Gates. Il y a un risque que l’on continue de considérer que c’est toujours l’empire Amazon qui s’étend à travers Jeff Bezos. Il faut qu’il puisse envoyer des signaux très forts s’il veut changer cette image. C’est un vrai défi stratégique.

Doit-on craindre une « amazonisation » de ces secteurs ?Quelles peuvent être les dérives de la leur prise en main par Jeff Bezos ?

C’est possible. Mais cela est très bien dans des systèmes protégés car cela les oblige à innover. Si l’éducation ne s’adapte pas c’est parce que les clients sont captifs. Une alternative va forcer à faire évoluer les choses. Je ne souhaite pas que l’éducation devienne entièrement privée ou subisse une « amazonisation », mais cela permettra d’ouvrir les yeux sur ce qui dysfonctionne (coût, reproduction sociale, etc.) et forcer le système à se réformer.

Concernant les dérives, dans les médias, il n’y a pas beaucoup plus de risques qu’actuellement : principalement, que la ligne éditoriale ne soit jamais défavorable aux activités annexes du patron. Sur l’éducation, le risque principal d’une éducation 100 % privée, c’est d’avoir une formation objectivée qui prépare les gens à acquérir la logique des Gafa. On sur-standardise un modèle de société qui n’est pas en adéquation avec la société actuelle. Mais il y a déjà une standardisation avec l’éducation fournie par l’état.

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