Gras ? Chimique ? Allergène ? Le lait serait-il en réalité mauvais pour la santé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une portion de lait à 2% contiendrait autant de graisses saturées qu'une portion de frites...
Une portion de lait à 2% contiendrait autant de graisses saturées qu'une portion de frites...
©Reuters

Oh la vache !

Longtemps présenté comme un produit miracle, le lait pourrait présenter certains dangers.

Les autorités sanitaires ont-elles exagéré les bienfaits du laits pour l'organisme ? C'est ce que laisse entendre dans les colonnes du New York Times, l'éditorialiste spécialiste de la nutrition Mark Bittman.

Le lait serait le remède miracle pour votre santé : c'est en tout cas la croyance qui a couru pendant des années, selon Bittman. Aux Etats-Unis, le lait a même été élevé au rang d'"aliment parfait" (jusque dans le titre du livre "Nature's Perfect Food", qui critique cet éloge permanent du lait).

Pendant de nombreuses années, médecins et parents ont recommandé aux enfants de boire 4 verres de 200 grammes de lait par jour… A l’origine de cette injonction se trouverait un organisme de lobbying : l'American Dairy Association (Association américaine des produits laitiers).

Aujourd'hui, la recommandation est passée à 3 verres par jour recommandés aux Etats-Unis par le Département de l'Agriculture, ce qui reste beaucoup. Le lait serait bourré de nutriments, donnerait des os forts, et améliorerait la croissance des enfants, qui pourrait ainsi devenir plus grands… Mais la boisson n'est pas dénuée d'effets néfastes. Voici quelques raisons prétendues de se méfier du lait :

1. Le lait serait très riche en calories, et en graisses saturées

Le journaliste a interrogé le Président du Comité pour la médecine responsable, Neal Barnard. Ce spécialiste l'assure : le lait fait grossir. Cette boisson contiendrait autant de calories que le soda, sans parler des graisses saturées. Le lactose est un sucre, et il représente 55% des calories contenues dans le lait. De plus, le lait, comme les autres produits laitiers, sont de grandes sources de graisses saturées : il existe des liens très crédibles entre la consommation de produits laitiers et le diabète de type 1 d'une part, ainsi que la forme la plus grave de cancer de la prostate d'autre part. De quoi faire froid dans le dos, car une portion de lait à 2% contient autant de graisses saturées … qu'une portion de frites !

2. De très nombreuses personnes ne supporteraient pas le lait

Aux Etats-Unis, ce ne sont pas moins de 50 millions de personnes qui sont intolérantes au lactose. Et parmi la population d'origine asiatique, le taux d'intolérants au lactose s'élève à 90%. Il est à 75% dans les populations d'origine africaine, mexicaine, et parmi la population juive. Difficile pourtant de se replier sur le lait de soja : il ne serait pas bien meilleur pour la santé, selon une récente étude. Selon l'article publié dans le Journal of Dentistry, le lait de soja encourage les bactéries présentes dans la bouche à produire 5 à 6 fois plus d'acide qu'à l'accoutumée. Ce qui provoquerait un développement de la plaque dentaire et des caries.

3. Le lait serait plein de produits chimiques

"Le lait commercialisé est dégoutant", s'insurge Deborah Dunham sur Blisstree. Le lait de grande consommation est rempli d'hormones de croissance et d'antibiotiques, destinés à stimuler artificiellement la production de lait chez les vaches. Ces additifs donnent au lait une apparence blanche et crémeuse. Mais les effets secondaires sont nombreux : problèmes de peaux, acné, allergies, inflammations : la liste est longue. "Sans parler du fait que boire le lait des vaches est un acte tout simplement contre nature : aucune autre espèce ne boit le lait d'une autre à part la notre."

4. De nombreuses personnes y seraient allergiques

Après l'allergie au beurre de cacahouète, l'allergie au lait est la seconde allergie la plus répandue aux Etats-Unis. On estime que 3 millions d'enfants aux Etats-Unis en seraient victimes. Tout comme l'allergie à la cacahouète, la gravité de l'allergie au lait est très variable : de la simple réaction cutanée au risque vital.

5. Pour avoir des os solides, pas besoin de lait !

"Vous n'avez pas besoin de lait, ni de grandes quantités de calcium, pour protéger vos os", note Mark Bittman. Pire : les taux de fractures sont plus élevés dans les pays qui consomment beaucoup de lait. En réalité, il s’avère que les deux facteurs primordiaux pour la solidité des os sont tout autres : faire de l’exercice tout au long de sa vie, et prendre de la vitamine D, par exemple en profitant du soleil, voilà le secret. Malgré tout, le lait garde certains bénéfices, précise Adam Dachis sur Lifehacker. Mais pas suffisamment pour se goinfrer de lait. Il serait donc temps de reconnaitre que la meilleure raison de boire du lait est encore… le plaisir.

Pour réagir à ses attaques contre le lait, Atlantico a interrogé Jean-Marie Bourre, ancien directeur des unités Inserm de neuro-toxicologie, puis de neuro-pharmaco-nutrition. 

Atlantico : Dans les colonnes du New York Times, l'éditorialiste spécialiste de la nutrition Mark Bittman lance une change contre le lait et les recommandations sanitaires qui préconisent d'en boire trois à quatre verres par jour aux Etats-Unis. Le lait aurait selon lui en réalité de nombreux effets néfastes. Une portion de lait à 2% contiendrait autant de graisses saturées qu'une portion de frites. Le lait serait aussi sucré que le soda. Sans parler de l'intolérance au lactose extrêmement répandue et des allergies... Ces informations sont-elles fiables ?

Jean-Marie Bourre :Ces « informations » relèvent du mensonge, de la contre-vérité, de l’amalgame. Elles utilisent de surcroît des comparaisons qui sont parfaitement ineptes dans le seul but de frapper les esprits ! Incidemment, la majorité du lait consommé en France est demi-écrémé, sa teneur en matières grasses n’est que de 1,6 %. Par facilité, ce type de lait est même donné à tort aux jeunes enfants : c’est une erreur car ils ont besoin de lait complet.

Les allergies aux protéines de lait de vache, qui n’ont strictement rien à voir avec l’intolérance au lactose, sont relativement rares (3 à 5 % des nourrissons), disparaissent dans 80 % des cas au cours de la petite enfance. Comme les protéines des laits de vache, de chèvre ou de brebis sont similaires, ces enfants sont généralement tout autant allergiques aux laits de chacun de ces animaux ; il est donc absurde de prétendre que les laits de brebis ou de chèvre sont à conseiller en cas d’allergie au lait de vache !

Les recommandations de toutes les instances médicales et scientifiques sérieuses se rejoignent sur le principe de 3 produits laitiers par jour, ce qui correspond par exemple, à un verre de lait le matin, une portion de formage le midi (l’équivalent d’1/8 de camembert, ce qui reste fort modeste), un yaourt nature le soir. Près de 35 % de la population française ne respecte pas ces recommandations, par insuffisance de consommation de produits laitiers. En vérité, si quelques-uns peuvent abuser des produits laitiers, beaucoup n’en consomment pas assez. Aux Etats-Unis, les recommandations sont plus faibles, mais les portions sont beaucoup plus grosses !

Selon les chiffres de M. Bittman, 50 millions de personnes seraient intolérantes au lactose aux Etats-Unis. Combien sont-elles en France ?

Le mot « intolérance » est utilisé avec délectation par les détracteurs des produits laitiers, car il possède un très fort impact, dans le vocabulaire social en particulier. Que signifie donc intolérance au lactose ? Il exprime le fait que le lactose du lait (dénomination du sucre naturel du lait), qui a nourri (et continue de le faire) tous les mammifères du monde depuis qu’ils existent, ne parvient pas à être tronçonné en ses deux éléments constitutifs dans l’intestin grêle. Il est alors digéré comme une fibre dans le gros intestin ; ce qui paradoxalement constitue un avantage, dans la mesure où nous consommons trop peu de fibres.

En biochimie ce processus se dénomme, intolérance. Tout simplement. Chez certains, ce phénomène peut générer des ballonnements (comme après avoir mangé des oignons, des artichauts, du pain complet, etc). Il convient alors de simplement fractionner les prises de lait, ou de leur préférer fromages et yaourts qui ne contiennent plus de lactose. L’intolérance au lactose touche environ la moitié des Français, plus dans le sud que dans le nord.

Pourquoi relancer subitement un débat autour du lait ?

Le débat autour du lait n’est pas relancé, mais entretenu ; qui plus est depuis fort longtemps. Ce genre de controverse existe dans tous les pays, et n’est pas nouveau. Le lait et les produits laitiers constituant depuis longtemps un aliment de base, il est très aisé, pour tout détracteur, de s’attaquer à lui ; étant assuré de voir converger sur lui l’attention des médias et du public. Nul doute que s’en prendre à la brandade de morue, pour utiliser un exemple que je mets en avant dans mon livre, aurait un succès médiatique infiniment plus modeste.

Les aliments les plus communs et le plus traditionnels sont les plus fustigés. Et ce depuis fort longtemps ; à l’époque des Grecs anciens déjà, un philosophe dénigrait le lait avec les mêmes arguments que ceux utilisés de nos jours. Pour l‘anecdote, il s’est suicidé en se jetant dans un volcan !

Les détracteurs du lait accusent l'American Dairy Association de faire du lobbying excessif en faveur du lait au détriment de la santé publique. Quel est le rôle de cette organisation ?

Les organisations professionnelles défendent évidemment leurs adhérents. En pratique, clouer au pilori les industriels (et les agriculteurs) est d’une grande démagogie usitée dans tous les milieux, fondée sur leur prétendu appât irrépressible du gain, au prix de la santé du consommateur ! Comme si le monde agro-alimentaire était comparable à celui du tabac. A défaut d’arguments médicaux et scientifiques, les détracteurs de nos aliments surfent sur la vague du « tous pourris », qui veut que l’on creuse sa tombe avec ses dents. Pessimistes et cassandres sans répits, rappelant que la vie est une maladie sexuellement transmissible toujours mortelle !

En conclusion, chaque classe d’aliment est incontournable dans la définition de l’équilibre alimentaire et nutritionnel. En négliger une seule est dangereux pour la santé. Restreindre la consommation de produits laitiers l’est particulièrement, ne serait-ce que pour l’os, en liaison avec de leur contenu respectif en calcium.

Jean-Marie Bourre est ancien directeur des unités Inserm de neuro-toxicologie, puis de neuro-pharmaco-nutrition. Membre de l’Académie de Médecine, et de l’Académie d’Agriculture de France. Auteur de livres portant généralement sur la diététique du cerveau, dont récemment : « Le lait : vrais et faux dangers ». Editions Odile Jacob, 2011. Editions de poche, 2012.


Propos recueillis par Julie Mangematin

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