Hollyfoutraques : Homeland, inspiration des vidéos de décapitation du Califat islamique ?

Atlantico : La dernière vidéo de l'Etat islamique montrant la décapitation du journaliste américain Steven Sotloff présente de nombreuses analogies avec le générique de la série Homeland. Quelles sont justement les similitudes que présente cette vidéo avec les mises en scène de la production cinématographique et télévisuelle hollywoodienne ? 

François-Bernard Huyghe : On voit en effet au début de la vidéo djihadiste, qui par ailleurs a été produite de manière intentionnellement très professionnelle, de nombreuses allusions avec la série Homeland. On retrouve dans chacune des deux vidéos des images de très mauvaise qualité du Président américain Barack Obama. Elles sont de mauvaise qualité comme pour créer une impression d’actualité brute, haletante et dramatique. De plus, dans les deux cas, Obama déclare que les Etats-Unis "seront vigilants", puis on voit son image qui se reflète dans un écran de télévision avec des caractères arabes qui symbolisent tout à fait la vantardise et les intentions de la puissance américaine, puis son impact sur le monde arabe.

Je vois dans l’utilisation de la série Homeland pour la vidéo djihadiste une double ironie. Le premier message qui est passé est la volonté de contrôle du monde des Etats-Unis, et plus précisément de Barack Obama qui visiblement échoue. Il dit clairement qu’il va venir à bout du djihad, alors qu’en réalité, cette vidéo est la preuve qu’il s’agit d’un échec total, tandis que le président américain se retrouve ridiculisé.

Le deuxième message qui est passé est beaucoup plus subliminal. Homeland est une série dans laquelle un agent de la CIA est capturé par des djihadistes et lorsqu’il revient sur le territoire américain, les autorités le soupçonnent d’avoir rejoint la cause terroriste. Le message passé ici est que l’Etat islamique est partout et que des convertis peuvent très bien être présents sur le sol américain. Il s’agit là d’une sorte d’humiliation symbolique, d’une ironie et d’un défi envers l’Amérique.

Quelle est la part de culture occidentale que l'on retrouve en général dans les vidéos diffusées par l'Etat islamique ?

De manière générale, même avant le 11 septembre, il y a toujours eu une abondance de productions vidéo djihadistes dans lesquelles on retrouve un véritable genre cinématographique, dans lesquelles on assiste à l’exécution d’otages ou de collaborateurs – je pense notamment aux policiers irakiens ou aux soldats syriens. On a pu également voir des vidéos consacrées aux martyrs, dans lesquelles ces derniers disaient leur testament, ou encore des vidéos viriles de recrutement, de guerriers à l’entraînement.

Dans toutes ces vidéos, on retrouve des codes "occidentaux", et notamment une manière hachée de montrer des scènes d’action, accompagnée d’une musique tonitruante et très entraînantes. On y retrouve également de manière abusive parfois des effets spéciaux. Il y a toute une série de codes esthétiques qui nous sont familiers avec parfois même des images heurtées, pleines de couleur, parfois excitantes.

Que cherchent les djihadistes en utilisant les codes cinématographiques occidentaux ? Faut-il y voir une provocation ?

Il faut bien comprendre qu’il y a derrière ces vidéos une intension ironique de dire à l’occident "vous produisez des spectacles excitants et dégradants" en leur montrant justement des codes que les occidentaux connaissent, à l’instar de la tenue orange de Guantanamo portée par James Foley et Steven Sotloff. Dans la rhétorique des djihadistes, il y a ce que j’appellerais un effet miroir, ou un effet de vengeance. Si ce mécanisme est conscient ou non, on ne le sait pas, mais en tout cas, cela fonctionne.

Un autre exemple est intéressant à étudier : le cas d’Al-Amriki, "l’Américain" étant donné qu’il n’a probablement pas une goutte arabe et qu’il vient des Etats-Unis. Ce djihadiste d’Aqmi a réalisé de nombreuses vidéos de prédication djihadiste inspirées des clips de rappeurs américains. Quelque part, on pourrait presque parler de schizophrénie : ils ont leurs idées mais vivent tous les jours dans la sous-culture du 21^ème siècle.

Un détail mérite d’être mentionné également : ces djihadistes n’ont pour la plupart pas vraiment de culture classique. Ce ne sont pas de grands lecteurs de livres et ne sont probablement jamais allés au théâtre ou à l’opéra. Cela reflète très bien le fait qu’ils n’ont pas non plus une grande culture religieuse et ont même un islam assez simpliste.

Qu'est ce que cela traduit de leur cible ?  Est-ce un moyen d'attirer de nouvelles recrues ?

Oui, il s’agit également d’attirer de nouvelles recrues. Ces vidéos sont très facilement téléchargeables et renvoient le reflet de la violence et du désespoir des personnes qui les visionnent et adhèrent ensuite, de par l’aspect gore renvoyé.

Qui est à l'origine de ces vidéos ? D'où viennent les financements ?

Ces vidéos sont souvent réalisées par des amateurs. Mais l’accès aux logiciels permettant de faire des montages et des retouches s’est démocratisé, ce qui explique le professionnalisme de ces vidéos. Par conséquent, cela ne demande pas nécessairement des professionnels ou un budget considérable. Je me rappelle d’une vidéo diffusée par l’EI dans lequel des prisonniers étaient assassinés devant une fosse. Les djihadistes en question avaient par la suite enlevé un peu de fumé et accentué la couleur rouge du sang afin qu’il soit plus visible.

Comment ces vidéos sont-elles perçues par la communauté internationale, et plus particulièrement les occidentaux ?

Ll’aspect hollywoodien accentue l’impact de ces vidéos. On regarde des images qui nous parlent, mais qui créent tout autant un sentiment de malaise. On remarque d’ailleurs ce sentiment dans la manière que les médias ont de traiter de ces affaires. On pourrait presque parler de pornographie terroriste.

Pour nous, occidentaux, ces vidéos sont toujours difficiles à comprendre étant donné que l’on a tendance à cacher nos morts. Nous avons une logique culturelle qui est contraire à la leur. Pour ces djihadistes, plus les exécutions sont cruelles et affreuses à regarder, plus le message pédagogique parvient aux gens. Et malgré tout, on va être attiré par ces vidéos, étant donné que le vice fait quelque part partie de la nature humaine.