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L'alcool finira-t-il 
par faire sa pub sur Internet ?
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Alcool 2.0

La publicité sur les produits alcoolisés est un sujet sensible. La France s'est toujours montrée d'une sévérité exemplaire dans ce domaine. Mais, un manque de clarté sur le sujet perdure. Une question de mots et de contexte, semble-t-il...

Erwan Le Morhedec

Erwan Le Morhedec

Avocat au Barreau de Paris depuis plus de dix ans.

Il tient par ailleurs le blog LM-a.

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Penchons-nous sur l'alcool, pour ne pas laisser s'évaporer trop vite l'esprit des fêtes.

Il y a quatre ans, j'avais publié aux Échos un article intituléL'alcool interdit d'Internet. Cet article faisait suite à la décision rendue en référé par la Cour d'appel de Paris le 13 février 2008, dans lequel elle relevait qu'Internet ne faisait pas partie des supports autorisés pour la publicité pour l'alcool (ou "boissons alcooliques" selon la terminologie légale).

Par une loi du 21 juillet 2009, le législateur a expressément inclus dans la liste des supports autorisés les "services de communication en ligne (...)  sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle", ce qui vise essentiellement les pop-ups, "sites under", etc.

Une affaire récente, ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation en date du 20 octobre 2011, pose de nouveau la question de la possibilité effective de faire de la publicité pour l'alcool, notamment sur Internet. 

Était en cause l'organisation d'un jeu-concours sur le site Internet de Glenfiddich, dont le lot était une bouteille de Glenfiddich d'un prix de... 3 900 euros. L'ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) traditionnelle requérante en la matière, incriminait la pratique du jeu-concours, ainsi que l'usage de certains termes et expressions employés, à savoir :

  • "la patience",
  • " la transmission",
  • "le choix",
  • "l'étiquette",
  • "l'alchimie",
  • "le chef-d'oeuvre",
  • "rien ne se fait de grand en un jour",
  • "l'esprit du parcours",
  • "le temps est un luxe à la portée de tous",
  • "les sens",
  • "l'originalité",
  • "les hommes",
  • "le savoir-faire".

Certaines expressions (notamment celles évoquant un chef d’œuvre ou un luxe) étaient assez certainement peu conformes aux dispositions de la loi Evin. Pour autant - même si les producteurs et les publicitaires font preuve d'une notable constance à présenter positivement leur produit - les mots choisis ne paraissaient pas outrageusement favorables à l'alcool.

La Cour d'appel avait suivi l'ANPAA, et ordonné le retrait du jeu-concours, ainsi que de certains termes spécifiques.

La Cour de cassation approuve partiellement la décision de la Cour d'appel, mais elle se montre plus rigoureuse, et casse l'arrêt d'appel en ce que la Cour a "validé" les termes suivants : "les sens", "l'originalité", "les hommes", "le savoir-faire", ainsi qu'un visuel représentant un sablier.

Le Code de la Santé publique prévoit pourtant que la publicité :

"peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit".

Était-il inconcevable de soutenir que "les sens" constituaient une référence à la couleur et aux caractéristiques gustatives et olfactives du produit, "les hommes" une référence aux terroirs ou encore "le savoir-faire"... une référence au "mode de production" (article L.3323-4 al. 1) ? C'était le sens de l'argumentation des sociétés Lixir et Rapp.

Il est en outre peu probable qu'une bouteille d'une valeur de 3 900 euros incite à l'alcoolisme. A l'inverse,  l'évocation de la patience, du temps renvoyaient à une volonté de mettre en avant la dégustation du produit, et non une consommation débridée.

Ces considérations ne sont pas étrangères à la loi, et à l'appréciation que doivent mener les juridictions. En effet, si les dispositions légales doivent être interprétées strictement, puisqu'elles sont sanctionnées pénalement, cela n'exclut pas la prise en compte du message général diffusé par la publicité.

C'est d'ailleurs ce qui ressort, a contrario, de la décision de la Cour de cassation. En effet, celle-ci considère que :

"il résultait [des constatations de la Cour d'appel] qu'aucun des éléments litigieux ne constituait une simple indication et que, dans le contexte du jeu-concours présenté sur le site qui visait à promouvoir une image d'excellence des produits de la marque et à valoriser les consommateurs, les références à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit dépassaient les limites de l'objectivité"

Il faudrait ainsi comprendre que ces références ne dépassaient pas par nature les limites de l'objectivité mais uniquement "dans le contexte du jeu-concours". Les mêmes termes (à tout le moins certain et probablement pas le "chef d’œuvre") auraient ainsi pu être utilisés légalement dans un contexte différent.

Si les "limites de l'objectivité" sont difficiles à établir, on perçoit en revanche bien la très grande subjectivité de la matière et, par voie de conséquence, l'insécurité juridique dans laquelle sont placés les opérateurs.

A l'exception de situations outrancières dont l'appréciation juridique est facile, la publicité pour l'alcool suppose non seulement de choisir avec précision les termes employés, mais encore d'en apprécier le sens au regard du message global de la publicité concernée. Et, si la publicité - qui vise somme toute à vanter un produit - pour les "boissons alcooliques" est légale, l'annonceur devra toutefois veiller à ce que le "contexte" de la publicité ne soit point trop positif.

Il est possible que cette insécurité juridique constitue un pis-aller pour les producteurs, préférable à une interdiction totale qui aurait certes le mérite de la clarté. Il est possible également qu'elle satisfasse l'ANPAA, par l'inconfort dans lequel elle maintient les annonceurs. Mais elle est génératrice d'une forme d'injustice, entre ceux qui peuvent assumer les conséquences financières d'une interdiction et ceux qui ne le peuvent pas. Et elle ne peut, en tout état de cause, pas satisfaire le juriste...

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