Incarcérer plus longtemps les multirécidivistes : vraie solution ou fausse bonne idée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'incarcération des délinquants multirécidivistes permet de prévenir de nombreux crimes et délits.
L'incarcération des délinquants multirécidivistes permet de prévenir de nombreux crimes et délits.
©Reuters

Bonnes feuilles

Xavier Bébin explique que l'incarcération des délinquants multirécidivistes permet de prévenir de nombreux crimes et délits. Cela pour une raison simple : une petite minorité de délinquants est responsable d'une très grande part des crimes et délits. Extrait de "Quand la justice crée l'insécurité" (2/2).

Xavier Bebin

Xavier Bebin

Xavier Bebin est secrétaire-général de l'Institut pour la Justice, juriste et criminologue. Il est l'auteur de Quand la Justice crée l'insécurité (Fayard)


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Pour les délinquants endurcis, toutefois, la perspective d’être incarcéré n’est pas vraiment dissuasive.Un passage en prison fait partie des risques du métier. Pis, il peut contribuer à renforcer leur statut de caïd. D’où les doutes de juges, et même de policiers, sur l’efficacité dissuasive de la prison, car ils ne cessent d’interpeller ou de juger ceux qui n’ont pas été dissuadés, alors qu’ils ne revoient jamais ceux qui ont interrompu leur carrière délinquante de peur d’aller en prison !

Mais contrairement à une idée reçue, même pour ces profils endurcis que la peine ne dissuade plus, la prison n’est pas inefficace pour autant. C’est même le contraire : l’incarcération de ces profils permet de prévenir de nombreux crimes et délits, y compris les plus graves, homicides, viols et violences graves.Cela pour une raison simple, peu connue du grand public, alors qu’elle est établie par la criminologie depuis les années 1970 : une petite minorité de délinquants est responsable d’une très grande part des crimes et délits. Parmi les nombreuses études qui appuient ce constat, citons une enquête datant de 1986, réalisée à partir d’entretiens avec des détenus californiens condamnés pour vol avec violence. La moitié d’entre eux commettaient en moyenne moins de quatre délits par an, tandis que 5 % d’entre eux avaient avoué en commettre plus d’une centaine.

De nombreuses enquêtes ont confirmé ce phénomène, notamment dans le monde francophone. À Montréal, 5 % d’un échantillon représentatif d’adolescents étaient responsables de plus de 60 % des délits commis par les membres de cet échantillon. En France, Sebastian Roché a réalisé à la fin des années 1990 une enquête à l’aide d’un questionnaire portant sur un échantillon de 2 300 écoliers de treize à dix-neuf ans : 5 % d’entre eux se déclarent les auteurs de 48 % des petits délits et de 86 % des délits graves avoués par tous les répondants.

Par simplicité, et en raison de la remarquable similarité des ordres de grandeur trouvés dans les différents pays, on dit généralement que 5 % des délinquants sont responsables de plus de 50 % des crimes et délits. Cette observation a une conséquence considérable : elle signifie que, lorsque les individus appartenant à ces 5 % sont en prison, le nombre total de crimes et délits commis dans la société est très largement réduit. Chaque année passée par l’un de ces délinquants endurcis en prison réduit mécaniquement le nombre d’infractions graves. Cette observation est d’ailleurs confirmée par le ressenti de nombreux élus de quartiers difficiles, qui constatent que le quartier est nettement plus calme lorsque le « caïd » est en prison. La fonction de neutralisation a donc un sens pour les délinquants d’habitude, et pas seulement pour les grands criminels. Lorsque l’on a affaire à un délinquant multiréitérant, chaque année de prison permet d’éviter un certain nombre de crimes et délits. Et ce même s’il a naturellement vocation à sortir de prison et à se réinsérer dans la société.

La caractéristique de ces délinquants suractifs est de commettre des délits nombreux et variés : vols, violences, dégradations, agressions sexuelles. En France, 19 000 individus sont connus par les forces de l’ordre pour plus de cinquante affaires chacun : ceux-là forment ce noyau dur de la criminalité. Ils ne commettent pas seulement des « petits » délits. Ces délinquants suractifs commettent proportionnellement encore plus de crimes et délits graves (viol, agression avec l’intention de tuer ou blesser grièvement, vol avec violence) que les autres délinquants. On retrouve ici les chiffres de Sebastian Roché : les 5 % qui causent près de 50 % de la totalité des délits sont aussi responsables de plus de 80 % des délits les plus graves.

Ainsi, la prison fait mécaniquement reculer la criminalité. Plus elle détient un nombre important de ces délinquants suractifs, plus la société est sûre. Et contrairement à une idée reçue, cette neutralisation ne fait pas que « repousser » le problème au moment où ils sortiront de prison. Plus ces délinquants sont condamnés à des peines élevées, moins ils passent de temps en liberté, et moins ils peuvent commettre de délits au long de leur carrière criminelle. Il y a de surcroît un effet d’âge qui fait que la majorité d’entre eux cessera son activité criminelle passé trente ans. Non parce que la Justice a fini par réussir à les « réinsérer », mais parce que, l’âge aidant, ils finissent par avoir envie de « se poser », tendent à se mettre en couple et à avoir des enfants.

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Extrait de "Quand la justice crée l'insécurité" (Fayard) 10 avril 2013

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