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Pierre Lellouche : "Stop ! En cherchant à isoler l'Allemagne, François Hollande mène la France et l'Europe droit vers le chaos"
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Retour vers l'enfer

Pour Pierre Lellouche, l'ancien secrétaire d'Etat en charge des Affaires européennes, le nouveau Président de la République multiplie les erreurs politiques, à commencer par le fait d'avoir reçu le SPD "dans le dos" d'Angela Merkel ou de ne chercher à s'allier qu'aux pays endettés de la zone euro.

Pierre Lellouche

Pierre Lellouche

Ancien député, Pierre Lellouche a été secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes puis secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur au sein du gouvernement Fillon.

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Atlantico : Mario Monti décrit une situation plus grave que jamais pour l'Italie et dément mollement que son pays ait besoin lui aussi d'un plan de sauvetage. Le plan de sauvetage des banques espagnoles a échoué et n'a pas empêché Madrid de tomber dans la situation absurde où le niveau de ses taux obligataires l'enferme dans une spirale d'endettement sans issue... Dans ce cadre d'urgence pour la zone euro, que pensez-vous de la gestion, jusqu'ici, du gouvernement de François Hollande et notamment de sa stratégie d'isolement de l'Allemagne ?

Pierre Lellouche : Calamiteuse. François Hollande a envoyé tous les mauvais signaux et est en train de faire le pire possible. En tant que citoyen, plus qu'en tant que responsable politique, je tiens à faire remarquer que cette campagne pour les législatives est une farce, organisée par le pouvoir, qui s'est rigoureusement appliquée à ne jamais aborder les sujets cruciaux. Tout a été fait pour parler du fait que François Hollande prend le train plutôt que l'avion, pour évoquer le pétard de Cécile Duflot ou même du tweet de Valérie Trierweiler. Des sujets futiles qui illustrent la frivolité inquiétante de la France.

Cette image nous colle à la peau. Souvenez-vous de la Une de The Economist, pendant l'élection présidentielle, qui se riait de François Hollande et Nicolas Sarkozy assis sur l'herbe avec comme gros titre : "La France dans le déni". Les socialistes attaquent les législatives en ne misant que sur des cadeaux dont nous n'avons pas le premier centime pour les financer. Tout en sachant que le 17 juin sera le début d'un cataclysme européen. Pas seulement parce que François Hollande a promis de nombreux cadeaux, mais aussi parce que ce sont les élections législatives en Grèce. Cette dernière va confirmer la déliquescence du système grec car il repose sur des logiques claniques.

L'ennui, c'est que ce pays fait partie de la zone euro. Le mythe selon lequel une obligation grecque vaut une obligation allemande a explosé avec la liquidation de Lehman Brothers. Nous sommes à présent face à une réalité : faut-il maintenir la Grèce dans la zone euro ? Nous repoussons la réponse à cette question depuis janvier 2010, date à laquelle j'étais encore ministre des Affaires européennes. J'étais soumis à un devoir de réserve mais je n'ai jamais cru un instant que les Grecs pourraient rembourser tout l'argent que nous leurs avons remis. Tout cela devrait nous coûter pas loin de 150 milliards d'euros.

Lundi, c'est le début d'une vrai crise systémique en Europe. La question n'est d'ores et déjà plus de savoir s'il faut sortir la Grèce de la zone euro ou pas mais de nous demander où s'arrête l'amputation.

Aujourd'hui, l'Europe doit absolument chercher à assainir ses finances publiques. François Hollande fait l'inverse. La réforme sur les retraites en est un exemple : en tirant quelques fils pour revenir à 60 ans, nous faisons le contraire de l'Allemagne qui tend elle vers 68 ans. La retraite à 62 ans que nous avons mise en place, c'est le strict minimum de ce qui était encore acceptable. Aller contre la maîtrise des dépenses publiques est contreproductif.

François Hollande a reçu les représentants du SPD allemand, des opposants à la chancelière Angela Merkel. S'agit-il d'une erreur politique ?

L'erreur de François Hollande, c'est de croire qu'il peut jouer le SPD contre la chancelière allemande. C'est gravissime. C'est une ingérence dans la politique intérieure allemande. D'autant plus grave qu'aujourd'hui, en Allemagne, il n'y a pas un seul parti pour aller dans le sens de François Hollande. En plus d'une faute politique, c'est une erreur d'analyse.

En outre, François Hollande cherche à jouer la carte du sud de l'Europe contre le nord de l'Europe.

Se rapprocher de Mariano Rajoy serait une erreur ?

C'est chercher à mettre en place un syndicat des pays en difficulté à opposer à l'Allemagne, chercher à pousser Angela Merkel à accepter une garantie de la dette par une mutualisation de celle-ci. C'est dangereux. Les Allemands n'en ont de toute façon pas les moyens. Isoler l'Allemagne est la pire des erreurs politiques.

Toute la construction européenne s'est reposée sur la réconciliation franco-allemande. C'est parce qu'on a su entourer l'Allemagne que nous avons prospéré. Si nous l'isolons en cherchant à lui faire payer pour le reste du continent, nous aurons à faire face à une fracture politique en plus d'une fracture économique à laquelle nous sommes déja confrontés.

La mondialisation montre qu'il y a des pays qui réussissent et des pays qui ne réussissent pas. La France est quelque part entre les deux. L'Allemagne, la Hollande, la Finlance, tous ces pays s'en sortent parce qu'ils ont fait les réformes qu'il fallait. Nous, nous ne les avons pas faites. Au contraire, nous avons toujours tout fait pour rendre le travail plus cher et orchestrer la délocalisation.

N'est-il pas pour autant légitime de comprendre que François Hollande cherche à sortir la France d'une position de simple subalterne vis-à-vis de l'Allemagne ?

Nous sommes les subalternes parce que nous avons tardé à faire les réformes. Il ne s'agit pas de savoir si nous sommes de droite ou de gauche, cette question ne se pose pas dans ce cas. La protection de la France ne dépend plus aujourd'hui de la bombe atomique mais de ses parts de marché. Soit vous êtes en déficit structurel et vous augmentez votre dépendance vis-à-vis de l'extérieur, soit vous redevenez un pays souverain. C'est notre intérêt. La consolidation des finances publiques n'est pas l'ennemie de la croissance, elle est consubstantielle.

Un accord franco-allemand est donc, pour vous, parfaitement incontournable ?

S'il devait y avoir un divorce entre la France et l'Allemagne en ce qui concerne l'économie et la croissance, ce serait gravissime pour la construction européenne. Pas seulement pour la zone euro.

La France appelle à la croissance. Pour cela, elle réclame que la dette soit mutualisée pour pouvoir relancer de grands programmes d'investissement. Comme nous ne pouvons plus emprunter nationalement, il faut que ce soit fait à l'échelle européenne. Mais les Allemands, eux, veulent bien mutualiser une partie de la dette : à condition que chacun des Etats-membres ne consente à mener une politique de dépense publique plus rigoureuse. C'est la fameuse Règle d'or.

Mais c'est difficile : la Grèce ne peut plus garantir cet équilibre. Or en France, François Hollande, en rupture avec son prédécesseur, revient sur ce principe pour réclamer d'augmenter le SMIC, de réduire l'âge de la retraite et de dépenser de l'argent que nous n'avons plus. Et l'Allemagne ne paiera pas : le chauffeur de Stuttgart, qu'il vote pour le SPD ou pas, refusera de payer pour les retraites de ses voisins français ou grecs.

C'est la première fois en France que, ces dernières années, nous avons mis en place des outils de relance de la production industrielle. Il faut soutenir les PME, encourager l'apprentissage et maîtriser le niveau des charges. La politique de François Hollande est un très mauvais signal qui risque d'entraîner l'appauvrissement inévitable et rapide de la France.

François Hollande avait annoncé cette politique pendant la campagne et a été élu. N'est-ce pas tout simplement ce que les Français veulent ?

Nous avons en France un très gros problème de pédagogie. Il y a chez nous une vraie culture du déni. Nous mêmes, au cours de cette campagne, alors que nous avions commencé à parler du réel, nous sommes laissés tentés à dévier vers des sujets autres. Sans doute parce que quelqu'un a conseillé à Nicolas Sarkozy qu'en restant dans les problèmes les plus concrets, il ne serait pas élu. J'en suis extrêmement déçu. Il aurait fallu faire campagne sur une forme de pédagogie de la crise.

Maintenant, c'est trop tard. Le 17 juin au soir, nous aurons une Assemblée de gauche et une Grèce en crise électorale. Dans la foulée, ce sera le chaos en Europe. En France, une majorité relative de gens inexpérimentés menant une politique dangereuse se retrouve au pouvoir. L'opposition, en situation difficile, ne pourra pas empêcher les erreurs tragiques que je vois venir. Nous aurons à faire un effort de pédagogie. C'est ce que je fais ici, c'est ce que j'ai fais en écrivant un livre sur la crise au début de la campagne.

Or il est difficile d'évoquer toutes ces mauvaises nouvelles. Mais le monde ne nous attendra pas : confrontés à un choc de compétitivité, nous continuerons de nous appauvrir. Notre système prend l'eau de toutes part. Chaque jour, nous empruntons 500 millions d'euros. Tant que les taux d'intérêts sont bas, grâce à la politique de Nicolas Sarkozy, ca ira. Mais il va très vite remonter et là, nous entrerons dans une période de très grave danger.

Le 17 juin, ce dimanche donc, nous changeons de monde. Et nous le faisons avec la mauvaise équipe. Je le dis en tant que simple citoyen. Si je suis élu, je m'appliquerai à être l'une des voix qui mèneront le combat pour une prise de conscience du réél.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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