Goji, canneberge etc. : ces fruits que nous avons à tort investis de pouvoirs magiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Des canneberges.
Des canneberges.
©Reuters

Méfiez-vous des apparences

Dans un récent article, The Daily Mail s'interroge sur les bienfaits de ce que l'on appelle les "superfruits". Baies d'açai ou de goji, grenade, canneberge : leur utilisation sous différentes formes explose. Supposés contenir plus de vitamine C et d'antioxydants que les fruits traditionnels, ils présentent tout de même des risques.

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau est médecin, professeur de nutrition au CHU d'Amiens, docteur en sciences et en philosophie.

Il est l'auteur des livres En finir avec les régimes (éditions François Bourin) et Hospitalité - Je crie ton nom (éditions Chronique sociale). 

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Atlantico : Baies d'açai, baies de goji, grenade, canneberge... l'utilisation des "superfruits" explose sous différentes formes (jus, crèmes glacées, crèmes de visage, céréales...). Quel intérêt présente leur consommation par rapport à celle des fruits traditionnels ? 

Jean-Daniel Lalau : "Baies d’açai", "baies de goji" ; cela fait chic, non ? Ah, les palmiers, les steppes lointaines… Disons-le clairement, ces produits ont un intérêt nutritionnel évident (avec une teneur notamment élevée en antioxydants) mais aussi un goût d’exotisme. Si l’on dit maintenant "super" (pour "superfruit") ; là, nous ne sommes plus trop loin du magico-religieux, selon le modèle classique de représentation de la maladie, et donc de son traitement. La consommation de baies de goji, par exemple, n’est-elle pas associée à la quête d'immortalité dans la culture taoïste ? Mais ce qui est plus compliqué encore, c’est qu’il est malgré tout bon que les aliments soient "affectivement" investis !

Pour dire en quelques mots simples toute la complexité : manger est tout sauf innocent !

Certaines marques de jus à base de superfruits n'hésitent pas à vanter leurs vertus. Par exemple, consommer un verre de Cherrygood équivaudrait "aux bienfaits pour la santé de vingt portions de fruits et légumes". Les vertus de ces superfruits, supposés très riches en vitamine C et en antioxydants, et notamment sur la prévention de cancers, sont-elles reconnues sur le plan médical ? 

J’assume le côté, passez-moi l’expression, "casse-pieds" de ma profession, infichue de répondre par vrai ou faux ! Oui, c’est riche en antioxydants ; oui, la consommation d’antioxydants est associée à une réduction d’incidence des cancers (mais comme rien n’est simple, j’y reviendrai). Mais quels antioxydants ? Notamment la vitamine C ? Si oui, quel est l’intérêt alors du "super(fruit)", sachant que la vitamine C est soluble dans l’eau, de sorte que dès que l’on en prend un peu beaucoup (quelques agrumes, quelques kiwis, au demeurant plus accessibles), le surplus est éliminé dans la cuvette des WC (dans les urines) ?

Y-a-t-il des risques à la surconsommation de vitamine C et d'antioxydants ? Quels sont-ils ? 

Oui, parce que trop, c’est… trop ! Pas vraiment, certes, pour la vitamine C, pour la raison de l’hydrosolubilité que je viens de souligner ; mais oui, par contre, pour d’autres antioxydants, pour la raison que nous devons garder des oxydants (issus notamment de certains lipides) pour casser la paroi de cellules bactériennes ou cancéreuses ; mais point trop non plus pour ne pas casser les cellules saines. Oxydants et antioxydants sont donc tous deux des défenses ! Ah, l’équilibre…

Le professeur David Colquhoun de l'University College of London va jusqu'à affirmer que "certains antioxydants sont sans effet et dangereux" (voir ici). Dans quelle mesure ? Quels sont-ils ? Dans quels aliments peut-on les trouver ? 

Attention aux phrases péremptoires ; les antioxydants ne sont pas dangereux, c’est l’excès. Ce qui est dangereux, c’est la confusion entre complémentation (on comble un manque), et supplémentation (on charge la barque). Dans plusieurs études, en effet, un excès de béta-carotène et de vitamine E a été associé à une surmortalité globale.

Les produits à base de superfruits sont particulièrement chers, certaines boissons se vendant jusqu'à 25 euros le litre. Y-a-t-il l'idée, derrière ces superfruits, que plus c'est cher, plus ça marche ? 

Tout ce qui est rare est cher, n’est-ce pas ! Cela dit, vous pouvez très bien vous acheter un sachet de baies de goji, qui vous coûtera un certain prix, certes, mais pour une durée de consommation très significative aussi.

Pour mieux répondre cependant à votre question, je crois, pour faire suite à ma première réponse, que c’est plutôt la rareté qui est recherchée, et que la cherté n’en est que le corolaire.

D'autres aliments, moins chers et plus facilement trouvables, contiennent d'aussi fortes teneurs en vitamine C : pain, confiture, pomme de terre (une pomme de terre moyenne contient environ 45 % de la dose quotidienne recommandée en vitamine C)... Manger sainement ne serait donc pas finalement une question d'argent ? 

Ouf ! ... On peut quand même s’alimenter "normalement" sans dépenser trop de sous ! Seulement, cela requiert une certaine éducation nutritionnelle (connaissance des groupes d’aliments, vertus des différents produits, etc.).

Car, tout de même, le premier problème, c’est que l’on mange correctement en cantine ; que les personnes précarisées… ; que les personnes âgées…

Le reste, c’est presque du luxe. Tant mieux si certains peuvent "se le payer" ; mais ne nous laissons pas imposer le "Vous voudriez vous alimenter correctement, pour demeurer en bonne santé ? Eh bien, vous ne le pourrez pas, parce que c’est trop cher !".

Je vous laisse parce que j’ai ma soupe (de pommes de terre, carottes, poireaux et navets) sur le feu.

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