Interdiction d'exercer la médecine pour les professeurs Even et Debré : quand la profession médicale vire au totalitarisme par absence d'auto-critique<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Pr Philippe Even et Bernard Debré ont été sanctionnés pour avoir écrit un livre controversé.
Les Pr Philippe Even et Bernard Debré ont été sanctionnés pour avoir écrit un livre controversé.
©Reuters

Fin d'exercice forcé

Les Pr Philippe Even et Bernard Debré ont été sanctionnés par l'Ordre des médecins pour leur livre controversé "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" par un an d'interdiction d'exercer la médecine, dont six mois avec sursis.

Nicole  Delépine

Nicole Delépine

Nicole Delépine ancienne responsable de l'unité de cancérologie pédiatrique de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré à Garches( APHP ). Fille de l'un des fondateurs de la Sécurité Sociale, elle a récemment publié La face cachée des médicaments, Le cancer, un fléau qui rapporte et Neuf petits lits sur le trottoir, qui relate la fermeture musclée du dernier service indépendant de cancérologie pédiatrique. Retraitée, elle poursuit son combat pour la liberté de soigner et d’être soigné, le respect du serment d’Hippocrate et du code de Nuremberg en défendant le caractère absolu du consentement éclairé du patient.

Elle publiera le 4 mai 2016  un ouvrage coécrit avec le DR Gérard Delépine chirurgien oncologue et statisticien « Cancer, les bonnes questions à poser à mon médecin » chez Michalon Ed. Egalement publié en 2016, "Soigner ou guérir" paru chez Fauves Editions.

 

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Liberté, j’écris ton nom ….         

et par le pouvoir d’un mot –

je recommence ma vie – je suis né pour te connaître – pour te nommer : Liberté.[1]

La liberté d’expression mise à mal une nouvelle fois en France par la condamnation à un an de suspension d’exercice de deux professeurs éminents (retraités !), les Pr Even et Debré pour leur livre dénonçant la gabegie médicamenteuse française qui ruine la sécurité sociale – dix milliards d’économies d’euros au minimum possible rapidement – ne peut que révolter et conduire à dénoncer une nouvelle fois la partialité des instances ordinales et la perte de la possibilité de dévier d’un iota de la pensée unique au service du lobby politico-médico pharmaceutico-médiatique.

Bernard Debré professeur d’université urologue réputé, député recevant le président Mitterrand dans le service dont il héritera à Cochin, Philippe Even ancien doyen de la prestigieuse faculté parisienne Necker – Enfants malades jalousée de tous et patron de l’Institut de recherche Necker, travailleur acharné, deux grands pontes reconnus depuis plus de 40 ans sommés de se taire ! Même eux ! Sanctionnés soi-disant à propos d’un livre scientifiquement incontesté, en dehors des lobbies, y compris par l’Ordre qui les condamne !

Faudra-t-il bientôt parachuter le poème d’Eluard comme durant la seconde guerre mondiale au-dessus des maquis pour soutenir le moral des résistants en 1942, cette fois au-dessus des hôpitaux et cabinets médicaux pour que les médecins encore prescripteurs (si peu néanmoins, robotisés par les recommandations dictées par les lobbies) décident de reprendre la main, de dénoncer l’attaque de leur indépendance professionnelle pourtant encore gravée dans le code de déontologie.

Il est temps de les faire taire ces professeurs qui se croient autoriser à penser, depuis toutes ces années pendant lesquelles leur liberté de parole dans leurs livres de plus en plus écoutés insupportent ces messieurs de la pensée unique, de la médecine robotisée et gouvernée par la médecine dite des preuves imposée aux médecins via les recommandations de plus en plus obligatoires tant en médecine de ville qu’à l’hôpital et défendues par l’Ordre.[2] Or ces recommandations reposent sur les seuls essais cliniques tirés au sort. Les anciennes études sont considérées comme ringardes par la médecine "new age" au service de l’argent plus que du patient  et les essais ouverts refusés pour publication. Évidemment Even et Debré dénoncent ces impostures pseudoscientifiques dictées par les lobbies pharmaceutiques et leurs complices dans le monde  médical et politique. Il faut finir par les faire taire !

On ne leur a probablement pas pardonné les précédents livres dont le fracassant "Avertissement aux malades, aux médecins et aux élus"[3] certes étouffé sous le boisseau mais dont les analyses percutantes devaient déjà mettre en rage les lobbies tous puissants de l’alliance lobbies politico-médico médiatico-pharmaceutiques qui ont pris le pouvoir au début du nouveau siècle de façon hégémonique et de plus en plus totalitaire. Dans ce livre prémonitoire des évolutions catastrophiques qui se sont malheureusement réalisées, ils dénonçaient entre autres la bureaucratie galopante dans les hôpitaux publics et déjà les dérives éthiques des essais cliniques. "Les malades vont donc servir de cobayes. Une telle méthode... sacrifie l'éthique individuelle au nom de l'éthique collective. Elle sacrifie le patient d'aujourd'hui au nom d'un éventuel bénéfice pour les patients futurs...

Je n'ai jamais accepté de faire entrer aucun patient dans de tels essais, parce que je ne l'aurais pas accepté pour ma famille ou pour moi et parce que toute l'histoire de la médecine montre que jamais, je dis bien jamais aucun de ces essais n'a été la source d'un progrès sensible et que beaucoup ont été contredits quelques années après, ... car la plupart d'entre eux n'aboutissent qu'à des résultats incertains ou erronés.

Il est rare qu'un nouveau médicament soit introduit dans un désert thérapeutique, et, lorsqu'il est, les essais ouverts sont bien suffisants. Toutes les grandes thérapeutiques des années 1950-1975 se sont imposées par leur efficacité même, sans le besoin de ces appareillages dont la lourdeur n'aurait fait que les retarder..."

Comment leur pardonner de tels propos à l’heure où le plan cancer veut imposer à tous les patients cancéreux l’inclusion dans les essais cliniques le plus  souvent randomisés (avec tirage au sort) ? Comment ne pas tenter de les décrédibiliser quand l’Institut national du cancer se fixe comme objectif l’augmentation significative d’adultes atteints de cancer dans les essais et surtout quand la bureaucratie a fini à travers les lois successives (de la circulaire sur l’organisation du cancer en 2004, décrets 2007 puis loi HPST) par imposer un monopole du traitement du cancer en France par le biais des accréditations (autorisations de traiter les cancéreux) et de la médecine collective des réunions multidisciplinaires qui permettent qu’aucun patient ou presque n’échappe au système.

Ils ont dénoncé la perversion marchande du système et ce système est devenu monopolistique. On ne pardonne pas à ceux qui vous ont démasqué... "Dans la réalité les essais sont utilisés par l'industrie pharmaceutique pour s'ouvrir de nouveaux marchés et c'est pourquoi elle les finance......Les grands essais s'insèrent donc dans une démarche industrielle au service d'intérêts commerciaux. Certains incluent 19 ou 20000 patients suivis pendant plusieurs années. Leurs coûts se chiffrent en centaines de millions de dollars. Et il y a actuellement dans le monde des centaines d'essais qui vont coûter des dizaines de milliards

Qu'importe, l'essai qui réunit des milliers de malades... peut bien coûter ce prix, c'est sans importance puisqu'il va ouvrir des marchés de plusieurs milliards. Au pire ; on vendra le médicament plus cher...

...Tous les moyens sont bons pour l'industrie et en particulier l'utilisation de multiples pièges statistiques et l'élimination des résultats gênants, en particulier en matière de toxicité avec la complicité active ou passive des médecins, plus ou moins conscients d'être manipulés, qu'elle stipendie directement ou indirectement, en argent ou en promotion, car son argent ouvre ou ferme bien des portes...

Ce n'est donc pas l'intérêt des malades qui motive les laboratoires pour engager de tels financements, mais l'intérêt commercial, et les deux ne sont pas nécessairement liés..."

A l’heure où le ministère de la santé via  plan cancer depuis 2003 impose à la sécurité sociale dont ce n’est pas le rôle de rembourser à 100 % les molécules dites innovantes en essai thérapeutique précoce [4] avant obtention de l’autorisation de mise sur le marché à des prix non négociés mille fois plus chers que l’or transformant le patient confiant en cobaye et la sécurité sociale en vache à lait pour l’industrie, comment pardonner à ces pontes d’avoir rompu la loi du silence alors qu’ils étaient du sérail. Même moi simple praticien hospitalier j’avais été mise en garde par un directeur de centre anticancéreux en 1993 "on sait que tu guéris tes osteosarcomes, on te fiche la paix si tu ne publies pas", la comparaison avec les résultats très inférieurs des essais cliniques ne devait pas se savoir. Un autre patron de centre anticancéreux, quelques années plus tard a écrit dans une lettre demandant la disparition de notre service que "tout le monde savait que les essais cliniques donnaient des résultats inférieurs en moyenne aux traitements individualisés mais qu’il ne fallait pas que le public le sache"… Alors quand des pontes dénoncent le système ou au moins ses dérives  leur parole plus respectée est encore plus dangereuse … et ils récidivent … les capos du système doivent tenter de les faire taire.

Comment pardonner à Bernard Debré d’avoir dénoncé dès le début la "grippette H1n1" qui coutera la bagatelle de 2 milliards d’euros à la sécurité sociale dont on creuse volontairement le trou ?

Comment pardonner à Philippe Even d’avoir insisté sur  l’inutilité jointe à la dangerosité des statines qui coutent également deux milliards d’euros annuels à la sécurité sociale livre dans lequel il dénonçait les etudes truquées comme dans le guide des médicaments inutiles.

"Etudes truquées" "Nous n’avons pas inventé nos conclusions. On a cherché à voir ce qu’il y avait derrière les études des laboratoires pharmaceutiques", explique Bernard Debré. "Personne ne sait que les labos trichent", affirme-t-il. Il prend en exemple le cas du laboratoire Roche qui risque une amende record pour n'avoir pas analysé plusieurs milliers de rapports concernant les effets secondaires de 19 de ses médicaments. "Entre 2010 et 2012, aux États-Unis, les laboratoires ont payé 13 milliards de dollars d’amende pour avoir triché."[5]

On pourrait encore citer la rage de beaucoup  contre Philippe Even pour sa rugueuse et pertinente analyse de la recherche médicale en France. Alors on comprend mieux qu’au temps de la dictature montante et de l’interdiction de penser "autrement" que ce que dicte le pouvoir politique et ses serviteurs il faille les faire taire. Quel organisme plus adapté que l’ordre des médecins créé sous Vichy et dont Mitterrand avait promis la suppression. La regrettée Sylvie Simon a bien démontré dans un de ses derniers livres les persécutions de cette survivance des années honteuses, contre les médecins qui osent penser, voire agir de façon quelque peu différente. Citons cette pédopsychiatre finalement exilée qui avait été condamnée à trois fois trois ans d’interdiction d’exercice pour avoir signalé des abus sexuels sur des enfants… elle fut réhabilitée mais carrière et vie brisée. L’ordre était passé par là.

Dans le même temps les lobbies ont gagné la bataille de la transparence en dénaturant la loi Bertrand de 2011 sur les conflits  d’intérêt

Cohérent et atterrant. Perte de liberté de soigner, perte de liberté de parler, de penser, censure autoritaire et infondée, la dictature est en marche et il serait grand temps de se réveiller, de réagir, de récuperer le pouvoir du peuple avant que celui-ci n’envisage plus qu’une issue sanglante comme on le voit fleurir déjà dans trop de blogs.

La loi Bertrand votée suite au scandale du médiator en décembre 2011devait permettre une transparence améliorée à même de crédibiliser la parole des "experts" dont les multiples casquettes –professeur – investigateur – conseiller de labo et d’agence etc. avait fini par être trop évidentes. La loi tant attendue promettait La publication des liens d’intérêts liant professionnels et industries de santé.

Les premières publications sur les sites des ordres professionnels  et des entreprises sont consultables seulement depuis octobre 2013. Mais un nouveau projet de décret du gouvernement menace déjà de "fermer cette fragile parenthèse de transparence" selon le site de formindep, en reportant à octobre 2015 la mise en ligne de nouvelles données sur un site public ! au-delà de ce retard inexcusable, selon l’ordre des médecins seulement 10 % des entreprises concernées ont mis en ligne des informations, proportion identique pour la publication des liens avec les associations de patients !

Et seulement une entreprise sur deux fournit aux ordres des données sous une forme lisible et exploitable. Les sites des entreprises fournissent des "données éparpillées le plus souvent sous forme d’annuaires géants composés de fichiers non indexés pouvant atteindre plusieurs centaines de pages  in consultables de fait sans pages numérotées sans index sans ordre sauf aléatoire"… De qui se moque-t-on ? comment le pouvoir politique accepte-t-il de ridiculiser ainsi les représentants du peuple qui ont voté ? evidemment  big pharma ne s’empresse pas de montrer les "millions dépensés en déjeuners, les réunions de "formation" à visée marketing, les noms des experts "conseillers en communication" qui interviennent sur les plateaux de télévision sans jamais mentionner leurs liens."[6]

Le pire est que le gouvernement actuel bloque la mise en place de cette loi avec la disparition de l’obligation de déclaration des liens les plus significatifs et problématiques : contrats de consultants aux montants occultés, voire contrats non déclarés, pour peu que l’entreprise ou le médecin bénéficie des diverses brèches introduites par le décret gouvernemental.

En bref vous êtes médecin invité à déjeuner par un labo pour 30 euros vous devez le déclarer ainsi que le labo mais si vous avez un "contrat" cela relève du droit commercial et là des milliers d’euros en cause n’ont pas à être déclarés… De qui se moque-t-on une nouvelle fois ? aucun respect pour le citoyen le malade et même nos élus ? que devient notre démocratie ?

Le rapport de l’IGAS soulignait en 2008 "la forte opacité" des rémunérations des médecins hospitaliers par les firmes. Rien n’a changé en 2014. Selon la formule du Conseil national de l’ordre, le décret  vidé de l’essentiel, permet de "savoir tout des croissants, rien des contrats".

La loi dite sunshine était censée également faire la transparence sur les sociétés commerciales, sociétés savantes et autres associations de services hospitaliers, financées en quasi-totalité par les firmes qui relaient  leurs actions de "formation" entre autres. Rien à ce jour dans les faits.

Rapporté encore par l’article du Formindep l’opacité sur les associations hospitalières qui "fonctionnent dans des conditions très opaques au bénéfice de certains médecins praticiens hospitaliers, et cette opacité pourrait masquer des dérives, par exemple à travers la prise en charge de dépenses personnelles. De plus la gestion de ces structures consomme du temps de travail des praticiens dont on peut penser qu’il serait mieux employé dans des activités plus en rapport avec leurs compétences." (IGAS  2008).

Il semble que la tolérance du Conseil de l’ordre des médecins pour cette opacité permettant toujours en 2014 des formations au soleil acceptant les familles des congressistes soit tout à fait curieuse eu égard à la sévérité des sanctions contre d’éminents professeurs qui ont fait leur travail en leur âme et conscience.

Réveillons-nous, ne laissons pas notre démocratie disparaitre au profit de quelques lobbies et minorités agissantes qui tiennent le pouvoir.



[1] Paul  Eluard 1942

[2] L a présidente fait référence à ces tables de la loi pour tenter de discrediter leur travail !quand on sait comment sont établies ces recommandations avec tant de conflits d’intérêt  bien décrits ailleurs cf site du formindep par exemple.

[3] 2001 ed ombres et lumières sur la médecine

[4] Molécules inscrites en toute opacité sur une liste dite « en sus » au ministère et payées directement aux établissements indépendemment de la tarification à l’activité. Deux milliards d’euros annuels. scandale dénoncé entre autres par le rapport de l’IGAS mais sans effet. Cela continue de plus belle.

[5][5] 20 MN interview bernard debré 15 fevrier 2013

[6] Formindep le sunshine act à la française 17 mars 2014

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