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Hooliganisme, mouvements de troupe et puissance militaire, mais que cherche à faire Vladimir Poutine ?
©Reuters

L'escalade de la provocation

L'arrestation et la reconduite à la frontière d'hooligans russes par les autorités françaises dans le cadre de l'Euro 2016 sont perçues par les autorités russes comme une énième provocation de la part des Occidentaux destinée à "humilier" personnellement Poutine, et plus généralement la Russie.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Réagissant aux actes de violence entre supporters lors de l'Euro 2016, Vladimir Poutine a également déclaré : "Je ne comprends pas comment 200 de nos supporters ont pu passer à tabac plusieurs milliers d'Anglais". L'ambassadeur de France à Moscou avait par ailleurs été convoqué suite à l'arrestation de supporters russes. Comment expliquer la réaction du chef du Kremlin ? En quoi l'Euro 2016 est-il pour lui un enjeu ?

Alain Rodier : Les réactions des autorités françaises faisant suite aux violences survenues entre hooligans russes et britanniques lors de l’Euro 2016 constituent pour Vladimir Poutine le énième évènement destiné à l’ "humilier" personnellement et, à travers sa personne, la Russie. C’est ce qui peut expliquer sa vive réaction (la convocation de l’ambassadeur de France en poste à Moscou) à ce qu’il considère comme étant une provocation supplémentaire surtout de la part des autorités françaises qu’il ne tient pas en très haute estime. Mais cela restait somme toute limité dans la mesure où il a même ironisé "Les violences entre les fans russes et anglais, c'est n'importe quoi […] Cela dit, je ne comprends pas comment deux cents de nos supporteurs ont pu passer à tabac plusieurs milliers d'Anglais". Par contre, il a fort à parier que les réactions à la décision de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) d’exclure la Russie de ses épreuves aux Jeux Olympiques de Rio risquent d’être plus tranchées même si le Comité international olympique (CIO) minore cette mesure en laissant concourir les athlètes russes jugés "propres" de tout dopage. Le fait qu’ils devront défiler sous une bannière "neutre" et pas sous le drapeau russe risque d’être extrêmement mal vécu.

Tout d’abord sur les faits eux-mêmes :

- les supporters russes ont effectivement fait preuve d’un comportement extrêmement agressif - et curieusement très professionnel - à Marseille puis à Cannes même si leurs homologues britanniques sont bien loin d’être des angelots et que les torts semblent être partagés ;

- le dopage est une vieille tradition des ex-pays de l’Est, certaines championnes ayant même été soupçonnées dans le passé d’être des hommes (depuis 1968, des tests de féminité sont pratiqués) ;

- les autorités russes ont pour le moins pas facilité les enquêtes concernant le dopage en cours, pour ne pas dire qu’elle se sont parfois livrées à une obstruction éhontée ce qui n’est pas pour aider les rapports avec les instances sportives internationales.

En résumé, les autorités russes ne sont absolument pas irréprochables en ce qui concerne l’affaire du dopage et des enquêtes qui ont suivi.

Quelle image espère-t-il transmettre, que ce soit à l'opinion publique russe ou plus généralement sur la scène internationale ?

Je pense que le président russe tente de démontrer à son opinion qu’il ne se laisse pas faire par ce qu’il considère comme étant des "provocations systématiques et répétées" de l’Occident emmené en sous-main par Washington. Pour lui, l’affaire est claire, les Etats-Unis n’ont de cesse de déstabiliser la Russie de manière à empêcher ce vieil ennemi de regagner la puissance perdue en lui interdisant de renouer avec une économie florissante. Il ne veut voir dans l’attitude des Occidentaux, et particulièrement de l’OTAN, qu’une volonté d’ "encerclement" (peur ayant toujours existé dans l’inconscient russe, puis soviétique) en déployant aux marches de la Russie des bases et en permettant à de nombreux ex-pays de l’Est de rejoindre l’Alliance. Il est vrai que quoiqu’en dise la légende, aucun accord écrit ne vient confirmer que l’OTAN avait promis à Moscou de ne pas s’étendre après la disparition du pacte de Varsovie. De plus, l’OTAN n’avait pas été fondée en 1949 pour contrer le pacte de Varsovie apparu en 1955, mais l’inverse. Donc la dissolution de ce dernier n’impliquait pas automatiquement celle de l’Alliance.

De plus, officiellement, l’OTAN ne fait que répondre aux demandes de sécurité de la Pologne et des pays baltes qui craignent de connaître un destin à l’ukrainienne. Il est vrai que ces pays ont un souvenir douloureux de la domination soviétique qui les a marqué pour longtemps. Il est donc aisé de comprendre la terreur viscérale qu’ils entretiennent vis-à-vis de l’ours russe.

Mais la succession d’actes considérés comme hostiles par Moscou ne cesse de s’allonger. En dehors des sanctions sportives considérées par les Russes comme politiques - mais sur le fond relativement mineures en dehors du côté psychologique de l’affaire - il y a eu surtout l’intégration dans l’OTAN de nombreux pays (1). Ensuite, c’est l’installation du bouclier anti-missiles destiné officiellement à parer à une éventuelle frappe visant l’Europe ou les Etats-Unis venant d’Iran (ou d’un autre Etat proliférateur). Tous les spécialistes de la chose militaire s’accordent à dire que ce bouclier peut à tout moment se tourner contre la Russie même s’il n’est pas dimensionné pour cette tâche. Moscou prétend aussi que les missiles défensifs installés peuvent être remplacés discrètement par des armes offensives. De plus, Washington a prévu de dépenser près de 16 milliards de dollars en 2017 (14,4 milliards d’euros) pour moderniser son arsenal nucléaire militaire. Ces dépenses devraient ensuite considérablement augmenter. Enfin, les gesticulations militaires de l’OTAN dont la dernière sont les manœuvres "Anaconda" qui réunissent en Pologne plus de 31 000 militaires de 24 pays avec un thème extrêmement clair : l'agresseur imaginaire appelé "l’Union des Rouges" qui a pour objectif les pays baltes et le Nord de la Pologne. Une "Union des Bleus" (l’OTAN) doit repousser les "petits hommes verts" en référence à ces hommes aux uniformes verts qui ont participé à l’annexion de la Crimée. Même du temps de la Guerre froide, il était interdit dans les états-majors (du moins français selon ce qu’a constaté l’auteur à l’époque) de parler d’ "ennemi rouge". Tout au plus était-il qualifié de "carmin". Il convenait alors d’éviter toute "provocation". Même le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier, s’inquiète du côté "belliciste" de ces manœuvres ! Enfin, les sanctions décrétées par l’Occident suite à l’annexion controversée de la Crimée se poursuivent (l’Union Européenne vient de les proroger pour un an).

1. L’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, les Pays Baltes, la Hongrie, la Pologne, la Moldavie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Tchéquie, la Bosnie-herzégovine, la Géorgie, le Monténégro et l’ancienne République de Macédoine frappent à la porte. L’Ukraine n’est plus candidate depuis 2010 mais cela pourrait changer en fonction de l’évolution de la situation.

En quoi cette stratégie pourrait lui être bénéfique ? Et quels en sont les risques ?

Après quinze ans passés au pouvoir, Vladimir Poutine continue d’être très populaire en Russie. Au début du mois de mars 2016 et selon le Washington Post non soupçonné de sympathie à l’égard du président russe, il recueillerait 83% d’opinions favorables auprès de ses concitoyens. Et en plus, de l’aveu dépité du journaliste, les chiffres ne sont même pas truqués ! Poutine sait que le peuple russe est animé d’un grand patriotisme qui se base sur la fierté du passé du pays, tous régimes confondus. Cela se situe à l’opposé de la repentance (1) cultivée par les "élites" européennes qui conduit les citoyens à avoir honte de leur Histoire, d’eux-mêmes et de douter de leur avenir.

Les Etats-Unis et l’Occident apportent quotidiennement à Poutine les arguments qui lui permettent de démontrer que la Russie est menacée par un adversaire extérieur (pas encore un ennemi mais cela ne saurait tarder). Il en résulte un anti-occidentalisme grandissant qui pousse les Russes dans les bras de leur président jugé comme le seul apte à répondre avec courage aux défis lancés.

Parmi les mesures de rétorsions engagées par le président Poutine à l’égard de l’Occident en général, de l’OTAN et des Etats-Unis en particulier, il y a un accroissement des actes d’espionnage si l’on en croit les arrestations de plus en plus fréquentes d’agents travaillant pour les services russes, dont le SVR (ancienne Première direction du KGB). Ainsi, un fonctionnaire des services de renseignement intérieurs portugais et son officier traitant russe ont été arrêtés lors d’un rendez-vous clandestin à Rome. Un ressortissant russe travaillant clandestinement pour le SVR vient d’être condamné à 30 mois de prison aux Etats-Unis. Ces deux officiers traitants sont rentrés à temps à Moscou. Il est vrai que les services américains pour leur part sont très pris par la surveillance de leurs alliés…

Quand les pays membres de l’OTAN, en particulier les Américains, envoient un de leurs navires ou de leurs avions faire du tourisme à proximité des frontières russes, ils s’étonnent que des aéronefs de l’armée de l’air russe osent venir les chatouiller d’un peu trop près en violant les règles de sécurité. De plus, Moscou a l’outrecuidance de rendre la pareille en dépêchant des sous-marins ou des bombardiers à long rayon d’action pour des excursions sportives en Europe du Nord ou entre la Grande-Bretagne et la France…

En ce qui concerne le sport, il faut s’attendre à une réponse musclée du président Poutine en n’oubliant pas que la Russie est pays organisateur de la Coupe du monde de football en 2018. L’équipe américaine risque de rencontrer quelques problèmes mais il est vrai que le football n’est pas un sport populaire aux Etats-Unis, donc l’impact psychologique devrait être moindre. Il n’est pas impossible que la Russie perde l’organisation de cette manifestation internationale en raison du comportement de ses hooligans. La National Endowment for Democracy (NED, Fondation nationale pour la démocratie) , fondation privée américaine à but non lucratif - mais financée par le Département d’Etat-  (2) travaillerait déjà sur ce sujet.

  1. (1) Repentance pour les croisades, la Sainte-Inquisition, l’esclavage, la collaboration, la colonisation, la décolonisation, l’exploitation des travailleurs, etc. Seule la "Révolution de 1989" trouve grâce aux yeux de beaucoup d’intellectuels "dominants" (il est vrai, aujourd’hui, remis en cause par d’autres intellectuels qui s’opposent au discours convenu). Sur tous ces sujets, de nombreux livres à charge et à décharge ont été écrits. A chacun de se faire son opinion.
  2. (2)  Son objectif déclaré est le renforcement et le progrès des "institutions démocratiques" à travers le monde. La NED a été très présente en Yougoslavie, puis lors des révolutions de couleur. Enfin elle a accompagné les printemps arabes avec les succès que l’on connaît. Elle serait très active en Ukraine.

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