Hausse des taux : la BCE assène un très mauvais coup à l’économie européenne et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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La BCE vient d’annoncer une hausse de 75 point de base de son taux directeur afin de lutter contre l’inflation.
La BCE vient d’annoncer une hausse de 75 point de base de son taux directeur afin de lutter contre l’inflation.
©Boris Roessler / POOL / AFP

Riposte face à l'inflation

Après avoir augmenté ses taux d'intérêt en juillet pour la première fois en dix ans, de 50 points de base, la BCE a annoncé, ce jeudi 8 septembre, les relever de nouveau de 0,75 point, une ampleur inédite. L'objectif est de lutter contre l'inflation.

Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : La BCE vient d’annoncer une hausse de 75 point de base de son taux directeur, une remontée historique, pour lutter contre l’inflation. Alors que l’inflation n’est pas d’origine monétaire, à quel point les conséquences vont-elles être néfastes ?

Frédéric Farah : La Banque centrale européenne vient d’affirmer un choix clairement, et elle le dit dans son communiqué de presse, il s’agit de freiner la demande. Et elle n’a pas l’intention de s’en tenir là. Ces trois taux directeurs vont connaitre des augmentations prochaines. Pour l’institution bancaire, malgré une conjoncture qui s’assombrit, le risque de récession est à relativiser. Elle pense que l’économie de la zone peut encaisser le choc. La Banque centrale préfère l’inflation au chômage. En somme, le prix à payer pour moins d’inflation sera donc le ralentissement de l’activité et ses conséquences. Les crédits vont coûter plus chers et les banques vont être encore plus regardantes sur les dossiers de demande de prêt. Pour les Etats, la facture de la dette publique va repartir à la hause. La Bce promet de rester vigilante pour les Etats à risque car leurs dettes souveraines pourraient entrer en turbulence. Mais le nouvel instrument pour éviter l’écart des taux en cas de spéculation sur la dette, est soumis à conditionnalité stricte, ce qui ne sera pas simple pour le demander. Les entreprises verront aussi le coût du crédit augmenter. Alors que la zone euro est une zone économiquement peu dynamique, cette mesure risque de l’affecter plus sérieusement encore.

Il n’est pas sur qu’elle parvienne à faire remonter le dollar par rapport à l’euro, car la monnaie américaine apparait largement comme la valeur refuge du moment.

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Cette action sera sans effet immédiatement le temps de la transmission de la décision de politique monétaire dans l’économie réellerequiert quelques mois, mais elle ne peut agir sur les causes de l’inflation actuelle qui ne sont pas de nature monétaire.

L’arbitrage entre inflation et chômage semble s’être clairement fait en faveur de la lutte contre l’inflation. Ce choix est-il rationnel ? Comment peut-on l’expliquer ?

La Banque centrale revient à ses fondamentaux, c’est-à-dire le monétarisme et aussi l’ordolibéralisme. A savoir que l’inflation est partout et en tout temps d’origine monétaire. L’inflation est le mal absolu, qu’il faut éradiquer et que la croissance économique ne peut venir d’une politique économique active, mais d’un ensemble de réformes de structures qui affectent le marché du travail, la protection sociale, et le marché des biens. Voilà en quelques mots résumés, la doctrine économique dominante depuis les années 1990.

Elle revient à sa case départ, de cette institution qui a été célébrée à la période Draghi, certains en ont conclu que l’euro devenait autre chose, serait l’instrument pour financer la transition énergétique, que les crises de dette souveraine appartiendraient au passé grâce au bouclier de la Banque centrale. Une autre lecture était possible, le quoi qu’il en coûte de Monsieur Draghi a voulu sauver l’euro, mais n’était pas un quantitative easing pour tous. La Banque centrale européenne a nourri une politique d’inflation cachée si je puis dire avec l’envol du prix des actifs, de l’immobilier et a nourri par sa politique des inégalités de revenus.

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Elle revient donc après cette période euphorique et pleine d’illusions à la doctrine Trichet du nom de l’ancien gouverneur qui a continué à augmenter les taux d’intérêt alors que la crise des subprimes faisait sentir ses premiers effets. On retrouve aussi la façon que cette institution à de fonctionner en réaction à celle des Etats Unis

Alors , certes rien de grave dira t onpuisque les taux d’intérêt réels restent négatifs, mais elle envoie un message aux acteurs économiques et financiers qui risque de nourrir la méfiance

Quelles vont être les conséquences économiques et sociales de cet arbitrage ?

Les conséquences économiques et sociales vont être nombreuses puisque les augmentations de salaires que les salariés pourraient être obtenir seront sous surveillance de la part de l’institution. Si l’augmentation de ces derniers apparait trop importante, le risque d’un nouveau relèvement des taux deviendra sérieux.

En somme la Banque centrale intervient dans le conflit redistributif et laisse entendre que l’augmentation du pouvoir d’achat ne peut venir que d’un ralentissement du front des prix, mais pas de la progression des salaires. La boucle salaire prix doit être évitée selon. Pire elle le dit la demande doit être freinée à savoir la consommation et l’investissement donc les salaires sont dans le viseur

Pour les gouvernements européens à l’heure d’une inquiétude massive sur le pouvoir d’achat, la Banque centrale leur fait un cadeau empoisonné et réduit leurs marges de manœuvres. S’ils soutiennent l’activité, l’endettement public va repartir à la hausse du fait de la charge des intérêts même si les conditions de financement de la dette publique restent largement favorables, et d’autre part ils devront éviter d’inviter à la hausse des salaires qui serait regardé comme un vecteur d’inflation.

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La BCE montre ô combien, elle est un organe politique qui ne dit pas son nom malgré sa défense de la supposée neutralité de la monnaie.

Selon vous, l’articulation entre monnaie et budget dans le cadre du resserrement des taux d'intérêt n’est pas la bonne. Pourquoi ?

L’articulation budget et monnaie n’est pas la bonne en Europe à plusieurs niveaux. Aujourd’hui selon les pays, les budgets européens sont plus dans une logique de soutien à l’activité du moins veulent limiter la casse de l’envolée des prix énergétiques et alimentaires. Mais si on veut contenir à long terme cette progression des prix de manière durable, de vastes investissements sont nécessaires pour hâter la transition énergétique. Avec une politique monétaire qui se resserre, cela va devenir plus difficile. D’autre part la vraie résolution de l’inflation actuelle du moins quant à ses conséquences, passe par une réduction des inégalités, et un fiscalité aussi plus redistributive. L’Etat a besoin de marge de manœuvres, la BCE risque de lui en retirer.

Au niveau européen il n’y a pas de budget européen digne de ce nom pour jouer le jeu de la redistribution et de la stabilisation. Le plan dit de relance européen n’en est pas un et ses montants partagés à 27 ne sont pas significatifs.

Nous sommes dans une impasse de politique économique

Quelle serait la bonne articulation ?

La bonne articulation serait que la Banque centrale cesse ce resserrement monétaire, qu’elle assure aux Etats un financement direct de leurs besoins. Ces derniers engageraient des investissements massifs dans l’Etat social et la transition énergétique. Le surcroît d’inflation serait combattu par des mesures redistributives. Il faut préparer l’avenir, et il ne peut se penser à coup d’austérité, de réformes structurelles dont les effets ont été largement néfastes par le passé. Il faut des réformes mais de toute autre nature : recréer un service public intégré de l’énergie, revoir la politique de transport, imaginer une fiscalité redistributive, arrêter ces politique d’exonérations de cotisations sociales à grande échelle qui placent notre protection sociale en difficulté, abandonner les réformes de l’assurance chômage, la liste serait longue.

Dix ans d’illusion sur la nature de l’institution bancaire européenne se clôture sous nos yeux.

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