Grève : et si les risques d’explosion sociale n’étaient pas là où l’on croit les voir<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants défilent à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 18 octobre 2022, lors de l'appel à la grève générale des syndicats.
Des manifestants défilent à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 18 octobre 2022, lors de l'appel à la grève générale des syndicats.
©VALENTINE CHAPUIS / AFP

Hausse des salaires

Les syndicats ont lancé un appel à la grève générale, lors de la journée du mardi 18 octobre, pour l’augmentation des salaires. La crispation sociale peut-elle être plus « dangereuse » si les syndicats et la classe politique ne sont pas en mesure d'y répondre et de la juguler ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Après la marche de dimanche avait lieu une journée de grève ce mardi. Celle-ci semble être un échec relatif. Comment l’expliquer ? Dans quelle mesure le climat actuel est-il peu propice au conflit social ?

Christophe Boutin : Échec relatif sans doute si l’on compare la liste des syndicats qui appelaient à la grève, la liste des secteurs qui étaient concernés, et le résultat en termes de participation.

Question syndicats, on trouvait en effet la CGT, FO, Solidaire, et la FSU plus les syndicats lycéens ou étudiants - manquaient par contre à l’appel la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Quant aux secteurs potentiellement impactés, la grève devait concerner entre autres ceux de la chimie, de la raffinerie, EDF, la SNCF, la RATP, la fonction publique - d’État, territoriale ou hospitalière -, mais aussi les cliniques privées, les maisons de retraite, et on en passe.

Le résultat semble pourtant décevant si l’on en croit les chiffres indiqués. Dans l’enseignement la grève a été suivie par moins de 6 % des enseignants selon les chiffres du ministère - de manière révélatrice, il n’y a que dans les lycées professionnels, sous le coup d’une réforme étonnante, que l’on atteignait près du quart des enseignants en grève. À Pôle emploi, le taux de grévistes était en dessous de 4 %. À la RATP, on avait sur nombre de lignes huit trains sur dix, trois sur quatre pour les lignes RER et deux bus sur trois.

Dimanche dernier, Jean-Luc Mélenchon, lors de la « marche contre la vie chère » appelait rien moins qu’à la « grève générale ». Ce matin il assumait un « bras de fer avec le pouvoir, une espèce de mai 68 perlé ». Disons surtout perlé alors…

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Pourquoi ? Une première explication tient sans doute à la manière dont la grève des raffineries est perçue en France. Pour certains, son objectif principal n’est jamais que de permettre de mieux répartir la manne constituée grâce l’envolée des prix de l’énergie sur le dos de tous les consommateurs entre actionnaires et ouvriers d’une même entreprise. Cette grève bloque ensuite cette fameuse « France périphérique » qui ne peut pas aller travailler ou emmener ses enfants à l'école sans disposer d’un ou deux véhicules par famille. Si on ajoute à cela le fait que les grévistes ont, à tort ou à raison, été présentés par le gouvernement comme des nantis, on peut comprendre certaines réserves. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi, les organisations syndicales qui avaient signé l’accord ont choisi de ne pas appeler à l’extension d’une grève dont l’origine pouvait sembler manquer de légitimité.

Pour autant, le climat actuel est un climat de conflit social, à cause notamment de la baisse d’un pouvoir d’achat, qui, rappelons-le, était déjà au cœur des inquiétudes des Français lors des élections présidentielle et législatives du premier semestre 2022. Il est en effet de plus en plus impacté par les conséquences de la récente crise énergétique, mais aussi, de manière plus globale, par une inflation que le gouvernement a d’abord tenté de nier, puis de minimiser, avant d’essayer d’appliquer comme solutions des « boucliers » et autres « chèques » qui servent à écarter les augmentations salariales ou les baisses de taxes.

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Est-ce aussi le signe que les Français n’adhèrent pas au récit révolutionnaire ou insurrectionnel de Jean-Luc Mélenchon, de la Nupes ou aux motifs politiques agités par les syndicats ?

Est-ce que les Français n’adhèrent pas au récit insurrectionnel, ou, plus simplement, ne mettent-il pas en doute les intentions des uns et des autres ? L’idée d’une « révolution », de la nécessité de bouleverser un ordre social perçu comme illégitime, de s’insurger contre des décisions perçues comme des diktats oligarchiques, court les rues. Mais quid de la confiance ?

La gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon comme les syndicats français sont passés totalement à côté de la crise des Gilets jaunes, une insurrection populaire qu’il n’avaient absolument pas vu venir, et dont ils ont initialement été volontairement exclus par les organisateurs. Après le black-out de l’épisode de la crise sanitaire, puis les bouleversements de la situation politique née des récentes élections, ils tentent de retrouver un rôle moteur et une situation de direction en anticipant sur les mouvements populaires qui pourraient naître.

Mais nous retrouvons ici la question du manque de confiance qui peut exister actuellement envers les partis politiques - quels qu’ils soient d’ailleurs - ou les organisations syndicales, une défiance qui s’exprime de manière très régulière dans les sondages faits auprès des Français. Et c’est cette ambiance de défiance qui conduit sans doute nombre de ces derniers à refuser de suivre les consignes données par les dirigeants de ces corps intermédiaires de moins en moins considérés comme représentatifs.

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Pour autant, l'échec relatif de cette mobilisation signifie vraiment qu’il n’existe aucun risque d’explosion sociale ? Ou simplement que la crispation pourrait prendre d’autres formes ?

Avec la situation de déclassement que vivent nombre de nos compatriotes, le feu couve sous la cendre. L’échec ou le semi-échec des manifestations d’hier, alors que les éléments d’une crise sociale sont bel et bien réunis, ne doit pas nous leurrer : la France de l’automne 2022 n’est pas un pays apaisé mais une poudrière.  

À la différence de ce qui se passait lors du premier quinquennat cependant, le fait que le gouvernement ne dispose plus à l’Assemblée nationale que d’une majorité relative, et qu’il soit donc condamné à négocier certains textes avec une opposition qui, elle-même, a changé de face avec l’arrivée en masse des parlementaires du Rassemblement national, ce changement de situation politique donc peut amener certains Français à penser que le débat social peut quitter la rue pour les travées du palais Bourbon.

Pour autant, le choix politique qui est fait au même moment par le gouvernement d’utiliser l’article 49 3 pour faire passer son budget est potentiellement conflictuel. Il le sera notamment si, dans le tri des amendements que le gouvernement pourra être amené à faire, il en écarte qui pouvaient sembler à nombre de Français relever de la simple justice sociale. À ce moment-là peut-être les Français retrouveront-ils en masse le chemin de la rue, mais il n’est pas évident qu’ils le feront plus demain qu’aujourd’hui derrière la bannière de Jean-Luc Mélenchon ou celle de Philippe Martinez.

Les Français sont-ils vraiment et profondément orphelins de toute représentation ? 

Que les Français aient un doute sur la légitimité des représentations politiques et syndicales, il suffit de regarder le taux d’abstention aux élections politiques et syndicales pour le comprendre. Bien sûr, l’abstention est une chose complexe, et il existe ainsi une abstention d’acquiescement, dans laquelle l’abstentionniste ne se rend pas aux urnes car il est satisfait de la situation présente et anticipe un résultat qui maintiendra au pouvoir l’équipe en place. Mais nous sommes ici au contraire, et les sondages le montrent très clairement, devant une situation dans laquelle les Français qui s’abstiennent le font en expliquant que partis politiques ou syndicats les représentent peu ou mal, que leurs inquiétudes ne sont pas relayées par les uns ou par les autres, et nous sommes bien ici devant une abstention de défiance.

Sont-ils pour autant « orphelins de toute représentation ». Les sondages, toujours eux, permettent d’en douter, notamment quand les Français se félicitent majoritairement de la nouvelle composition de l’Assemblée nationale, de cette majorité relative dont dispose le gouvernement, et des débats et négociations qui peuvent dès lors exister entre de dernier et les oppositions, toutes choses qui leur semblent être plus proches de la démocratie telle qu’ils l’entendent.

Mais si, comme cela semble être le cas, le gouvernement non seulement passe en force grâce notamment à l’article 49 3, mais le fait en sus en revenant sur des avancées sociales auxquelles les Français ont été sensibles, ces derniers pourraient en concevoir une certaine amertume, considérant que finalement la voie politique ne permet de faire aboutir leurs revendications. Et dans l’hypothèse de la mise en place de la réforme des retraites au début de l’année 2023, ce qui semble être le calendrier gouvernemental, cela pourrait conduire à des frictions importantes prenant des formes imprévues.

A quel point la crispation sociale est-elle plus « dangereuse » si ni syndicat ni politique ne sont en capacité de la contrôler ?

Plus dangereuse pour qui ? Pour un gouvernement autiste et des partis et syndicats dépassés ? Sans doute… Lorsque des revendications ne peuvent trouver de solutions ni par la voie de la négociation sociale, ni par celle du dialogue politique, on court un risque de trouble social majeur, et l’absence de figures qui puissent à la fois incarner le mouvement et entamer des négociations en son nom, n’arrange rien - on l’a vu, avec le mouvement des Gilets jaunes.

Un gouvernement a besoin d’interlocuteurs, et préfère très certainement voir agir des syndicats avec lesquels il est toujours possible de négocier que se trouver en face d’un mouvement de soulèvement populaire quasiment incontrôlable. Quant à la gauche, remarquons en passant que la fameuse « spontanéité » qu’elle se plait à évoquer dans nombre de ses discours lui semble beaucoup moins intéressante lorsqu’elle échappe aux cadres qu’elle peut contrôler, syndicats ou partis politiques.

La seule chose que peut espérer le gouvernement si l’on en arrive là est l’anomie politique. Celle résultant d’abord de l’hébétude d’une population traumatisée par la peur, née de l’épisode de la crise sanitaire, puis de la manière dont on a ensuite rendu compte de la crise internationale, ou peur physique dans une société où la violence croit de manière exponentielle. Une population qui se détournerait alors de toute vaste action collective pour plus simplement essayer de recréer des solidarités au plus près, des rapports économiques de proximité, pour réussir à subsister. Mais dans un monde aussi instable, nul ne pourrait prévoir quelle étincelle pourrait mettre le feu aux poudres.

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