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J’ACCUSE... (l’Arabie saoudite et sa lecture wahhabite de l’islam)
©Reuters

Tribune

Certes, aujourd’hui, l’Arabie saoudite tente de redorer son image en modulant son langage afin de paraître plus présentable. Mais le royaume saoudien, dictature théocratique comme l’atteste le dernier rapport accablant d’Amnesty International , est guidé avant tout par des considérations géostratégiques.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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« Je ne crois pas que l’attentat […] ait été perpétré par Ben Laden ou les musulmans. […] je pense que c’était un complot. Les évènements actuels découlent d’une attaque plus ancienne. Ils sont la continuation de la tromperie juive et sioniste qui infiltre les États-Unis […] Je suis étonné que les États-Unis permettent à ces frères de singes et de porcs de les corrompre. (Les Juifs) […] sont le plus méprisable des peuples à fouler la terre du pied ; ils sont les vers de ce monde. Tous en eux est mauvais. Pourquoi ? Parce que ce sont des agresseurs, des trompeurs et des comploteurs. […] les juifs ne respectent pas Jésus, le fils de Marie. […] Les Juifs considèrent que Jésus est né de la prostitution alors qu’il est le plus noble prophète de Dieu, et sa mère, que la paix soit sur elle, est pure[1]. »

Ces mots sont ceux du prêcheur saoudien Abdallah Ben Matrouk Al-Haddad, officiant au ministère des Affaires islamiques. Il les a prononcés, à la télévision, le 22 janvier 2002, dans le cadre d’un débat consacré aux attentats du 11 septembre 2001.Sont-ils accidentels ? Du tout, carilsreflètent, à la vérité,la forte prégnance, dans la société saoudienne, des discours stigmatisant l’altérité juive. Somme toute, nuanceraient certains, n’est-ce pas là une situation que l’on retrouve dans bien d’autres pays arabes où, depuis la création de l’État d’Israël, s’est développé, par solidarité avec le peuple palestinien sous occupation sioniste[2], un sentiment anti-israélien et, par glissement, anti-juif, parfois virulent ? Certes. Néanmoins, il nous faut bien admettrele rôle majeur joué par l’Arabie saouditedans la diffusion de cette vision caricaturale, voire diabolisée du Juif dans le monde musulman. Dès lors, comment expliquer cette singularité saoudienne ? Par trois facteurs essentiellement. Le premier est de nature théologique. En effet, il est de notoriété publique que l’islam wahhabite est religion d’État dans cette monarchie. Or, le wahhabisme, du fait de son approche ultra-littéraliste des sources canoniques de l’islam, est le principal pourvoyeur d’intégrisme musulman dans le monde. Son sectarisme[3], voire son fanatisme doctrinal doublé d’une intolérance religieuse paroxystique, est tel que lors de son apparition, au XVIIIe siècle, les autorités ottomanes l’assimilèrent à une « perfidie[4] » contraire aux fondements de l’islam :

« Ce qui s’est produit (en Arabie) […] est fait de honte et d’infamie ; ce qui est arrivé aux peuples des deux excellentes villes (la Mecque et Médine) […] est marqué de perfidie et de destruction du fait de la secte (des wahhabites) […]. Ce qui s’y est manifesté (le wahhabisme)est de la trahison et de l’offense envers (l’islam) […] »

Plus grave, et là est le cœur du problème, l’intransigeantMohammed ibn Abdel-Wahhab, fondateur de ce courant-là, s’est inspiré, sans recul aucun, des travaux du célèbre apologiste Ibn Taymiyya (1263 – 1328) qui, dans l’une de ses œuvres, fulmine contre les adeptes de la religion de Moïse, considérés comme un peuple « ingrat » et « orgueilleux ». Et c’est là la moindre des incriminations que l’on trouve dans les écrits du dévot ! Ne nous étonnons pas, dans ces conditions, si des tenants du wahhabismeen sont arrivés à traiter, durant leur prédication, les Juifs de « porcs » et de « singes »; cesprêcheurss’appuyant sur les versets 65 et 66 de la Sourate 2, La Vache,interprétés de façon littérale et, partant, extravagante:

« Vous n’avez certainement pas oublié ceux d’entre vous qui ont transgressé le Sabbat et auxquels Nous avons dit : "Soyez transformés en singes répugnants !" Ce fut là une sanction qui servira d’exemple […] à leurs descendants[5] […] »

Réactivanttoute la doxa des apologistes rigoristesd’antan - Ibn Taymiyyaet ses disciples -, pour le moins défavorable au judaïsme, le wahhabisme a donc fait le lit d’un antijudaïsme contemporain des plus exalté. Ce phénomène est fortement amorti dans les autres écoles classiques de l’islam par une lecture du Coran nettement plus ouverte à l’interprétation. Passons au deuxième facteur à présent. De nature symbolique, il tient à la sainteté de la Mecque et de Médine, villes servant de lieux de pèlerinage à des millions de musulmans chaque année. Dès lors, on imagine aisément l’impact, sur certains pèlerins à l’esprit perméable, des discours wahhabiques distillant la haine du Juif ; à l’instar de ce prêche – et il en est bien d’autres, innombrables - prononcé le 27 octobre 2000, dans la cité mecquoise :

« Référez-vous à l’histoire qui nous apprend que les Juifs d’hier sont un mauvais héritage et que ceux d’aujourd’hui sont pires encore – ingrats envers leurs bienfaiteurs, adorateurs du veau d’or, déformateurs de mots, contradicteurs des paroles divines, […] déchets de l’humanité. Ils sont honnis et bannis par Dieu qui a fait d’eux des singes, des porcs et des adorateurs d’idoles ayant dévié du droit chemin. Tels sont les Juifs : une suite ininterrompue d’injustices, […] d’hypocrisie, de trahisons et de dépravations. Ils sèment la perversité sur terre, or Dieu n’aime pas la perversité ; ils forment des réseaux et des cellules d’oppression […] et de bassesse[6]. »

On pourrait multiplier à l’envi ce type de sermons. Dernier facteur maintenant. Il est financier. Grâce à la vente de ses ressources en hydrocarbures, la monarchie saoudienne a pu déversersans entravele wahhabisme sur toutes les nations musulmanes, via la construction de mosquées, le soutien à de nombreuses associations religieuses prosélytes, la formation d’imams intégristes, de théologiens sectaires, etc. Ainsi l’Indonésie, jadis connue pour son islam tolérant, a peu à peu changé sous la pression du wahhabismeimporté d’Arabie saoudite[7]. Pour le professeur et chercheur en relations internationales, Gilbert Aschar, l’Arabie saoudite, avec son idéologie wahhabique, est sans conteste le premier producteur mondial de « sentiment(s) antijuif(s)[8] » du fait, comme nous venons de l’écrire, de son extraordinaire puissance financière et de son influence découlant de son rôle de gardienne des lieux saints de l’islam. Thèse qu’a fait sienne l’éminent historien Michel Abitbol. Spécialiste reconnu des relations judéo-arabes, ce dernier affirmait, en 2005, que c’est bel et bien « […] en Arabie saoudite que se publient le plus d’ouvrages anti-juifs[9]».A cet antijudaïsme frénétique, d’essence purement wahhabique, s’ajoute des éléments de discours empruntant à l’antisémitisme européen classique que l’on retrouve dans les manuels scolaires des jeunes saoudiens. Ce passage tiré d’un cours de Hadiths et culture islamique en témoigne :

« 1. Fomenter séditions et conspirations à travers l’Histoire. […] 3. Tenter de plonger les peuples dans le vice et répandre la prostitution. […] 4. Contrôler la littérature et l’art en publiant une littérature décadente et licencieuse […] 5. Contrôler les industries du cinéma et des arts […]. 6. Fraude, corruption, vol et supercherie.[10] »

Certes, aujourd’hui, l’Arabie saoudite tente de redorer son image en modulant son langage afin de paraitre plus présentable. Mais que l’on ne s’y méprenne pas. Le royaume saoudien, dictature théocratique comme l’atteste le dernier rapport accablant d’Amnesty International[11], est guidé avant tout par des considérations géostratégiques. En effet ; le rapprochement avec Israël, pour faire pièce à l’ennemi commun, l’Iran, oblige Mohamed Ben Salmane, l’héritier du trône, àétoufferquelque peules rugissements antijudaïques de la « bête » saoudienne, enfantée par le wahhabisme. Hélas ! Trois fois hélas. Le mal est fait. Et il est absolument considérable. Et pour cause ! Il a fait tache d’huile en gagnant petit à petit les esprits, de NouakchottàJakartaen passant par le Caire et Islamabad. Que l’on songe que durant près de trente ans le royaumede la dynastie des Saouda donné libre cours à ce fiel essentialisant le judaïsme et ses fidèles, et ce aux quatre coins du monde. Au reste, pour Dore Gold, l’ancien ambassadeur d’Israël aux Nations unies, il ne fait aucun doute que l’Arabie saoudite a été l’antre du jihadisme mondial[12] qui, on ne le sait que trop, abomine les juifs de façon névrotique. Point de vue partagé par Pierre Conesa, haut fonctionnaire duministère de la Défense, pour quice pays arabeest le « géniteur du radicalisme ». D’ailleurs, Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaïda et précurseur du jihadisme moderne,n’est-il pas natif de Ryad, en Arabie saoudite ? Or, le radicalisme islamique, irrigué par le wahhabisme, se conjugue inéluctablement avec l’antijudaïsme dans ce qu’il a de plus véhément, pour ne pas dire délirant.Ainsi, en 2010, menée auprès de 40 écoles islamiques anglaises dotées de programmes scolaires saoudiens, une enquête de la BBC a montré que les professeurs dispensaient aux enfants des enseignementsregorgeant d’acrimonie pour les juifs[13]. Et ce n’est là qu’un exemple parmi une pléthore d’autres…

Au vu de l’ensemble des éléments précités, l’on est bien forcé de pointer un doigt accusateur vers l’Occident, coupable d’avoir fermé les yeux sur l’Arabie saoudite, cœur battant du fondamentalisme islamique. Théocratie implacable, ce régime, pendantplusieurs décennies, a propagé,au vu et au su de tous, le wahhabisme, porteur de haine religieuse, d’extrémisme, mais aussi, et c’est le cœur de notre propos, d’antijudaïsme religieux exalté au possible. Combien de musulmans, à travers le monde, ont été infectés par ce mal, soit par un contact direct, livres, prêches, médias, etc. soit, indirectement, par influence ? Une certitude : il faudra du temps ; beaucoup de temps, pour réparer les dégâts provoqués par ce courant anachronique de l’islam qui, sous des dehors grossièrement religieux, exècre profondément l’altérité. En attendant, ici en France, ou ailleurs,après avoir basculé dans le côté obscur de la foi, des individus, à la dérive, ayant vaguement lu sur internet, ou entendu, lors d’une discussion, que les juifs sont des « porcs descendant du singe », risquent de commettre l’irréparable en s’en prenant à une personne de confession juive. C’est terrible. Notre dépendance aux hydrocarbures, notre impétueux désir de faire commerce avec l’Arabie saoudite, fille aînée de l’antijudaïsme islamique, a poussé l’Occident à ne point s’hasarder à formuler des critiques qui auraient pu froisser la susceptibilité des princes saoudiens. Nous en payons, actuellement,le prix fort.En somme ; l’Occident, aujourd’hui, a face à lui l’islam qu’il mérite. Un islam atteint d’une tumeur wahhabique ; métastasée de surcroit. Dieu merci, le mal n’est pas incurable. Mais qu’il semble loin le temps de la guérison ! D’autant plus que l’absence criantede démocratie en Arabie saouditeet l’érection du wahhabisme en religion d’État empêchent l’émergence pérenne d’esprits critiques capables de jeter les fondements d’une lecture intelligente et distanciée des textes religieux et, partant, d’en finir avec ce littéralisme coranique aliénant ; processus à la base de la vitrification de l’islam et de l’asséchement dramatique de la pensée musulmane.



[1] Philippe Simonet, Enquête sur l’antisémitisme musulman -  De ses origines à nos jours, Michalon Éditions, 2010, p. 15.

[2]Benny Morris, Victimes, histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Éditions Complexe, 2003.

[3]Nabil Mouline, Les clercs de l’islam – Autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie Saoudite, XVIIIe – XXIe siècle, Presses Universitaires de France, 2011, p. 79.

[4] Henry Laurens, L’Orient arabe – Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2015, p. 47.

[5] Mohamed Chiadmi, Le Noble Coran – Nouvelle traduction française du sens de ses versets, Éditions Tawhid, p. 2007, p. 47.

[6] Joël et Dan Motek, Simonet, Au nom de l’antisionisme, Éditions Complexe, 2003, p. 64.

[7] https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/BEYER/57781

[9]Abitbol Michel, « Islam et judaïsme : un duel à mort ? », Confluences Méditerranée, vol. 54 n°.3, 2005, pp. 103-109.

[10] P-A. Taguieff, L’imaginaire du complot mondial – Aspects d’un mythe moderne, Éditions Mille et une nuits, 2006, p.152.

[11]https://www.amnesty.org/fr/countries/middle-east-and-north-africa/saudi-arabia/report-saudi-arabia/

[12] Gold Dore, « L’Arabie saoudite et les racines du djihad planétaire », Outre-Terre, 2006/1 (n°14), p. 255-268.

[13] Pierre Conesa, Dr. Saoud et Mr. Jihad – La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016.

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