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Guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine : et Trump fonça sur le défi auquel aucune démocratie occidentale libérale n’a encore trouvé de réponse (mais à quel prix ?)
©AFP

Business wars

Le système de libre-échange international construit autour de l’OMC repose sur le principe de la confiance et du respect des règles mais comment se comporter face à une nouvelle superpuissance industrielle autoritaire qui ne s’en embarrasse pas ?

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Ce 3 avril, le représentant au commerce américain, Robert Lighthizer a publié la liste des 1300 produits chinois qui subiront une taxe à l'importation (jusqu'à 25%), et dont la valeur totale avoisine les 50 milliards de dollars. Et ce, en conformité avec ce qu'avait annoncé Donald Trump. Ne peut-on pas considérer que Donald Trump explore ici un rapport de force entre deux puissances qui peuvent être déséquilibrées dans leur mode de fonctionnement, entre un régime autoritaire et une démocratie libérale ? Dans le déséquilibre qui a pu être dénoncé par Donald Trump au cours de ces dernières années, sur les restrictions chinoises par exemple, et la non réciprocité du pays, existe-t-il réellement une alternative à l'approche ici développée ? 

Rémi Bourgeot Ce conflit commercial repose sur un déséquilibre commercial visible depuis plusieurs décennies désormais et lourd de conséquences aussi bien économiques que financières. Naturellement vient s’y greffer une équation politique internationale entre la Chine et les Etats-Unis, et aussi entre tendances idéologiques différentes au sein de l’échiquier politique américain.

Face à ce qui n’était encore qu’une menace, certes claire au vu de la campagne présidentielle de Donald Trump, de mesures douanières, Xi Jinping avait tenté de se présenter, notamment lors de son discours de Davos l’an passé, en grand défenseur de l’ordre libéral mondial et notamment du libre-échange. Naturellement cela ne correspond pas, sur le plan économique, à la réalité de l’approche de la mondialisation sur laquelle a reposé le développement du pays, notamment en ce qui concerne les pratiques de protection poussée, sur les importations comme sur les investissements étrangers.

Aux Etats-Unis, le phénomène Trump survient dans un contexte de crise profonde et de fracture de la société américaine. La pratique politique du milliardaire-star de téléréalité ne s’inscrit naturellement pas dans les coutumes de la démocratie libérale. Face au spectacle de cette inflexion politique, une partie importante de l’élite américaine en vient à glorifier un statu quo pré-Trump idéalisé, en confondant au passage l’approche de Barack Obama avec celle de Hillary Clinton ou de Justin Trudeau plus au nord. Barack Obama, quelles qu’aient été les limites de son action, avait pourtant marqué un tournant réaliste tout à fait important, voire majeur dans la gestion de la crise mondiale, après le vide de l’ère Bush-Clinton-Bush.

Plus en profondeur, si l’on parvient malgré tout à faire abstraction de la trépidation médiatique actuelle, on constate une évolution politique qui dépasse largement le camp Trump, en particulier sur la question du rééquilibrage commercial. La prise de conscience de la gravité du déficit commercial, dans sa dimension aussi bien industrielle que macro-financière, est partagée par de nombreux observateurs et acteurs de la vie politique aux Etats-Unis. Et c’était évidemment déjà le cas de l’équipe Obama qui s’était montrée très préoccupée par les excédents chinois et allemand. Bien que l’on observe actuellement une grande confusion dans les commentaires sur la question commerciale, avec la prévalence chez certains experts de croyances relevant de la « mondialisation heureuse » des années 1990, le désaccord se concentre en fait davantage sur la réponse à apporter au désordre commercial que sur sa négation, option qui devient quelque peu marginale.

Au cours des quelques décennies qui ont précédé l’émergence de la Chine, les disputes commerciales avaient plutôt lieu avec des pays très proches des Etats-Unis comme le Japon. Si l’on se souvient des difficultés autour d’initiatives comme les accords du Plaza dans les années 1980 sur les taux de change, il s’avère que même avec des alliés proches, la question du rééquilibrage commercial était éminemment complexe dans un contexte de concurrence économique poussée et des déséquilibres croisés des économies américaines et nippones. Les Etats-Unis se sont développés tout au long du XIXème siècle, jusqu’à atteindre l’hégémonie industrielle, dans un contexte de politique commerciale très fortement protectionniste, issu de la doctrine de « l’American System ». La doctrine du libre-échange américain s’est véritablement affirmée sur l’échiquier politique dans un contexte d’hégémonie économique incontestable dans un monde ravagé par la Seconde guerre mondiale.

Le problème des relations commerciales avec la Chine n’est pas nouveau puisqu’il a au moins un quart de siècle. Il faut cependant prendre conscience de la difficulté et de l’impréparation relative de l’appareil américain, effectivement, lorsqu’il s’agit de faire face à cette équation d’une très grande puissance émergente non-alliée se développant selon un modèle économique déséquilibrée. Les Etats-Unis sont déjà parvenus à faire pression sur la Chine vers le milieu des années 2000 au sujet du taux de change du yuan ; ce qui a conduit à une appréciation importante de la monnaie chinoise, en termes réels. Par la suite Barack Obama n’avait pas hésité, par exemple sur le dossier particulier de l’acier, à imposer des droits de douane de plus de 500% sur certaines catégories. Le pays se trouve donc dans un rapport de force qui comprend à l’évidence l’outil douanier.

Derrière le terme très fort de guerre commercial, on observe en réalité un jeu plus fin que ce que la surenchère rhétorique sino-américaine pourrait suggérer. D’un côté l’administration Trump finit par positionner ses mesures sur le secteur technologique et sur le problème des transferts de technologie, après une initiative bancale sur l’acier (en comparaison de l’approche anti-dumping d’Obama) et en prévoyant par ailleurs une période de concertation pour éviter de désorganiser les chaînes de production américaines ou de sanctionner les consommateurs sur des produits peu substituables. De l’autre la Chine adopte une approche très politique en concentrant sa réponse sur l’agriculture de manière à cibler directement la base électorale de Trump. On ne peut évidemment pas parler de négociations à ce stade mais on assiste à un jeu bien plus évolué qu’à première vue et qui s’inscrit effectivement dans le contexte du décalage politique entre ces deux pays.

Comment imaginer le résultat de telles politiques sur ce qui est également dénoncé aux Etats-Unis, c'est à dire la situation monopolistique de certaines entreprises ? Dans quelle mesure le protectionnisme pourrait produire des effets sur ces situations monopolistiques, dénoncées à d'autres occasions par Donald Trump ou d'autres responsables politiques comme Bernie Sanders ? 

La question douanière n’agit pas directement sur les situations de monopole mais y est tout de même liée du point de vue plus général du modèle économique suivi par certaines de ces très grandes entreprises dans le contexte de chaînes de production globales et d’optimisation géographique des sites de production.

Donald Trump est déterminé à agir sur le plan douanier, contre une partie de son camp politique de façon à donner des gages à l’électorat qu’il était parvenu à mobiliser. Pour autant, il tente simultanément de ménager le monde économique, et c’est tout le sens de l’insistance sur la période de concertation avec les divers acteurs nationaux avant l’annonce définitive. Sur le plan économique il n’est évidemment pas souhaitable de désorganiser brutalement les chaînes de production ni de créer un choc sur les prix à la consommation. Il s’agit de trouver un compromis entre le redéploiement de la position compétitive du pays dans la durée et l’exigence de maintenir simultanément une certaine stabilité, d’autant plus dans un contexte financier mondial toujours fragile.

La politique d’ouverture commerciale a en général eu tendance à être poussée par une majorité de grandes entreprises américaines qui, sur le plan technologique, maintenaient une avance compétitive significative et souhaitaient pouvoir profiter de façon poussée d’une main d’œuvre très bon marché à l’étranger plutôt que de rester focalisées sur la productivité au niveau domestique. Si ce facteur continue de peser, la situation évolue naturellement alors que la montée en gamme de la Chine est palpable et est appelée à se poursuivre sous une très forte impulsion politique, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la robotique. Rappelons que la Chine achète actuellement un quart des robots produits dans le monde. La contrepartie en termes de transferts de technologique (souvent via des joint-ventures) pour accéder au marché chinois pose problème à terme pour des grandes entreprises qui vont de plus en plus être confrontées à une production avancée de grandes entreprises chinoises. Là aussi on constate, malgré le rejet des mesures de Trump par un nombre important de responsables économiques, une prise de conscience. Les mesures douanières ont souvent tendance à être motivées par les demandes des entreprises américaines du secteur en question. Il était intéressant de voir notamment Elon Musk, le patron de Tesla et de SpaceX, soulever le problème du manque de réciprocité dans le secteur automobile.

Dès lors, peut-on interpréter ces actions comme une expérimentation politique de reprendre la main ? Cette situation peut-elle justifier des positions comme celle d'Elizabeth Warren, du camp démocrate, ou de Bernie Sanders, qui se refusent à condamner le protectionnisme de Donald Trump ? 

Les Etats-Unis sont confrontés à une situation de déséquilibre économique qui se creuse depuis maintenant des décennies, avec de lourdes implications sociales naturellement. Donald Trump, le magnat de l’immobilier, est loin d’être un fin connaisseur de l’industrie ou a fortiori des technologies. Ses préoccupations politiques vis-à-vis de l’électorat populaire l’amènent cependant évidemment à agir sur la question douanière, après avoir par ailleurs donné des gages importants au parti en ce qui concerne la défense des ménages les plus aisés par le biais de sa réforme fiscale. On voit de plus une évolution même au sein de l’establishment républicain puisque Marco Rubio, ancien adversaire de Trump lors des primaires, a pris la peine d’afficher son soutien sur le dossier chinois. Les Républicains doutent judicieusement de leur capacité à se maintenir politiquement avec une ligne comme celle qu’avait défendue Mitt Romney en 2012 face à Barack Obama.

Du côté des Démocrates, il s’agit d’un enjeu encore plus existentiel après l’échec d’Hilary Clinton. Elizabeth Warren n’hésite pas à affirmer l’importance et la légitimité d’une politique économique incluant l’outil douanier et elle a même eu la franchise louable d’aller délivrer ce message lors d’une rencontre à Pékin ces derniers jours. L’élection de 2016, quoi que l’on en pense, a accéléré un processus d’évolution qui traverse l’échiquier politique sur un certain nombre de sujets économiques fondamentaux et qui dépasse évidemment la personne de Donald Trump. 

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