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Intox à tous les étages : les dessous de la guerre de Facebook contre les "fake news"
©Reuters

THE DAILY BEAST

En voulant lutter contre la propagation de fausses informations, le géant des médias sociaux déclenche un combat avec des individus qui considèrent une telle mesure comme de la censure.

Gideon Resnick

Gideon Resnick

Gideon Resnick est journaliste pour The Daily Beast.

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Ben Collins

Ben Collins

Ben Collins est éditorialiste sénior au Daily Beast.

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The Daily Beast par Gideon Resnick & Ben Collins

Facebook vient de présenter un nouveau plan détaillé pour combattre la propagation rapide de fausses nouvelles sur son site, un phénomène dont on a beaucoup parlé dans les semaines qui ont suivi l'élection présidentielle américaine 2016, avec des accusations suivant lesquelles ces fausses nouvelles auraient peut-être influencé le comportement des électeurs.

Le problème a atteint un point de rupture, il y a deux semaines, quand un homme armé est entré dans une pizzeria à Washington pour enquêter sur une théorie de la conspiration circulant sur Internet au sujet d'un réseau d’exploitation sexuelle d'enfants qui n'existait pas.

Maintenant, la réaction de Facebook est mal vue par ceux qui ont créé leurs sites Web pour faire la satire des idées complotistes de droite ou pour exploiter l'algorithme de Facebook, qui craignent de bientôt devoir fermer boutique. 

Mais le nouveau programme de Facebook voit aussi des théoriciens du complot, ceux qui croient que les légendes en tous genres sur Hillary Clinton sont de "vraies infos", se préparer au combat de l’information sur les réseaux sociaux.

Si l'initiative de Facebook de vérifier les infos les plus diffusées prend forme et entraîne la censure des sites de propagande, les éditeurs de sites Web comme Infowars et d’autres sites d’extrême droite, cela ne fera que renforcer leur croyance que certaines idées sont censurées au profit des médias traditionnels. Un rédacteur en chef a déclaré au Daily Beast que le projet de Facebook prouve que maintenant "le terme Infowar n'est pas un cliché, il est parfaitement juste."

Si le projet de Facebook fonctionne correctement, les auteurs de fausses nouvelles diffusées intentionnellement auront du mal à générer des revenus publicitaires pour leurs sites, ou pire, ils risquent l'interdiction pure et simple de diffuser leurs contenus sur ce réseau social.

Marco Chacon, le créateur du site web de fausses nouvelles RealTrueNews.org, dit que Facebook fait enfin quelque chose de bien en veillant à ce que des sites Web comme le sien ne bénéficient plus de l’effet viral de ce réseau social. Dans un article pour The Daily Beast en novembre, Chacon a écrit qu'il a créé son site pour que ceux qui partagent de fausses nouvelles d'extrême droite sur Facebook soient plus conscients du fait qu'ils sont "sensibles aux histoires écrites, de la même manière que les leurs qui sont totalement inventées."

L’objectif de Chacon, dit-il, était de forcer Facebook à trouver une solution face à cette épidémie de fausses nouvelles aussi "profondément enracinée" que facilement monétisée.

"C’est la bonne approche", dit Chacon du nouveau plan de Facebook. "Les gens qui ont peur des censeurs craignent une liste blanche de sites d'information approuvés. Cette heuristique plus intelligente est exactement le genre de chose qu’une entreprise comme Facebook devrait employer. "

Chacon ajoute que ces nouvelles garanties "donneront aux gens une plus grande responsabilité dans ce qu'ils racontent."

Les sites de Chacon attirent des millions de visiteurs. Ses bouffonneries ont quelques fois été reprises par Megyn Kelly sur Fox News ou par des sites pro Donald Trump comme Infowars, qui les ont crues vraies.

"Souvent, les gens qui rediffusent de fausses nouvelles – comme celles que j’ai publiées – pensent qu'elles pourraient être vraies. Ils ne sont pas sûrs, mais ils les rediffusent de toute façon, soit pour les commenter, soit simplement pour les signaler parce qu'elles vont dans le sens de la tribu à laquelle ils appartiennent", ajoute Chacon.

La nouvelle politique de Facebook permettra aux utilisateurs de signaler la présence de fausses nouvelles sur le site. Les histoires qui sont les plus citées seront signalées à des groupes qui pratiquent la vérification des faits de manière non partisane comme PolitiFact ou Snopes. Au début, ce sera un processus expérimental, destiné à voir comment cette politique pourrait être concrètement  mise en œuvre.

Certains critiques qui attirent du trafic avec des informations trompeuses, mais ne reconnaissent pas qu'ils écrivent ce qu'il est communément appelé des "fausses nouvelles",  s’inquiètent des biais potentiels des organisations qui sont censées vérifier les faits, car ils croient qu’ils penchent à gauche.

Paul Joseph Watson d’Infowars, dont le site favorise les théories du complot, voit le projet de Facebook comme faisant partie d'un plan gauchiste.

Il a un problème avec le site Snopes, avec laquelle Facebook est partenaire, parce que l'une de ses collaboratrices se décrit comme étant politiquement de gauche.

"L'une des organisations sur la liste chargée de déceler les fausses nouvelles est Snopes, ce qui représente un conflit d'intérêts étant donné que Snopes n’est clairement pas impartial" , a écrit la semaine dernière Watson.

"Comme le site The Daily Caller l’a souligné, Kim Lacapria, principale vérificatrice d’infos politiques chez Snopes se décrit comme "ouvertement de gauche" et comme libérale. A une époque, elle a assimilé les conservateurs du Tea Party à des djihadistes ".

Watson a déclaré au Daily Beast que son contenu est déjà bloqué, mais que la censure va tout simplement attirer l'attention sur son cas. Et il est prêt au combat.

"Facebook a déjà bloqué certaines de nos vidéos sur YouTube. Cela va échouer comme d’autres tentatives de nous faire taire ont échoué. C’est l’effet Streisand: être censuré va attirer l'attention sur nous et les gens seront plus motivés pour partager notre contenu. Le terme 'Infowar' n’est pas un cliché, il est parfaitement adapté".

Breitbart, qui diffuse de vraies nouvelles dans une optique pro-Trump, replace lui aussi le projet de Facebook dans le contexte d'une guerre sur la légitimité des faits. "- Décret du Maître de l’Univers : Nous allons décider ce qui est une "fausse nouvelle"  - disait le titre sur la page d'accueil du site après l'annonce Facebook. Le Drudge Report était tout aussi dédaigneux, affichant une bannière titrée "Facebook va décider ce qui est une 'information'."

Le fait que l’on peut débattre sur l’idée que l'information est fondée sur les faits est un élément inquiétant du débat aux Etats-Unis. Mais les conséquences imprévues du projet de Facebook pour valider ou, au contraire, pour classer comme fausse une information, constituent quelque chose d'entièrement nouveau.

Mike Cernovich, qui a popularisé le hashtag #HillarysHealth lors de l'élection présidentielle, en aidant à diffuser diverses théories au sujet de supposées maladies de la candidate démocrate, dit au Daily Beast que d'autres organes de presse, qui ont publié des informations qui se sont avérées fausses, devraient peut-être aussi être interdits sur Facebook.

"Où sont les armes de destruction massive que l’on prêtait à Saddam Hussein en Irak ? Faut-il bannir le New York Times de Facebook ?"  écrit Cernovich dans un message sur Twitter à propos de la période précédant l’intervention américaine en Irak.

"Rolling Stone a créé une hystérie nationale à propos l'université de Virginie. Rolling Stone a fait une enquête erronée parlant de viol. Rolling Stone doit-il être banni de Facebook? Les soi-disant journalistes qui ont travaillé sur cette enquête doivent-ils être bannis de Facebook?"

Cernovich estime que la manière dont les "fausses nouvelles" seront ainsi classées comme telles est un processus imparfait.

"C’est compliqué. Parfois, les gens ont tort. Se tromper est différent de propager de fausses nouvelles volontairement. Si une personne cherche la vérité, même si elle se trompe, alors elle ne propage pas de fausses nouvelles, même si elles semblent "folles" vue de l'extérieur".

Cernovich fait référence au cas récent d’une jeune femme musulmane qui s’est rétractée après avoir raconté qu’elle avait été harcelée par des partisans Trump sur un quai de métro à New York pour illustrer le climat médiatique actuellement compliqué.

"Le système médiatique tout entier est devenu malhonnête. Nous jugeons les uns ou les autres sur la base de quelques tweets que nous pouvons déterrer ou sur une erreur de jugement. Cela se passe ainsi en ce moment. Si on voit les choses comme ça, l'ensemble des médias diffuse de fausses informations", conclut Cernovich.

Et la guerre de l'information a déjà commencé.

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