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Général Pierre de Villiers : « Halte-au-feu !»
©JOEL SAGET / AFP

Grand entretien

Le général Pierre de Villiers - qui vient de publier son livre "L'équilibre est un courage" (Fayard) - revient sur les menaces qui pèsent sur la France et sur sa vision d'une refonte en profondeur de l'Etat français. Première partie de notre entretien avec l'ancien chef de l'état-major français.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Pierre de Villiers

Pierre de Villiers

Après quarante années d’une carrière militaire qui l’a conduit à devenir chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers est président d’une société de conseil en stratégie. Il est également l'auteur de Servir et Qu'est-ce qu'un chef ?, publiés aux éditions Fayard. 

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Première partie de notre entretien avec le Général Pierre de Villiers. La seconde partie sera publiée le lundi 14 décembre.

Jean-Sébastien Ferjou : Vous avez été l’acteur et l’objet d’une intense campagne médiatique à l’occasion de la sortie de votre dernier livre. S’il y a une question qui ne vous a pas été posée mais à laquelle il vous tient à cœur de répondre, laquelle serait-ce ?

Général Pierre de Villiers : Paradoxalement au regard de la « campagne » que vous évoquez, ce sont celles qui portent sur le contenu du livre lui-même. Je n’avais pas prévu de l’écrire aussi vite, mais la situation m’y a poussé. Au fur et à mesure de mes déplacements, j’ai mesuré l’ampleur des fractures du pays. Elles sont à la fois nombreuses et très profondes. Il y a des fractures territoriales, économiques, sociales mais aussi une fracture politique avec notamment une crise de l’autorité, le tout aggravé de tensions géostratégiques. Je suis aujourd’hui très inquiet pour notre cohésion nationale, et donc pour l’avenir de notre pays. La question qui m’importe est donc celle de notre capacité à réagir : qu’allons-nous faire face à ce constat ?

Seule l’inaction est infamante, c’est ce que j’ai appris lorsque j’étais sous-lieutenant. Il m’est impossible de rester les bras croisés face à ce délitement, cet éclatement national. J’ai donc tenté de développer une vision, un projet stratégique qui s’inscrive dans le temps long.

Car il faut arrêter de se contenter de faire de la tactique et de privilégier le court terme. Il faudra nécessairement beaucoup de temps pour réduire les fractures dont souffre la France, en commençant par l’éducation et par la réconciliation du régalien avec le social et l’économique. Nous devons absolument réduire la fracture entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. Et remettre la France au travail, aspect tristement d’actualité avec les confinements.

L’écologie est évidemment incontournable. J’ai pu constater à quel point ce sujet était central chez les jeunes

JSF : Les lecteurs de votre livre interrogés par les médias évoquent le bon sens, l’évidence des constats que vous y dressez : pas de réflexions absconses ou par trop techniques, vous appuyez là où les Français pensent que ça fait mal. Mais la question qui s’impose -et c’est peut-être la raison pour laquelle ils s’intéressent aussi à vous comme potentielle figure politique- est celle du passage de la phase des constats à celle de l’exécution. Comment concrètement remettre le pays debout ?

PDV : Vous prononcez le mot-clé à mes yeux effectivement, celui du bon sens. Tout au long de ma carrière, j’ai essayé de ne jamais le perdre. Pour entraîner des gens derrière soi, il faut donner une direction, savoir donner du sens. Et la meilleure direction à suivre pour donner du sens, c’est justement celle du bon sens. C’est ce que nous avons tant perdu depuis 40 ans dans nos démocraties occidentales. Et c’est l’une des raisons du fossé qui s’est creusé entre dirigeants et citoyens.

D’aucuns diront que tout ce qui est écrit dans mon livre est assez simple, que ce n’est pas nouveau. Oui, peut-être. Mais de temps en temps, revenons un peu au bon sens, prenons de la hauteur, quittons le raz de la tranchée.

La réflexion que j’entends partout, et on me l’a encore répétée aujourd’hui avant que je vous retrouve, c’est « Mon général, on marche sur la tête. Quoi faire ? ». Comme si on était maintenant sans boussole, sans points cardinaux.

Et je réponds systématiquement à tous ceux qui viennent me trouver : revenons au bon sens.

Si on prend la première des mesures qui me paraît s’imposer, sur l’éducation, il s’agit encore une fois de bon sens : l’école doit apprendre aux petits Français à aimer la France. Tout devrait commencer par l’apprentissage de la culture, de la langue, de l’histoire, de la géographie. Il faut apprendre aux Français qu’ils viennent de quelque part et qu’ils vont quelque part. « Je ne suis d’aucun temps et d’aucun pays », c’est ce qui nous perd. La phrase de Fénelon vaut peut-être pour les historiens, elle ne vaut pas pour les citoyens. Nous recevons tous un héritage de nos parents, il nous appartient de le faire vivre pendant notre passage sur terre et ensuite de le transmettre à nos enfants.

Nous devons absolument retrouver le goût et le sens de l’intergénérationnel. Regardez comment nous traitons les personnes âgées . Nous les plaçons dans les EHPAD. Et nous avons fait encore pire cette année en les laissant mourir de détresse, de solitude, de désespoir dans des endroits où nous ne pouvions même pas aller les visiter. Et parfois nous ne faisons pas mieux avec les jeunes, qui souffrent beaucoup en ce moment avec les conséquences de la crise sanitaire : isolement, cours sur écran, absence de vie sociale, etc... Il est urgent de retisser les liens intergénérationnels.

Autre mesure simple, la promotion du sport : elle est capital dans l’apprentissage des jeunes. J’ai moi-même appris la vie avec le football. Je sais bien que je fais rire un certain nombre d’intellectuels surdiplômés en disant ça, mais c’est la réalité. Au foot, on apprend que ce sont les grandes défaites qui construisent la victoire, que l’on n’est rien sans les autres. C’est l’équipe qui gagne, le collectif.

Encore faut-il ne pas renoncer à l’objectif collectif. Plutôt que l’accumulation de mesurettes contraintes par des considérations budgétaires ou juridiques, donnons des objectifs clairs. Et allons-y !

Les objectifs sont-ils aussi clairs que ça ? Tout le monde peut s’accorder sur l’importance de l’éducation et de la transmission de l’acculturation française mais au-delà, chaque journée nous apporte les preuves d’une société française en proie au doute : quel modèle économique voulons-nous, quel impact sur l’environnement sommes-nous prêts à accepter... Le trouble s’est même installé sur la « durabilité » de notre civilisation. Face à ces doutes, le bon sens suffit-il pour définir où nous voulons aller ?

Oui ! Je crois que l’intellectualisme seul est dangereux. Les questions qui nous occupent sont des questions simples à concevoir. Quelle civilisation voulons-nous laisser à nos enfants ? Quel modèle de société voulons-nous transmettre ?

Il ne faut pas se concentrer sur la seule question des moyens. Il faut commencer par l’objectif, vous avez raison de ce point de vue-là. Et c’est bien sur cette question que se concentre ma démarche.

Lorsque j’étais chef d’état-major des armées, nous avons conduit une profonde réorganisation de nos forces. Et je me suis aperçu que si vous commencez par un bout, il vous faut aller jusqu’à l’autre. Si vous touchez à la formation, suivent mécaniquement la logistique, l’équipement, les finances etc. c’est un tout. Et bien pour une société, c’est la même chose. Et malheureusement - et la crise sanitaire nous on a encore fourni une triste illustration -, nous sommes le plus souvent dans le comment plutôt que dans le quoi ou le pourquoi.

En ce qui concerne le Covid d’ailleurs, je crois qu’il devient urgent que les Français puissent comprendre la stratégie de sortie de crise. Mais y’en-a-t-il une ? C’est la question que nombre de nos compatriotes se posent. Je peux vous assurer que n’importe quel militaire sait qu’on ne gagne pas une bataille, et encore moins la guerre, sans stratégie. Quel est l’effet final recherché et dans quel délai ?

On peut bien sûr discuter des constats que je dresse, mais je me suis efforcé de n’être ni alarmiste, ni démagogue. Vous comprenez que je préférerais qu’on s’intéresse au contenu de mon livre, pas simplement parce que je l’ai écrit, mais parce que c’est de la France qu’il s’agit; et c’est la France qui compte.

Je vois que l’image de l’homme providentiel potentiel qui s’est développée autour de vous vous agace mais la question du chef, qui vous est chère, peut-elle être évacuée derrière celle du constat ? Les lecteurs et ceux qui viennent à votre rencontre s’intéressent certainement au constat, au diagnostic de l’état du pays mais ils s’intéressent aussi à celui qui les porte et qui définit un objectif qui leur paraît convaincant. Pensez-vous que nos responsables politiques ont perdu de vue leurs électeurs et qu’ils ont tendance à se laisser happer par un tourbillon de polémiques médiatiques qui n’intéressent que moyennement les Français ?

La crise du sens, la crise de l’autorité n’ébranlent pas seulement la France, mais aussi la plupart des démocraties européennes.

Alors oui bien sûr, le fossé qui s’est creusé entre les Français et ceux qui les dirigent est réel. On l’a vu avec les gilets jaunes, on l’a vu avec le conflit autour des retraites et on le voit aujourd’hui avec la gestion de la pandémie. C’est ce fossé qui favorise l’apparition de violences comme nous en avons encore vues le week-end dernier.

Jean-Pierre Jouyet parle dans son livre « du petit Paris », de ce petit milieu que les privilèges, l’endogamie ou la courtisanerie coupent des Français.

Je crois qu’on peut dire que l’État s’est séparé de la Nation. C’est pourtant la Nation qui prime : cette communauté de personnes qui a choisi de vivre ensemble sur un territoire, la terre des pères avec des frontières. La Nation a un côté très charnel. L’État est là pour gérer le quotidien, pour organiser la vie de la Cité. Il est important bien sûr mais il ne saurait se substituer aux Français eux-mêmes. L’État doit servir la Nation, pas l’asservir. En France aujourd’hui, les Français ont parfois l’impression inverse. Et ce n’est pas nouveau ; le président Pompidou disait déjà « qu’il fallait arrêter d’emmerder les Français ! »

Si nous nous comparons à d’autres démocraties européennes, nous sommes quand même assez champions pour produire des normes, des règles et une bureaucratie qui finit par nous asphyxier. Regarder le syndrome des attestations avec le Covid. Nous sommes les seuls à faire ça. Aucun autre pays au monde n’a eu l’idée d’inventer un système aussi contraignant. Il faut absolument changer cela : l’État doit retrouver le sens du service de la Nation, du service des citoyens.

S’il le fait, alors le fossé se comblera naturellement.

En tant que chef d’état-major des armées, j’ai eu des décisions importantes à prendre. Je vous rappelle que nous avons réduit les effectifs de 25 % en 7 ans. Et bien, je me suis toujours posé la question des conséquences, celle que j’appelle « la question du caporal stratégique » : quelles conséquences subiraient un caporal et ses soldats sur un terrain d’opération, si je prends telle ou telle décision ?

Si on s’était posé cette question-là en ce qui concerne les réglementations sur l’automobile par exemple, on aurait probablement pu éviter le conflit des gilets jaunes.

Vous nous parliez de la pression des émotions, les enquêtes montrent qu’elles sont deux à structurer en majorité les opinions des Français, certains sont principalement animés par la colère, d’autres par la peur. Quelle est l’émotion qui caractérise les Français qui viennent à votre rencontre ?

C’est une bonne question. La peur est mauvaise conseillère. C’est l’antichambre de la défaite, comme l’est le doute. Un peu comme pour le cholestérol, il y a le doute positif et il y a le doute négatif. Le doute positif c’est celui qui précède la décision, le doute négatif c’est celui qui la suit. Je me suis toujours méfié des gens qui ne doutent pas. Ce sont en général ceux qui préfèrent les courtisans à des collaborateurs capables de leur tenir un langage de vérité en vous alertant sur les risques d’une décision. Le doute négatif, après la décision, c’est celui qui amène la peur.

La peur que je sens aujourd’hui chez nos concitoyens, c’est celle du retour de la mort. C’est ce qu’a mis en évidence la crise du Covid. L’homme du « Nouveau Monde » redécouvre sa propre finitude.

La mort est consubstantielle à l’état militaire. Quand on s’engage, les premières années, on est toujours confronté à des situations où la mort est une possibilité. Mais on apprend à vivre avec la mort. Ça fait partie de la vie. On sait qu’avant-nous il y a eu des morts pour la France et on sait qu’après nous il y en aura encore. Je crois que cette expérience qu’ont les militaires, il est important que les Français la redécouvrent.

Vous parliez d’une autre émotion, la colère : c’est elle qui produit la violence. Mais elle découle elle-même de la peur. Je ne suis pas sociologue, mais lors de mon premier tour de France à l’automne 2017, j’ai vu se produire cet enchaînement : d’abord l’inquiétude, ensuite le doute puis la peur et enfin la colère. Et nous avons vu le niveau atteint par la violence lors du conflit des gilets jaunes.

La violence verbale précède la violence physique. J’ai pu m’en rendre compte à travers toutes les crises que j’ai vécues. Une fois que la violence physique se déchaîne, c’est la haine qui s’installe. Et quand on laisse la haine s’installer, il faut infiniment de temps pour s’en débarrasser. La haine dépasse de très loin le temps politique qui est désormais celui du quinquennat. Regardez ce qui s’est passé au Kosovo. Cela date de 1999 et le pays n’est toujours pas débarrassé de la haine.

Nous devons combattre la violence avec la plus grande détermination. Je vous l’ai dit, c’est l’état du pays qui m’a poussé à la rédaction de ce livre. Je commence d’ailleurs par « halte au feu » dans l’introduction. C’est un commandement sacré dans l’armée : « halte au feu » on s’arrête tout de suite. Et on attend les ordres.

Et bien il est temps de faire « halte au feu ». Quand vous voyez les images des manifestations des deux derniers samedi, on est consterné de l’état de notre pays. Qui mérite une telle violence ? Vous imaginez ce que vivent les riverains, les commerçants qui subissent tout ça ? La violence est inacceptable dans une démocratie.

Mais comme je vous le disais, avant la violence de la rue, il y a toujours la violence verbale. Et bien nous ne devons plus la tolérer. Nous devons rétablir le respect, retrouver la considération mutuelle, la fierté d’habiter ensemble avec une culture commune. Mon expérience de l’armée me l’a appris : il faut savoir calmer le jeu avant qu’il ne dégénère. Si vous maîtrisez la violence verbale, vous réduisez toujours la violence physique.

Je l’ai dit et je le répète même si ça choque : nous ne sommes pas loin d’une guerre civile. Mais ceux que le mot choque devraient regarder autour d’eux. Que connaissent-t-il de l’état de la France aujourd’hui ? Nous vivons quand même dans un pays où lorsqu’on sort, on court le risque d’être poignardé, voire décapité. Ou de se retrouver au milieu de scènes de guérilla urbaine lorsque les Black blocks pillent une rue. Sans parler de la violence liée à la délinquance traditionnelle.

L’existence même des forces de l’ordre est contestée. Ce délitement, ce pourrissement ne peuvent pas durer. Nous devons tout faire pour y mettre un terme.

L’état des forces de sécurité est profondément inquiétant. Nous devons les respecter, les aimer. Les fautes, lorsqu’il y en a, doivent bien évidemment être sanctionnées, mais il n’y a pas à mettre en balance le respect que nous devons à nos policiers et nos gendarmes avec les égarements de quelques-uns.

Vous savez, je suis un homme d’ordre. C’est fondamentalement ma culture. Je suis aussi un homme d’unité. Tout mon parcours en témoigne. J’ai su prendre des hommes différents, les mettre ensemble et les faire aller jusqu’au sacrifice suprême si nécessaire. C’est ce que nous devons reconstruire : l’unité.

Le deux poids, deux mesures qui caractérise les sanctions dans ce pays complique certainement la recherche de ce sentiment d’unité. Les Français ont pu voir que la répression qui s’abat sur les uns, les gilets jaunes par exemple, est sans commune mesure avec le laxisme qui prévaut pour les autres... Quelle est la part de la responsabilité politique dans l’état du pays ? N’y-a-t-il pas parfois la tentation au sommet de l’Etat de surfer sur des images de violence afin de provoquer un réflexe légitimiste ?

Je ne suis pas un spécialiste du maintien de l’ordre, mais j’ai une petite expérience de la gestion de crise quand même… Je crois qu’on a accumulé depuis quelques années les erreurs tactiques. Que les manifestants soient parvenus à piller l’Arc de Triomphe, le symbole de l’union de la Nation et de son armée, est quand même une défaite sanglante.

Il est vrai que les blacks blocs ont des méthodes tactiques tout à fait nouvelles, sur le terrain de la mobilité comme sur celui de leurs équipements. Les trois principes de la guerre, liberté d’action, économie des forces, concentration des moyens, sont encore utiles, surtout si on y ajoute la surprise, celle qu’on impose, pas celle qu’on subit.

La violence ne recule que devant la force. Il faut que nous nous en souvenions. Faute de quoi il sera impossible de restaurer l’ordre.

Quant à savoir si les images de violence relégitiment le gouvernement, je ne crois pas une seconde aux thèses de manipulation qui voudraient que le gouvernement cherche délibérément à les créer. En revanche, je suis persuadé que la violence ne crée rien. Toutes les violences ne sont pas nécessairement les mêmes, celle des gilets jaunes ou celle des blacks blocs ne se ressemblent pas. Mais elles ont un commun de détruire la fierté d’être français. Aucun affrontement ne sera un creuset de quoi que ce soit. Nous avons besoin de modèles positifs, pas de destruction.

Faut-il comme a eu tendance à le faire le gouvernement -sur le terrain sanitaire comme au sujet de la loi sécurité globale- opposer l’ordre aux libertés publiques ou en tous cas, privilégier le premier sur les secondes ? Tout à sa quête d’efficacité, ou de démonstration d’efficacité, le gouvernement n’a pas hésité à prendre parfois des mesures liberticides sans chercher à respecter la proportionnalité entre les résultats attendus et l’atteinte aux libertés... Vous nous dites être un homme d’ordre, êtes-vous aussi un homme de liberté ?

Oui, je crois qu’on peut dire que certaines questions se posent sur le terrain des libertés publiques en France.

Il y a un équilibre à trouver bien sûr entre l’ordre et les libertés, en particulier dans les périodes socialement troublées comme celle que nous vivons. C’est un équilibre particulièrement délicat. La liberté individuelle est le trésor de nos démocraties, mais on ne peut pas lui opposer l’ordre. On ne peut pas imaginer non plus la préserver en faisant abstraction de la contrainte de la sécurité. L’ordre garantit les libertés.

Il est incompréhensible pour les Français d’avoir à remplir des attestations et d’être confinés comme nous le vivons depuis plusieurs mois, alors que nous ne sommes pas capables de régler le problème de 4 ou 500 casseurs dans Paris.

Il nous faut retrouver un équilibre entre les droits et les devoirs et que cet équilibre s’impose de la même manière à tous. C’est certainement difficile mais nous avons trop longtemps manqué de courage sur ce terrain de l’équité entre les citoyens.

Faites-vous partie de ceux qui pensent qu’il existe un problème avec les magistrats français ? On a parfois l’impression d’une course à l’échalote qui mène les gouvernements successifs à voter toujours plus de lois sur le terrain du terrorisme ou de la sécurité faute de parvenir à faire appliquer celles qui existent dans l’esprit dans lequel elles ont été votées.

Effectivement, à chaque fois qu’il y a des attentats, nous faisons une nouvelle loi. Je ne suis pas juriste, mais je constate que les lois se durcissent à chaque fois, comme si elles n’étaient jamais assez dures. Mais pourquoi ne les appliquons-nous pas dans leur entièreté ? Là aussi, nous sommes confrontés à un problème d’équilibre entre l’ordre et la justice.

L’autorité judiciaire est indépendante et elle doit le rester. Mais elle doit fonctionner pour le bien de la Nation. Les peines sont insuffisamment exécutées. Il ne suffit pas de menacer, il faut aussi savoir punir.

Nous avons trop souvent l’impression d’une forme de laxisme judiciaire.

Et je dis bien l’impression, le sentiment car ce n’est pas toujours le cas. Les magistrats ont un métier extrêmement difficile, d’autant qu’on ne leur donne pas toujours les moyens de l’effectuer dans des conditions acceptables.

La justice française est paupérisée. Je me réjouis d’ailleurs que son budget augmente cette année. Nous avons depuis des années sous-doté les ministères régaliens : défense, sécurité, justice. Ce n’est pas pour rien que les trois sont associés dans cette thématique du régalien, il y a un lien. Et une même responsabilité des politiques qui ont laissé se dégrader les fondements de l’Etat.

Retrouvez demain la deuxième partie de notre entretien avec le Général Pierre de Villiers

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Le général Pierre de Villiers vient de publier "L'équilibre est un courage" (éditions Fayard). 

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