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Ironie du sort : comment l'efficacité des politiques de santé publique a favorisé l'apparition de nouveaux virus qui nous menacent dangereusement
©REUTERS/Stringer

Bonnes feuilles

Les émergences ou réémergences actuelles de maladies infectieuses comme Ebola, Zika ou les grippes aviaires et porcines doivent être appréhendées à la fois dans le cadre historique de cette longue co-évolution et dans un cadre géographique global lié à la mondialisation des échanges. L’urgence est d’en tirer des leçons pour la gestion des crises sanitaires actuelles et futures. Extrait de "La prochaine peste", de Serge Morand, aux éditions Fayard 2/2

Serge Morand

Serge Morand

Serge Morand est chercheur au Cnrs et au Cirad. Il travaille également au Centre d’infectiologie Christophe Mérieux du Laos. Écologue évolutionniste et parasitologue de terrain, il conduit de nombreuses missions sur les relations entre biodiversité et maladies transmissibles. 

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À la fin de l’année 2015, l’OMS a publié la liste des dix maladies infectieuses que l’on ne sait pas encore contrôler du fait de l’absence de vaccins et qui présentent les plus grandes chances de causer des épidémies sévères dans un futur proche. Cette liste résulte des réflexions d’une douzaine d’experts mandatés par l’organisation pour comprendre les retards et les manquements dans la gestion internationale des débuts de l’épidémie d’Ebola, un an plus tôt, en Afrique de l’Ouest. Elle comporte plusieurs des pestes rencontrées dans cet ouvrage, comme Ebola, Marburg, le SRAS, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), la fièvre de Lassa ou encore la fièvre de la vallée du Rift. En revanche, des maladies infectieuses comme le sida ou la grippe aviaire en ont été écartées en raison des moyens humains et financiers considérables déjà dévolus à la recherche et au contrôle de ces maladies.

Les auteurs de ce travail ne recommandent pas aux décideurs politiques ou aux organismes étatiques de santé de se préparer au pire, mais de se consacrer à l’existant, au connu, au connaissable. À leurs yeux, la priorité est de soutenir les efforts de recherche là où ils peuvent rapidement permettre aux humains de faire face à ces pestes. On peut ajouter que les gains scientifiques qui en résulteront seront précieux en cas de nouvelles émergences.

La baisse de biodiversité ne concerne pas seulement les animaux et les plantes, mais aussi les parasites et pathogènes – ceux des pays développés, puis ceux des pays émergents grâce à des politiques de santé publique efficaces. Cette baisse des infections parasitaires et infectieuses s’accompagne cependant de l’apparition de nouveaux problèmes de santé. Deux exemples bien différents illustrent ce point.

L’éradication de la variole, terrible maladie que personne ne regrette, a conduit à l’abandon de la vaccination au début des années 1980. Or celle-ci apportait aussi une protection contre d’autres virus apparentés de la famille des poxvirus. On a ainsi vu apparaître de nouvelles infections par le virus du monkeypox, hébergé par des rongeurs. Depuis l’observation d’un premier cas humain au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) en 1970 – un enfant qui n’avait pas été vacciné contre la variole –, plusieurs centaines de cas ont été recensés et les épidémies se succèdent.

En 2003, aux États-Unis, une épidémie a ainsi touché 72 personnes, dont des enfants, à la suite de contacts avec des rats de Gambie et des écureuils arboricoles importés d’Afrique dans une animalerie. À une époque où les mouvements antivaccination prennent de l’ampleur, la baisse des couvertures vaccinales constitue donc un risque non seulement face à des infections connues, mais aussi face à des émergences nouvelles. Le deuxième exemple concerne les maladies autoimmunes.

Le déclin de la biodiversité parasitaire participe en effet à l’émergence de ces maladies. Les ulcères causés par la bactérie Helicobacter pylori semblent ainsi liés à la disparition des nématodes et des ténias dans de nombreux pays développés. L’absence d’une communauté parasitaire en interaction avec la communauté microbienne a pour résultat d’accroître les réponses inflammatoires antimicrobiennes, conduisant à l’apparition des ulcères. L’amélioration de l’hygiène par la modification du parasitome et du microbiome favorise allergies et maladies auto-immunes.

Par une certaine ironie du destin, nous voilà donc confrontés simultanément à deux nouvelles menaces : celle que font peser les maladies infectieuses transmissibles dues à de nouveaux pathogènes émergents et celle des maladies non transmissibles résultant de la disparition de pathogènes.

Pour une écologie planétaire de la santé

L’exploration des mécanismes écologiques et biologiques associés au potentiel émergent des pestes souligne l’importance et la complexité des relations que nous entretenons avec l’animal sauvage et domestique. Les maladies infectieuses émergentes sont peut-être révélatrices de nos ultimes contacts avec une biodiversité en crise majeure.

Ces nouvelles émergences sont liées aux changements globaux en cours, eux-mêmes en lien avec la mondialisation économique, le commerce international et les modifications de l’utilisation des terres. Les pertes de biodiversité associées et le dérèglement climatique constaté ne sont finalement que l’expression de notre emprise planétaire.

Les nouvelles émergences ne sont que l’une des manifestations du changement global, caractéristique de la nouvelle ère géologique dans laquelle nous sommes entrés : l’ère de l’Anthropocène, dominée par les humains. Le changement planétaire actuel affecte le tempo et la géographie des épidémies.

Dans le passé, la communauté des pathogènes humains s’est enrichie au contact de la faune sauvage et au gré de la domestication des animaux. Aujourd’hui, le monde global est en passe d’être totalement soumis à un environnement épidémiologique unique constitué d’épidémies à caractère pandémique. Ce nouvel environnement résulte de l’homogénéisation et de la simplification de la biodiversité naturelle et cultivée, ainsi que de la circulation rapide des biens, des productions agricoles et des personnes.

Dans ce contexte de globalisation des échanges et de nouvelles connexions épidémiologiques, les efforts de recherche doivent s’orienter vers une écologie planétaire de la santé. Une écologie ancrée dans la compréhension des dynamiques écologiques de la biodiversité et des liens qui unissent humains et non-humains, y compris les parasites et les microbes. Une écologie qui servira nos systèmes de santé en aidant au maintien des conditions environnementales nécessaires à l’épanouissement de nos liens sociaux.

Extrait de La prochaine peste, de Serge Morand, publié aux éditions Fayard, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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