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Grèves et manifs contre la loi travail : comment expliquer que 65% des Français pensent qu’ils vont être des perdants de la politique d’Emmanuel Macron mais que si peu de gens se mobilisent
©AFP

Contestation

Un sondage Viavoice pour le journal Libération, le président compte désormais 40% de bonnes opinions avec un soutien grandissant des gens de droite.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Y a-t-il, face à l'ambition de redistribution qui anime l'État, une résistance française en profondeur, discrète mais tenace, sur laquelle Emmanuel Macron surfe pour réformer? L'apathie apparente des Français et leur indifférence évidente pour les mouvements de contestation initiés par les organisations syndicales en constituent une illustration. 
Lundi dernier, Libération publiait un sondage concluant au désaveu que les Français infligeraient à la politique présidentielle. Selon cette enquête, 72% des Français trouveraient le système de redistribution injuste et 61% le trouvent de moins en moins juste. Le quotidien en conclut que le gouvernement devrait s'inquiéter.
Derrière ce sondage, on voit poindre en creux une vision du monde traditionnelle à gauche, fondée sur quelques convictions simples. Au premier chef, la redistribution serait, pour les Français, la mère de toutes les vertus, le fondement incontournable de toutes les politiques, et elle devrait guider tout gouvernement en place. Toute action exécutive qui ne respecte pas ce présupposé serait vouée à l'échec. 
Le problème est que le comportement politique des Français dément manifestement cette certitude. Au contraire même, tout laisse à penser qu'il existe une puissante résistance française à la redistribution et un attachement tenace à des politiques inégalitaires qui encouragent le travail et désapprouvent la redistribution. 
L'inertie du mouvement social contre redistribution
Le mouvement de protestation contre les ordonnances, qui doit avoir lieu aujourd'hui, en donne un nouvel exemple. Alors que, sabre au clair, le gouvernement a réformé de façon substantielle le droit du travail, les salariés du secteur privé observent sagement les événements. C'est à peine si quelques fonctionnaires, non concernés par les mesures, se mettent en grève. 
Depuis la parution des ordonnances, les choix politiques contraires à la redistribution n'ont pas manqué. Entre le suppression de l'ISF, la baisse de la fiscalité du capital, la suppression des emplois aidés et la hausse de la CSG, les symboles ont abondé pour mettre les Français dans la rue et pour grossir les rangs des manifestants. Et malgré tout, rien ne se passe.
Et si, au fond, cette apathie avait une explication simple? Et si, à une société qui redistribue les richesses au prix d'une fiscalité confiscatoire et d'une paralysie lancinante des initiatives, les Français préféraient une société qui redistribue moins par l'État mais fait plus confiance au marché pour parvenir à ses fins? Tout laisse à penser, en tout cas, que l'âge d'or de la redistribution est fini, et que  la société française a changé en profondeur. 
Le mythe de la redistribution
Au demeurant, il faudra bien un jour revisiter l'histoire contemporaine à la lumière de ce doute. Depuis plusieurs décennies, une construction marxiste impose d'examiner l'opinion française sous le prisme d'une inclination naturelle à la redistribution. Même dans les sphères d'influence de droite, on présuppose que les Français veulent de l'égalité, de la redistribution, du social. D'où les expressions de plus en plus allergisantes comme "droite sociale", gaullisme social, et autres références implicites à l'idée que, dans tous les cas, il faut tempérer le marché par de fortes politiques de redistribution et de protection, notamment par l'impôt et la mutualisation.
Le problème est que cette conviction, très liée aux débats de Mai 68, repose sur une occultation de mouvements contraires, tout aussi forts et signifiants. La permanence de plusieurs dizaines de niches fiscales, qui rendent aujourd'hui l'impôt illisible, montre bien que, dans le temps où la pression fiscale augmentait jusqu'à représenter 56% du PIB, la résistance s'organisait pour y échapper. Le paradoxe tient au caractère public et quasi-institutionnel de cette résistance. 
Au fond, les Français n'aiment pas la redistribution et envoient à l'Assemblée Nationale des majorités qui les aident à lui résister. C'est une fadaise d'intellectuel de soutenir le contraire. 
De ces fadaises, il est resté dans l'opinion un mouvement paradoxal, contradictoire. D'un côté, la doxa de "la redistribution, c'est bien" s'est imposée comme un arrière-fond intellectuel. De l'autre, la résistance continue et on n'imagine pas s'en passer. 
Une France de plus en plus décomplexée
La nouveauté qui se produit sous l'ère Macron tient à la fragilité de la doxa. Progressivement, l'opinion héritée de Mai 68 selon laquelle la redistribution est un passage obligé pour toute politique, une question de respectabilité en somme, perd de son évidence. Tout se passe comme si le politiquement correct de la redistribution perdait de son aura au profit d'une autre vision du monde. 
Dans la pratique, expliquer qu'une société n'est pas obligée de redistribuer devient de moins en moins sulfureux. On n'est plus voué aux gémonies lorsqu'on soutient que les prélèvements obligatoires n'ont pas à vivre en expansion continue. Soutenir que l'inégalité créatrice peut être préférée à l'égalité confiscatoire ne choque plus, ou plus autant. 
La France de Macron est, à cet égard, une France décomplexée. Cela ne signifie pas que ce mouvement soit franc et massif, unilatéral et monolithique. On voit, sur un certain nombre de sujets de protection, que l'engouement pour l'action publique reste fort.
Mais, tendanciellement, se fait jour une prise de conscience. Elle est relative, répétons-le, incertaine et tâtonnante. Toujours est-il qu'elle est bien là et que les Français sont prêts à juger souhaitable une politique injuste aux yeux des critères anciens, mais perçue comme un mal nécessaire pour le redressement collectif. Ce mouvement de fond devrait, dans les années à venir, modifier en profondeur la perception politique des Français. 

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