Je suis (un) Guignol : défendre les marionnettes de Canal Plus ou la croisade des bien-pensants<!-- --> | Atlantico.fr
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Le fait que tout le monde défende les Guignols de l'info prouve qu'ils ne dérangent plus vraiment.
Le fait que tout le monde défende les Guignols de l'info prouve qu'ils ne dérangent plus vraiment.
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Ni pertinents, ni impertinents

Vincent Bolloré aurait eu l'intention de supprimer les Guignols de l'Info. Face à cette éventualité, les réactions ne se sont pas faites attendre : pétition de soutien à l'émission satirique, mobilisation de la classe politique... Depuis, l'actionnaire principal de Canal+ a garanti le maintien du programme, qui est loin d'être irrévérencieux de nos jours.

Gilles  Vervisch

Gilles Vervisch

Gilles Vervisch est agrégé de philosophie et enseigne au lycée Paul-Empile-Victor à Osny. Il est par ailleurs écrivain et animateur radio.

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Atlantico : Les Guignols de l'Info, crée en 1988, sont-ils toujours aussi représentatif d'une impertinence dans la sphère humoristique aujourd'hui ? Pourquoi ?

Gilles Vervisch : Je ne suis pas certain qu'un programme ainsi qui s'installe dans la durée puisse se poursuivre ad vita eternam. La première décision de Vincent Bolloré reposait peut-être sur cette idée. 

Etant donné que l'on s'habitue à voir et entendre les Guignols, y compris ceux qu'ils critiquent, on entre dans la société du spectacle. C'est la case dérision du PAF. Il s'agissait sûrement à l'origine de remplacer cette émission par un programme plus impertinent, la volonté d'un renouvellement. 

En s'installant dans la durée, on leur délègue la possibilité de la provocation et au bout d'un moment cela ne choque plus grand monde. Les Guignols de l'info se sont institutionnalisés, avec un programme régulier accompagné d'une audience suivie... Pour être revendicatif ou vindicatif, il faut être un peu à la marge. Critiquer le système tout en faisant du système paraît difficile ! Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas mettre de la provocation dans l'espace public, au contraire, mais un programme plus neuf et même plus naïf serait le bienvenu.

D'ailleurs, sans s'en rendre compte, ils peuvent être victimes d'une auto censure à force.

Si le Grand Journal est en baisse dans les audiences, Les Guignols de l'info fonctionne toujours. Avec l'idée de supprimer ce programme, sur laquelle est revenue depuis Vincent Bolloré, s'agissait-il d'une forme de censure morale comme beaucoup semblaient le penser ?

Ce n'était pas une censure morale ni politique. Il ne fallait pas y voir un complot ! Puisque cette émission est institutionnalisée, elle ne met pas grand monde en danger. D'ailleurs l'histoire a montré que l'émission pouvait plutôt rendre sympathiques les personnages politiques. Par exemple, on a vaguement dit que les Guignols avaient aidé à l'élection de Jacques Chirac en 1995. En termes de morale et de politique, je ne vois pas bien pour qui l'émission pourrait être néfaste. Cela sert les intérêts de tous les partis, l'émission tape sur tout le monde. Sarkozy est critiqué, Hollande aussi. 

D'après moi, ce qui guide ou pas le maintien de l'émission relève d'intérêts économiques, la question de l'audience peut-être... En émettant l'idée de remplacer cette émission, il était peut-être question de tenter de relancer l'audience du Grand Journal notamment.

Je ne suis pas certain que Vincent Bolloré soit conduit par des convictions morales en la matière, les exigences économiques sont bien plus essentielles.  Quand un programme s'use, c'est l'histoire de la télé que de le remplacer. Il ne faut pas oublier que Les Guignols de l'Info existent depuis plus de 25 ans.

Comment expliquer une telle mobilisation à l'annonce d'une possible fin de l'émission, des menaces de boycott de Canal+ jusqu'à la défense du programme par Manuel Valls ?

Tout d'abord, Canal+ est une chaine privée, Vincent Bolloré fait ce qu'il veut. Il s'agit de la décision de l'actionnaire principal d'une chaine cherchant à gagner le maximum d'argent, décision qui n'a rien à voir avec le monde politique. Je crois que cette mobilisation est à mettre en lien avec la liberté d'expression, la censure, les limites du rire… On mélange un peu tout avec en fond de toile les évènements de janvier concernant Charlie Hebdo. Il est rassurant de voir en France que l'on se mobiliser en faveur de la liberté d'expression, mais je ne sais pas si les limites de la liberté d'expression en France se définissent par la présence ou pas des Guignols à la télévision…

Le programme étant institutionnalisé, tout le monde monte au créneau. Et parce que c'est institutionnalisé, ce n'est plus provocateur. Le fait que tout le monde défende l'émission prouve que cela ne dérange plus vraiment.

Qui sont les nouveaux provocateurs irrévérencieux aujourd'hui ?

Peut-être Gaspard Proust, et encore… On a l'impression que le seul objectif de beaucoup d'humoristes est d'intégrer le système et il sera difficile dans ce contexte d'être vraiment irrévérencieux. Le problème est que l'humour est devenu moyen d'arriver à la télé pour ensuite arriver au cinéma. Tout le monde vise la place au musée. Je pense qu'il n'est plus possible d'être irrévérencieux à la télévision, peut-être sur internet...

On fait de la provoc' pour faire de la provoc' mais au fond il n'y a pas grand-chose. Le but est de faire le "buzz" et l'humour aujourd'hui fait partie de la société du spectacle. Le système intègre désormais sa propre critique et il est difficile d'aller plus loin que ce que l'on autorise.

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