Humiliation à Air France : quand la violence symbolique des vêtements arrachés choque plus encore que la violence physique
Mis à nu par les salariés de sa propre entreprise, le DRH Xavier Broseta a été humilié devant le monde entier. Les photos des événements du lundi 5 octobre à Air France le montrent fuyant les manifestants, torse-nu, destitué à la fois de son statut social et du respect qui incombe à chaque être humain. Une pratique qui n'est pas sans rappeler celle des lynchages qui avaient cours pendant des heures sombres de notre Histoire.
Atlantico : Lundi 5 octobre, pendant la réunion d'un comité central d'entreprise (CCE) d'Air France, le DRH Xavier Broseta a été mis à nu par les salariés grévistes. Ce geste, ainsi que les images qui en découlent, ont provoqué l'émoi. Comment expliquer que l'image d'un homme déshabillé choque presque plus que certains gestes de violence physique dans d'autres circonstances (jet d'oeufs, bousculade, etc) ?
Jean-François Amadieu : Ces images évoquent d’assez près les scènes de lynchage dans lesquelles les vêtements sont souvent déchirés. Un syndicaliste présent indique d’ailleurs que les cadres auraient échappé à un véritable lynchage. Par ailleurs, le passage du cadre en costume à l’homme déshabillé est très inhabituel en étant dégradant pour ceux qui en sont victimes. Surtout, la mise à nu est un traitement indigne qui rappelle les pires heures de notre histoire.
Pendant l'évènement, plusieurs responsables syndicaux auraient scandé le slogan "à poil !". En quoi, dans une société où la nudité est pourtant commune, le fait de retirer le costume d'un DRH peut-il représenter une humiliation profonde ? Et à travers lui une humiliation pour ce qu'il représente ?
Le fait de montrer son torse à la plage n’a rien de commun avec le fait d’être forcé à le faire et, si nos sociétés montrent souvent les corps, elles n’admettent pas cette forme de violence. La mise à nu vise à humilier les individus, à les dégrader. Le slogan qui aurait pu être une simple provocation (nous perdons nos emplois, comme déshabillés par les mesures annoncées et vous allez faire de même) a été interprété au premier degré et mis en œuvre par quelques-uns. Ce faisant, la négation de la distinction entre l’homme et la fonction est complète alors que cette distinction est à la base des relations sociales.
Les photos de l'événement se sont rapidement diffusées sur la toile et dans les médias. Le choc provoqué par ces images est-il susceptible de faire évoluer l'opinion ? Dans quel sens et comment cela pourrait-il peser sur les débats ?
Les français ont cette singularité de soutenir massivement les grévistes et les manifestations. Ils valorisent le conflit et le rapport de force plus que la négociation. Ils tolèrent aussi les actions dures et illégales comme les séquestrations lorsqu’il s’agit de défendre des emplois (des sondages ont montré en 2009 que la moitié des français les trouvaient légitimes). Mais, la diffusion il y a un an de vidéos de cadres de Goodyear séquestrés et apostrophés, comme les vidéos de lundi au siège d’Air France, plus choquantes encore, devraient faire évoluer l’opinion des français au sujet des formes radicales d’action sociale. Jusqu’alors le durcissement des conflits restait relativement désincarné, ce n’est plus le cas.
Plus généralement, y a-t-il d'autres exemples dans l'histoire française où la force de l'humiliation ou de la dégradation sociale est matérialisée par une atteinte symboliques au costume, à l'uniforme ou à l'esthétique ?
Arracher des éléments d’un uniforme, dénuder et exposer publiquement les individus, déshabiller et raser les cheveux, on pourrait multiplier les exemples de ces traitements dégradants et déshumanisants dont la période de la dernière guerre mondiale a notamment été l’occasion.
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