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Internet est devenu une machine à fabriquer des terroristes.
Internet est devenu une machine à fabriquer des terroristes.
©Reuters

Cyber djihadiste

Depuis quelques années est apparu un instrument aussi efficace que terrifiant : Internet. Un instrument qui peut être utilisé pour de multiples usages, notamment en se transformant en manuel du parfait terroriste. 2ème partie de notre dossier consacré à la persistance de la menace d'attentats terroristes et aux moyens de lutte déployés en France.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Le « cyberdjihadisme ». Grâce à lui, on diffuse la propagande terroriste, on recrute des jeunes qui veulent mener la guerre sainte, on endoctrine les esprits un peu faiblards en rupture de ban avec l’école, on fournit la bonne méthode pour fabriquer des explosifs etc…

Enfin, avantage incontestable : toute cette communication peut se faire de façon discrète en dissimulant les stratégies mises en œuvre pour l’accomplissement d’actes terroristes. Myriam Quemener, l’une des meilleurs spécialistes de la cybercriminalité, actuellement avocate générale près la cour d’appel de Versailles, analyse fort bien l’utilisation d’Internet par les terroristes : « Pour leurs besoins de propagande, de recrutement, de formation à distance ou de transmissions de messages, les terroristes utilisent toutes les ressources d’Internet, des espaces ouverts aux espaces protégés. Les services les plus récents fournis par le réseau  peuvent même les aider  à améliorer leurs capacités  de repérage des cibles potentielles, grâce aux données de toutes sortes, y compris géographiques, voire d’imagerie satellitaire, qui s’y trouvent en accès libre. Les réseaux sociaux sont également une forme de lien à distance, décentralisé, favorisant l’interaction, parfaitement adaptée à un réseau terroriste. Internet, lieu d’échange pour les terroristes est devenu  un vecteur de radicalisation  et de recrutement pour le terrorisme d’inspiration djihadiste. »

Lire aussi >>> Partie 1 : Comment le risque terroriste s’est installé en France

Cette analyse impeccable, le chef de l’Unité de coordination de lutte antiterroriste (UCLAT), Loïc Garnier, la partage évidemment. Voici ce qu’il déclarait en 2013, à Libération : « Nous avons sur le sol français des dizaines de Mohamed Merah en puissance capables de passer à la vitesse supérieure en trois jours, en réalisant les recettes d’engins explosifs tirées de la revue Inspire ou d’autres sites islamiques vénéneux. »

Un mot sur Inspire. La plupart de nos compatriotes ignorent son existence et à quoi elle sert… Et pourtant, son rayonnement et son importance sont considérables. Tout du moins aux yeux des djihadistes. Fondé en 2010, ce magazine édité depuis le Yemen par AQPA (Al Quaïda dans la péninsule arabique) offre la particularité d’être rédigé en anglais de façon  à séduire, informer et récupérer un maximum de jeunes dans le monde occidental. C’est ainsi qu’un récent numéro d’ Inspire, montrait, via des photos et descriptifs, le mode d’emploi pour fabriquer une bombe destinée à faire sauter une voiture piégée  aux Etats-Unis. Carrément angoissant dans ce même numéro : un autre article suggérait que des attentats, notamment en France, pourraient être perpétrés dans des zones touristiques, dans les TER, dans des lieux publics parisiens et même dans la vallée de la Dordogne. Cette dernière, en raison d’une présence importante de Britanniques permettrait de faire coup double en assassinant à la fois ces derniers et aussi des Français.

Cette montée en puissance, Patrick Calvar, le patron de la DGSI la perçoit tout autant. Pour lui, ce n’est plus dans les associations ou les mosquées que l’on enrôle les djihadistes, mais sur Internet. Interrogé lui aussi par le rapporteur du projet de loi contre le terrorisme, il le dit haut et fort : « en matière de terrorisme,  Internet est le problème majeur. »  Le juge Marc Trévidic, lui aussi auditionné, ne dit pas autre chose quand il affirme que la difficulté, lorsqu’on consulte Internet, consiste à  faire la différence entre les contenus licites ou anodins et ceux inquiétants qui appellent au djihad contre l’Occident. Même constat du côté de Hassen Chalghoumi, président de la conférence des imams qui a bien conscience qu’Internet atteint des nouveaux publics prêts à partir pour la Syrie. Preuve encore qu’Internet exerce une fascination sur les candidats djihadistes : Hassen Chalghoumi cite cette  vidéo mise en ligne au début 2014, où l’on découvre la vie quotidienne de jeunes français au cours de scènes particulièrement choquantes. Or, cette vidéo aurait été vue 980 000 fois !

Dans ce concert unanimiste qui dénonce les dérives d’Internet - on songe à 1984 le célèbre roman de Georges Orwell -  une voix dissonante veut se faire entendre : celle de la Fondation Quilliam, du nom d’un avocat de Liverpool, Abdullah William Quilliam (1856-1932) converti à l’Islam et fondateur de la première mosquée britannique. Dans une étude diffusée  en mai dernier, cette Fondation relativise l’impact d’Internet sur la propagation du terrorisme… sans doute pour contester toute mesure de rétorsion à l’égard de ses adhérents. On comprend mieux l’objectif de Quilliam quand on sait qu’elle a été fondée en 2008 par d’anciens terroristes rangés qui avaient « bourlingué » en Afghanistan.

Fondation Quilliam ou pas, les gouvernants de la planète, conscients que la propagation d’une Internationale terroriste est contraire aux valeurs de la civilisation, conscients aussi qu’ils sont parfois désarmés ou pris au dépourvus face  à cette menace - on l’a vu lors de l’attentat au Parlement d’Ottawa - réagissent en prenant toute une série de mesures. Une tâche pas si facile, certains redoutant des lois  attentatoires aux libertés publiques. C’est le cas en France, du Parti socialiste, qui pendant des années, sur la question du terrorisme a paru timoré. Aujourd’hui, son angélisme a  disparu. Témoin, le texte qu’elle a fait adopter à la quasi-unanimité - le groupe EELV s’est abstenu - ce mercredi 29 octobre  par l’Assemblée nationale.  Comme la possibilité d’interdire le départ de France d’une personne dont on craint fortement qu’elle aille à l’étranger pour participer à des activités terroristes ou commette des crimes contre l’humanité.

En cas de non-respect de cette interdiction, la personne pourrait écoper de 2 ans d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros. Autre nouveauté : la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle  qui offre l’avantage d’incriminer un individu sans qu’il soit nécessairement en lien avec  une association de malfaiteurs. En effet, on l’a vu ces derniers temps, de plus en plus de personnes isolées préparent ou commettent des actes violents de nature terroriste que la  justice avait du mal à qualifier. La surveillance d’Internet n’a pas été oubliée. Désormais, tout site  appelant au terrorisme ou en faisant l’apologie  pourra être bloqué… comme il l’est déjà, grâce à la loi du 11 mars 2011, en cas de diffusion et consultation d’images pédopornographiques. Enfin, tout fournisseur ou hébergeur de site devra alerter sans tarder les autorités  publiques de contenus illicites qui inciteraient à la provocation ou à l’apologie du terrorisme. De là à jurer de l’efficacité d’une telle disposition, c’est une autre paire de manches…

Bien sûr, cette 16 ème loi- depuis 1986- visant à lutter contre le terrorisme n’est pas parfaite, car elle écorne des principes intangibles en matière de libertés publiques. Ainsi, elle  donne un rôle important au juge  administratif sans que ne puisse intervenir le juge judiciaire, garant justement des libertés publiques. Une lacune qu’a soulignée, lors de son explication de vote, le député (EELV) de Loire-Atlantique, François de Rugy. Pas d’accord lui rétorquera quelques instants plus tard, son collègue Alain Tourret, élu (Radical de gauche) du Calvados… faisant valoir, à titre d’exemple, que dans l’hypothèse où un ressortissant français se verrait signifier l’interdiction de sortie du territoire,(article 1) ce dernier aura la possibilité d’intenter un référé - liberté devant la juridiction administrative. Ce qui est tout autant protecteur, affirme Tourret, avocat de profession, qu’un recours devant le juge judiciaire.

Une autre critique, émanant des avocats et des organisations de magistrats s’est aussi faite jour : la rédaction - vague - de l’article 5 du texte, qui n’a rien à voir avec le combat contre le terrorisme. C’est ainsi qu’un ressortissant de l’Union européenne, s’il ne réside pas habituellement en France, pourra se voir  contraint de quitter notre pays «  en raison de son comportement personnel du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publique et [s’il constitue] une menace réelle actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. »

Ces quelques lignes ont de quoi inquiéter. Qu’est-ce qu’un comportement personnel qui nuirait à la société ? Que penserait le Conseil constitutionnel d’un tel article lancera, François de Rugy ce 29 octobre vers 22 heures 30, à la trentaine de députés présents dans l’hémicycle… On ne la saura sans doute jamais répondra-t-il avec un zeste de déception teinté d’humour. Et pour cause : le texte étant voté dans un consensus quasi-total entre droite et gauche, on voit mal comment  60 députés ou sénateurs saisiraient le Conseil constitutionnel.  Sauf si,  un jour, ajoutera Rugy, à l’occasion d’un procès, l’une des parties invoque la fameuse QPC (Question prioritaire de constitutionnalité)…

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » disait Saint-Just. En matière de terrorisme, la formule demeure – pour certains- d’actualité. Mais à condition, joli paradoxe, que les lois soient impeccablement élaborées et rédigées…

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