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L'islam, première religion au monde en 2070 : quels enjeux pour l'Occident ?
©CHRIS YOUNG / AFP

Vers le grand remplacement ?

Recul démographique et idéologie du "mea culpa" sont les principales raisons expliquant la déchristianisation de l'Europe de l'Ouest, favorisant ainsi la progression de l'islam.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Selon une étude menée par le Pew Research Center, l'islam sera la première religion du monde en 2070, dépassant ainsi le christianisme. Si ces prédictions se concrétisent, quelles pourraient être les conséquences d'un tel changement pour l'équilibre mondial ?

Alexandre Del Valle : Je me demande sur quels critères s’appuient le Pew Research Center pour cette étude : est-ce par rapport au christianisme ou au catholicisme en général ? Bien que je n’en ai pas la preuve, il est possible, peut-être, qu’un jour l’islam dépasse le catholicisme. Aujourd’hui, l’islam est à peu près l’équivalent du catholicisme en nombre, malgré ce que certains islamistes peuvent dire. Peut-être que dans quelques dizaines d’années, l’islam aura doublé par rapport au catholicisme qui perd des parts de marché, essentiellement au profit du protestantisme, et tout particulièrement de l’évangélisme. Ce dernier est en pleine ascension partout dans le monde (Amérique latine, Europe, Afrique et Asie), y compris dans des pays musulmans. Ainsi, il m’étonnerait de voir l’islam dépassait le christianisme dans son acceptation la plus large. A la différence de l’orthodoxie catholique, le christianisme est en pleine expansion à l’échelle mondiale si l’on tient compte de toutes les Eglises chrétiennes. Les résultats de cette étude peuvent être entendus s’il s’agit de comparer l’islam au catholicisme, mais pas au christianisme en général. 

La seule conséquence serait qu’il pourrait y avoir une évolution civilisationnelle majeure de l’Europe de l’Ouest. C’est dans cette dernière région, avec l’Afrique, que l’islam gagne des parts de marché. Là où la transformation risque d’être la plus brutale, c’est dans des capitales européennes à forte présence immigrée musulmane comme Bruxelles, Rotterdam, Londres, ou la région parisienne, qui pourraient devenir d’ici 2070 des capitales majoritairement musulmanes. Il s’agirait là d’une métamorphose identitaire et civilisationnelle de l’Europe qui serait donc moins chrétienne et beaucoup plus orientale, et arabo-africaine. Les répercussions pourraient être gigantesques. Au sein de cet islam européen, les communautés maghrébines, turques, africaines-musulmanes, et indo-pakistainaises, deviendraient des relais de puissances extérieures qui les utiliseraient comme éléments de profondeur stratégique. Ainsi, les pays autochtones européens concernés deviendraient des sortes de comptoirs au sein desquels les communautés musulmanes prêteraient allégeance envers des pays non-européens. Sur le plan géopolitique, il s’agit là d’un phénomène de sécession – bien que "pacifique". Des zones entières de l’Union européenne n’adhéreraient plus aux valeurs occidentales mais réclameraient des spécificités pour les personnes issues de la civilisation arabo-musulmane qui, entre temps, auront été récupérées et réislamisées par des pays d’origine.

On en arrive à ce que j’appelle la "bataille de la civilisation" : ce n’est pas l’immigration qui, en elle-même, est dangereuse, mais la façon dont on intègre les nouveaux venus. S’ils sont bien intégrés, ils deviennent de bons citoyens ; à l’inverse, si on ne sait pas comment les intégrer, le vide est alors occupé par des Etats étrangers ou des organisations étrangères qui les récupéreront. Il y a ce que j’appelle les "pôles de l’islamisme radical" : les Frères musulmans, la Ligue islamique mondiale, les pays du Golfe, la Turquie et le Pakistan. Ces organisations ou Etats islamiques veulent contrôler les musulmans d’Europe. Plus l’Europe s’islamisera, plus la question de savoir à qui obéiront les communautés musulmanes d’Europe se posera. Si elles sont bien intégrées, elles seront du côté de la civilisation européenne ; en revanche, si nous les laissons dans les mains du pôle de l’islamisme mondial, des pans entiers des sociétés européennes échapperont au contrôle et à la civilisation majoritaire européenne. 

Outre l'aspect démographique, qu'est-ce qui peut expliquer cette croissance de l'islam et ce recul du christianisme ? 

Le recul du catholicisme ne concerne que l’Europe de l’Ouest. Outre l’aspect démographique, ce recul s’explique – comme j’ai pu l’expliquer dans mon livre Le complexe occidental – par la repentance de la "vieille Europe", l’idéologie du mea culpa, et même de la haine de soi. Dans ces conditions, la déchristianisation paraît logique dans la mesure où cette idée du politiquement correct consiste à dire que l’Europe chrétienne ne fut que barbarie et intolérance. Ainsi, l’islam progresse, non pas parce qu’il est plus fort ou plus performant, mais uniquement parce que l’Europe culpabilisée et vieillissante laisse un vide qui est rempli par ceux qui ont des certitudes. Pour résumer, les pays qui n’ont plus de certitudes religieuses laissent la place à ceux qui en ont.

Les premiers responsables de la déchristianisation sont, à mon avis, les prêtres. Une Eglise dynamique ne se laisse pas manger par une autre Eglise. Il n’y a qu’à voir du côté des protestants évangéliques dans les régions où ils sont majoritaires aux Etats-Unis : personne ne les convertit à l’islam ; ce sont même plutôt eux qui convertissent. J’ajouterai à ce propos qu’il y a beaucoup de musulmans qui se convertissent au christianisme évangélique, parfois même catholique, sauf que nous n’en parlons pas parce qu’on a peur. L’islam progresse et a l’air de progresser parce que ceux qui se convertissent s’en vantent. Mais les musulmans qui se convertissent ont peur de la dire car ils risquent la peine de mort ou l’emprisonnement. Nous n’avons donc peut-être pas tous les éléments. 

Selon cette même étude, sur le continent européen, en 2070, les musulmans représenteront 10% de la population globale. Plus précisément, selon vous, comment se répartiront ces 10% à l'échelle des pays ?

Ce qu’il convient de dire pour relativiser les conclusions de cette enquête du Pew Research Center, c’est que l’islam ne va pas devenir nécessairement majoritaire en dehors de sa zone. Elle progresse pour des raisons démographiques parce que ce sont les pays musulmans aujourd’hui qui ont le plus fort taux de natalité. Même l’Amérique latine est en pleine transition démographique actuellement, les Sud-Américains faisant moins d’enfants qu’il y a quinze ou vingt ans. Dans les pays arabes, la tendance est inverse : depuis les printemps arabes, on a même remarqué, avec la réislamisation, que certains pays musulmans, qui avaient entamé une transition démographique, ont vu leur taux de natalité repartir à la hausse comme en Tunisie par exemple.

En dehors de leur zone, la progression de l’islam est légère : il y a quelques millions de musulmans en Europe et les convertis ne sont que quelques centaines de milliers. Nous ne sommes pas là dans le cas du Brésil qui, en quarante ans, est passé à 50% de Brésiliens protestants ; ceci est un véritable phénomène de progression. Bien entendu, il y aura plus de musulmans dans 50 ans qu’aujourd’hui dans la mesure où c’est l’islam qui, pour le moment, empêche le plus la baisse de la natalité. Cela fait partie de la politique de l’Organisation de la coopération islamique. Plus les pays musulmans adoptent des lois islamiques, moins la natalité y est contrôlée.

Pour ce qui est des pays européens, la répartition se fera essentiellement dans certains pays d'Europe de l'Ouest, où la population musulmane pourrait atteindre jusqu'aà 50% en Belgique. A l'inverse, en Europe de l'Est, la population musulmane pourrait être proche de zéro. 

Cette étude prévoit aussi un net recul de l'athéisme, passant de 16,4 % aujourd'hui à 13,2% de la population mondiale en 2070. Peut-on parler d'un retour du religieux à l'échelle mondiale? 

D’une certaine manière, mais pas véritablement en Occident. Dans les mondes hindouistes et bouddhistes, en Chine par exemple, de nombreuses personnes se convertissent au christianisme –beaucoup plus qu’à l’islam d’ailleurs – tandis que beaucoup deviennent bouddhistes alors qu’elles ne l’étaient du temps de Mao. Il y a également un retour de la religion en Russie, en Inde, en Asie du Sud-Est où la mode est aussi à la conversion au bouddhisme ou au christianisme (Corée du Sud, Vietnam).

Un certain nombre de pays anciennement communistes, statistiquement athées, redeviennent des pays où il y a une religion. On est là dans un jeu de statistiques : auparavant, la propagande affirmait que personne n’était croyant. Il faut donc relativiser ce retour au religieux. Ce dernier, qui se traduit par des lois et des mœurs qui changent la civilisation, est véritablement observable uniquement dans les pays musulmans et un peu en Israël. Israël est un pays très laïc à ses fondements ; or ceux qui assurent aujourd’hui la natalité dans ce pays sont les religieux, qui sont en forte augmentation. Pour en revenir à l’Amérique latine, malgré le succès de l’évangélisme, il convient de préciser que les pays de la région connaissent une libération des mœurs, de la femme, une hausse du divorce, soit toutes les caractéristiques de la déchristianisation. En Amérique du Nord, il y a tout de même beaucoup plus d’athées déclarés qu’il y a 50 ans. Ce que ne dit pas cette étude, c’est que c’est le monde islamique qui redevient religieux, mais aussi un peu l’Asie et l’Inde. 

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