Immigration : l’Europe ne se construira pas sur la déconstruction des nations <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau.
Le président du groupe Les Républicains au Sénat, Bruno Retailleau.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Union européenne

Une tribune de Bruno Retailleau.

Bruno Retailleau

Bruno Retailleau

Bruno Retailleau est sénateur (élu en Vendée), président du groupe Les Républicains au Sénat et président du mouvement Force Républicaine, fondé en 2002 par François Fillon.

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Après qu’avec Éric Ciotti et Olivier Marleix, nous ayons proposé l’instauration d’un bouclier constitutionnel sur l’immigration, Sacha Houllier, Président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale, a poussé le ridicule jusqu’à affirmer que « LR veut un Frexit ». Ces propos ont au moins le mérité de la clarté : en Macronie, le fédéralisme européen tient lieu de dogme. Le remettre en cause, c’est se mettre du côté des anti-européens. Mais c’est précisément ce manichéisme absurde qui éloigne toujours plus l’Europe des peuples qui la composent. Et c’est pourquoi nous refusons que, dans le dos des peuples européens, des instances ou des juridictions européennes s’arrogent un pouvoir quasi-fédéral, au détriment de celui des Etats. Ainsi en septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle sanctionné la France pour ne pas avoir rapatrié toutes les épouses de djihadistes partis se battre avec l’Etat islamique. Qui dessert l’idéal européen ? Ceux qui, au nom de « l’état de droit », soutiennent cette décision irresponsable, alors que notre pays est aux prises avec l’hydre islamiste ? Ou bien ceux qui, comme nous, la dénoncent, au nom du droit de la France à protéger les Français ?

A vrai dire, ce débat est consubstantiel à l’Union européenne. Car celle-ci s’est construite sur une tension originelle entre la protection des souverainetés et la primauté donnée aux « valeurs » ; les secondes justifiant aujourd’hui que l’Europe enjambe les premières. Cette tension est d’ailleurs présente au sein même du traité sur l’Union européenne (TUE). Car si le TUE reconnait, dans son article 4, que l’Union « respecte l’identité nationale des Etats membres », il affirme cependant dans son article 2 que celle-ci est « fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit (…) Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes ». Egalité, tolérance, refus des discriminations : autant de grands principes et de bonnes intentions qui dessinent un domaine assez flou pour permettre des empiétements sur le domaine souverain des Etats. Autrement dit, c’est l’indéfinition même de ce que l’on entend par « état de droit » qui permet l’extension indéfinie des pouvoirs du juge ou même du commissaire européen. 

S’ajoutent à cela deux éléments fondamentaux qui favorisent ce qui s’apparente bien, du point de vue de la démocratie et de la nation qui en constitue le cadre, à des excès de pouvoir.

Le premier est de nature politique : l’UE tend de plus en plus à s’arroger « la compétence de ses compétences », au mépris du principe de subsidiarité pourtant inscrit dans les traités. Que dans certains domaines ou face à certains évènements, l’UE puisse aller au-delà de ses compétences n’est pas, en soi, forcément condamnable. Nous l’avons vu pendant le Covid. Mais précisément : l’action européenne face à la pandémie fut d’abord le produit d’une délibération des chefs d’Etat et de Gouvernements, c’est-à-dire d’actes souverains. Sans le préalable de la souveraineté, toute extension de compétence perd toute légitimité démocratique : il n’est écrit nulle part dans les traités que l’Union puisse, d’elle-même et sur la base de son seul bon vouloir, intervenir dans des domaines qui ne sont pas les siens. Et encore moins pour faire la promotion de valeurs qui ne sont pas les nôtres, comme lorsque la Commission européenne a financé une campagne de communication affirmant que « la liberté est dans le hijab » ! Communication qui n’est rien d’autre qu’une capitulation. Car promouvoir le hijab, c’est faire, en définitive, le jeu d’un Islam radical dont la stratégie est claire : retourner l’argumentaire libéral contre nos démocraties, se parer du voile de la liberté pour voiler les femmes.

Le second élément qui favorise cette dérive est de nature culturelle : l’Europe subit depuis des années une acculturation au droit anglo-saxon. Celui-ci a toujours nourrit une méfiance instinctive à l’égard de l’Etat, suspect de vouloir empiéter sur les droits et les libertés des individus. Cette conception anglo-saxonne pose aujourd’hui de vraies difficultés tant le besoin de protection est devenu vital pour les citoyens : dans une Europe livrée à tous les vents économiques, migratoires et sécuritaires, ceux-ci attendent d’abord de l’Etat qu’il les protège, non qu’il les expose. Exposer les citoyens au nom des droits fondamentaux, c’est pourtant ce que font certaines juridictions et institutions européennes. Car c’est au nom des droits fondamentaux que la CEDH remet régulièrement en cause l’expulsion de terroristes ou de délinquants étrangers, qui pourraient subir de mauvais traitement dans leurs pays d’origine. C’est également au nom des droits fondamentaux que l’ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, s’est vu débarqué de ses fonctions parce qu’il mettait en œuvre une politique de protection des frontières s’apparentant, selon certains, à un « push back » de migrants.

Mais l’on aurait tort de croire que cette interprétation radicale des droits s’arrête aux limites régaliennes de l’immigration ou de la sécurité. En réalité, rien n’échappe à l’extension du domaine supranational. Pas même la Défense, pré-carré des Etats, cœur de la souveraineté nationale. Ainsi en juillet 2021, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a-t-elle décidé que la directive sur le temps de travail dans l'UE pouvait s'appliquer aux militaires, alors même que l'article 4 du traité sur l'Union européenne (TUE) assure que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. Preuve supplémentaire que ces cours jurisprudentielles font dire aux textes européens ce qu’en réalité, ils ne disent pas. Même les ordonnances Travail, seule bonne réforme d’Emmanuel Macron, se sont retrouvées dans le viseur européen : le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe (CEDS) a ainsi considéré en septembre dernier que le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement injustifié constituait une « violation » de la Charte sociale européenne. Le mouvement est donc profond et il s’étend à tous les domaines de la vie des peuples.

Le constat posé, une question surgit : peut-on s’opposer à ce « fédéralisme clandestin », comme l’avait qualifié Raymond Aron, sans être accusé d’être de « mauvais européens » ? Pour ma part, je considère que ces empiétements de souveraineté ne font que desservir la cause européenne : que des juridictions ou des institutions aillent bien au-delà de l’esprit des traités, remettent en cause les principes de souveraineté et de subsidiarité, prennent des décisions contraires aux attentes majoritaires des peuples, ne peut que nourrir le sentiment anti-européen. Il n’y a pas pire ennemi pour l’Europe que cette dérive fédérale masquée, qui veut tout régenter mais ne rend compte de rien. Du reste, certains Etats l’ont bien compris et n’hésitent plus à faire valoir leurs choix souverains. Allemagne en tête. Ainsi la cour de Karlsruhe a clairement écarté toute primauté absolue du droit européen sur l'ordre juridique allemand. C'est d’ailleurs sur ce fondement qu’elle s'est opposée en 2020 à la CJUE, au sujet de la politique d'achat de titres de la BCE. Pourquoi ce qui serait possible pour l’Allemagne ne le serait-il pas pour la France ? Quelle « valeur » justifierait que Berlin réaffirme sa souveraineté et que Paris délaisse la sienne ?

La France n’a pas à en rabattre sur ses exigences et son indépendance. Notre pays doit, lui aussi, poser des limites aux dérives fédéralistes. Examinons les possibilités qui s’offrent à nous. Renégocier les traités ? Sortir de la CEDH et n’y réadhérer qu’avec des réserves ? Ces approches nous entraineraient sur un chemin excessivement long et terriblement complexe. En réalité, la voie de passage n’est pas diplomatique mais constitutionnelle : seule une révision de notre Constitution permettrait à la France de se prémunir rapidement et efficacement contre ces dérives. C’est précisément cette voie qu’avec Éric Ciotti et Olivier Marleix, nous préconisons d’emprunter sur l’immigration. Ainsi proposons-nous d’inscrire dans la Constitution la possibilité, dans des conditions très strictes, de déroger à la primauté des traités et du droit européen avec une loi organique, votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ou approuvée par référendum, quand les intérêts fondamentaux de la Nation ou l’identité constitutionnelle de la République sont en jeu. Sur le référendum d’ailleurs, nous souhaitons une modification du texte constitutionnel afin que l’immigration puisse rentrer dans le champ de compétence de l’article 11 de la Constitution. Nous voulons également affirmer dans notre loi fondamentale le refus des communautarismes, élever au rang constitutionnel le principe d’assimilation. Et poser les bases juridiques indispensables pour garantir la fermeté : permettre au Parlement de se prononcer chaque année sur des quotas, éloigner les délinquants étrangers ayant commis des crimes et délits, exiger que les demandes d’asile soient déposées en dehors de notre territoire.

Mettre en œuvre cette révision constitutionnelle exige de la classe politique qu’elle soit lucide et courageuse. Elle ne l’a pas été. A la lucidité, elle a trop longtemps préféré les œillères de la bien-pensance. Cet aveuglement a constitué un formidable carburant pour tous les démagogues, qui veulent renverser la table européenne. Nous ne le voulons pas. Et c’est en Européens convaincus autant qu’en patriotes résolus qu’aujourd’hui nous mettons en garde : construire l’Europe sur la déconstruction des nations est le meilleur moyen de transformer le projet européen en rejet par nos concitoyens. Ecoutons-les, lorsqu’ils s’expriment aux élections ou à travers les enquêtes d’opinion : l’Europe qu’ils veulent, c’est l’Europe qui protège ses nations et défend sa civilisation.

Bruno RETAILLEAU

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