Guerre en Ukraine : producteurs, pays acheteurs ou belligérants, ceux qui ont le plus de pouvoir sur le marché du pétrole ne sont pas ceux que vous croyez<!-- --> | Atlantico.fr
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Des installations de gaz et de pétrole du géant Gazprom près de Nadym, en Russie.
Des installations de gaz et de pétrole du géant Gazprom près de Nadym, en Russie.
©AFP / ANDREY GOLOVANOV

Evolution des prix

Les prix du pétrole ont baissé depuis l'été même avec la réduction de production de l'OPEP+ et malgré le contexte de la guerre en Ukraine. N’assiste-t-on pas à une perte du pouvoir de fixation des prix de la part des producteurs de pétrole ?

Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : Les responsables occidentaux du G7 finalisent les plans visant à plafonner les prix du pétrole russe. Le prix définitif sera établi dans les semaines à venir, avant la mise en oeuvre de l'embargo européen sur le pétrole russe le 5 décembre prochain. Les prix du pétrole ont baissé de 25 % depuis que le plafond a été inclus pour la première fois dans le communiqué du G7 en juin. Les prix sont en baisse même avec la réduction de production de l'OPEP+. Comment expliquer cette baisse et cette réalité sur le marché du pétrole ? Est-ce lié à la crainte d’une récession ? N’assiste-t-on pas à une perte du pouvoir de fixation des prix de la part des producteurs de pétrole ?

Francis Perrin : Il est certes étrange, au premier abord, de constater que, alors que la guerre en Ukraine continue à faire rage, les prix du pétrole ont baissé significativement depuis l'été. Cela dit, on note une remontée des prix depuis le 26 septembre si l'on prend comme illustration les cours du Brent de la mer du Nord. Entre le 9 juin et le 26 septembre, on est passé de près de $115 par baril à $83/b environ. Le vendredi 28 octobre, le prix à la clôture était d'environ $96/b.

La principale cause de cette baisse des prix du brut est la crainte d'une récession économique mondiale dans un avenir proche. Ce n'est bien sûr pas une certitude mais c'est un scénario qui inquiète les marchés pétroliers. Cet effet baissier a été supérieur depuis plusieurs semaines à l'impact haussier de la guerre en Ukraine. Il faut ajouter à cela les conséquences économiques et énergétiques de la politique chinoise du ''zéro Covid''. La Chine étant le deuxième consommateur mondial de pétrole et le premier importateur, le ralentissement de son économie ne peut qu'avoir un impact baissier sur les cours de l'or noir.  La hausse du dollar est aussi un facteur important qui explique le recul des cours du brut depuis l'été. Il existe souvent une relation inverse entre les évolutions du cours du dollar et du prix du pétrole.

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Je pense qu'il est trop tôt pour affirmer que les pays exportateurs de pétrole, en l'occurrence l'OPEP (13 pays) et ce que l'on appelle souvent l'OPEP+ (23 pays), ont perdu du pouvoir. Cette organisation (l'OPEP) et cette coalition (OPEP+) n'ont pas l'ambition de fixer les prix du pétrole mais elles cherchent, et réussissent souvent, à influer sur les prix. Il faut garder à l'esprit que le marché pétrolier mondial est d'une telle taille (cette année environ 100 millions de barils par jour, soit de l'ordre de 5 milliards de tonnes par an) que personne, y compris OPEP et OPEP+, ne peut fixer les prix. Mais certains acteurs ont une vraie capacité d'influence sur le marché et l'OPEP et l'OPEP+ en font indiscutablement partie. D'où les pressions des pays occidentaux, notamment des Etats-Unis, sur l'OPEP+ pour que celle-ci augmente sa production. Ces efforts n'ont d'ailleurs pas débouché sur des résultats positifs pour les pays consommateurs au cours de la période récente puisque l'OPEP+ a décidé de réduire sa production de 100 000 b/j en octobre et de 2 millions de b/j à partir de novembre.

Entre les producteurs, les pays acheteurs ou les belligérants, qui a le plus de pouvoir sur le marché du pétrole et est en mesure de peser sur l’évolution des prix ? Qui sont les acteurs qui ont réellement la main sur le marché du pétrole et de l’évolution des prix ? Paradoxalement, cela semble être plutôt les pays occidentaux malgré la perception inverse…

Pas les belligérants même si l'un d'entre eux, la Russie, est un poids lourd en matière de pétrole. Ce pays est actuellement le troisième producteur mondial et le deuxième exportateur mondial de brut. Comme indiqué ci-dessus, l'OPEP+ demeure un acteur majeur car cette coalition, qui comprend deux des trois plus grands producteurs mondiaux (Arabie Saoudite et Russie), représente 45% de la production pétrolière mondiale. Du côté des pays producteurs en dehors de l'OPEP+, l'acteur majeur est les Etats-Unis, premier producteur mondial grâce à leur pétrole non conventionnel souvent appelé pétrole de schiste. Parmi les pays consommateurs, les Etats-Unis, premier consommateur mondial, la Chine, l'Union européenne et l'Inde ont un poids important. Et il ne faut pas oublier le poids des marchés et des acteurs industriels et financiers qui interviennent sur ces marchés. 

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Si l'on doit aller à l'essentiel de l'essentiel, les trois noms clés sont l'OPEP+, les Etats-Unis et la Chine. Mais aucun acteur n'a complètement la main sur le marché pétrolier mondial, ce qui explique que l'on soit souvent surpris par les évolutions des prix. 

Depuis l'annonce de la réduction de la production de l'OPEP+, les prix du pétrole n'ont cessé de baisser. Les probabilités croissantes de récession mondiale ont enlevé le pouvoir de fixation des prix aux producteurs et l'ont déplacé vers les consommateurs. Est-ce donc le moment idéal pour mettre en place le plafond du prix du pétrole russe par le G7 ?

De façon générale, plus la situation économique mondiale est mauvaise, plus le pouvoir des consommateurs de pétrole est important. Par contre, la guerre en Ukraine et ses impacts énergétiques renforcent le pouvoir des producteurs. La situation actuelle est donc complexe puisque la guerre en Ukraine, qui favorise les producteurs en dehors de la Russie, contribue à un ralentissement de l'économie mondiale, qui renforce le poids des consommateurs. Et, bien que la crainte de récession ait contribué à une baisse des prix du pétrole, le Brent n'était pas très loin du seuil des $100 par baril le 28 octobre ($96/b à la clôture). Cela reste un niveau élevé. A ce jour, les producteurs s'en sortent très bien. 

La question du plafonnement des prix du pétrole exporté par la Russie est très complexe techniquement, économiquement et géopolitiquement. Le G7 a effectivement décidé d'imposer un tel plafonnement à partir du début décembre mais le succès de cette initiative tout à fait exceptionnelle n'est pas garanti. Au-delà de la conjoncture économique et énergétique mondiale, l'un des principaux atouts du G7 est que les pays qui le composent contrôlent une partie importante du secteur des assureurs spécialisés dans le transport maritime du pétrole. L'idée du G7 est d'obliger ces acteurs à ne pas assurer des cargaisons russes dont le prix serait supérieur au plafond fixé. Celui-ci n'a pas été révélé mais il pourrait être de l'ordre de $60/b. C'est un scénario possible.  

La Russie a-t-elle encore les moyens de réduire sa production pour tenter de faire grimper les prix du pétrole ?  La Russie a-t-elle la capacité et la possibilité de contourner ce dispositif et de continuer d’expédier son pétrole hors du prix du plafond du G7, lui permettant de financer l’effort de guerre face à l’Ukraine ?

La production et les exportations de pétrole de la Russie sont en baisse depuis le printemps 2022. C'est la conséquence des sanctions occidentales contre la Russie. Celles-ci incluent notamment des sanctions énergétiques mais aussi des sanctions financières et technologiques qui ont également un impact négatif sur le système pétrolier russe. La baisse de ces exportations est évaluée par l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) à 560 000 b/j par rapport à leur niveau d'avant la guerre en Ukraine. 

Il n'y a pas de la part de la Russie de politique visant à réduire délibérément ses exportations pétrolières en vue de faire monter les prix comme c'est le cas pour le gaz naturel. Pour ce pays, le défi consiste à limiter les dégâts en essayant de minimiser la baisse de ses exportations pétrolières en trouvant des marchés en dehors des pays occidentaux, donc principalement en Asie. Un autre point clé pour Moscou est que les prix du pétrole restent élevés, même s'ils le sont moins qu'avant, et la décision de l'OPEP+ de réduire sa production de façon importante à partir de novembre va dans ce sens. 

Les dirigeants russes au plus haut niveau ont menacé de représailles les pays qui accepteraient le plafonnement des prix du pétrole russe, ce qui montre en tout cas qu'ils redoutent cette mesure. Mais, que ce système très complexe soit ou pas mis en oeuvre dans les semaines qui viennent, le plus important est que l'Union européenne va appliquer à partir de décembre 2022 (pétrole brut) et de février 2023 (produits raffinés) un embargo pétrolier quasi-total contre la Russie. L'impact négatif sur la Russie sera important.

Ceux qui ont semé la peur en prédisant des hausses massives des prix du pétrole à cause du plafond du G7 ne se sont-ils pas tout simplement trompés parce qu'ils ont sous-estimé la dynamique de la récession mondiale ?

L'un des exemples les plus célèbres dans ce domaine est la déclaration de l'ancien président russe Dmitri Medvedev, qui a évoqué un prix du pétrole de $300 à $400 par baril ou plus en cas de mise en oeuvre du plafonnement que nous venons d'évoquer. De la part de M. Medvedev, il y a évidemment un zeste de mauvaise foi et une volonté de faire peur aux Européens pour les dissuader de se joindre à un tel projet. Rappelons qu'en mars Alexander Novak, vice-premier ministre, avait indiqué que le prix du pétrole pourrait monter à $300/b si les pays occidentaux décidaient d'imposer un embargo pétrolier contre la Russie. En fait, le pic du prix du brut depuis le début de la guerre en Ukraine a été de presque $140/b, au début mars, et les cours du pétrole ne sont restés que très brièvement à des niveaux aussi élevés. Comme indiqué précédemment, on est actuellement en dessous de $100/b. De plus, les prix du brut en 2022 n'ont jamais égalé, et donc encore moins dépassé, leur record qui remonte à juillet 2008. Par contre, les prix du gaz naturel et de l'électricité sur le marché européen ont battu des records en 2022. Mais c'est une autre histoire.      

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