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Cette gauche qui a toujours favorisé les riches plus qu’elle ne veut bien le dire
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Robins des bois ?

Durant sa campagne, la critique des riches a été l'un des chevaux de bataille de François Hollande. Une attitude qui laisse penser, à tort, que la gauche a toujours agi contre les intérêts des mieux lotis financièrement.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Après plusieurs semaines passées à abuser le malade France sur son état (« mais non, mais non, votre cancer métastasé n’est pas si grave, un peu d’aspirine et tout ira mieux... et n’écoutez surtout pas les mauvaises langues qui vous parlent d’une chimiothérapie urgente et carabinée »), les discours de campagne s’attaquent maintenant à la rubrique gastronomique : un tel a mangé avec un tel, il y a deux ans, un autre a reçu ses soutiens à l’hôtel Crillon pour une bonne bouffe, un troisième a mangé avec BHL dans un restaurant étoilé. J’ai même trouvé dans la presse canadienne mention du petit restaurant portugais où Marine Le Pen a promis de faire son repas de fête si elle remporte l’élection.

Certes, ces polémiques font partie des boules puantes habituelles lancées en fin de campagne, des piques pour candidats à bout de souffle, qui contribuent à nourrir le rejet grandissant (et justifié) de la démocratie représentative chez des Français obscurément inquiets, mais volontiers tentés par une rasade quinquennale de ronron et d’insouciance.

Au-delà du constat mi-rassurant : en cinq ans, Nicolas Sarkozy aura compris que la nourriture du Fouquet’s ne vaut pas tripette, mi-inquiétant : le Crillon n’est guère mieux, et en plus le cadre est vraiment surfait, cette affaire sans intérêt est quand même l’occasion de poser une bonne fois pour toutes la question qui fâche : la gauche et l’argent.

Je veux bien qu’on tente de me faire croire que les riches sont de droite, et que les gens de gauche sont pauvres ou étrangers à l’argent. Mais enfin, je voudrais quand même rappeler quelques vérités bien connues des (pas forcément très) initiés, et que les Français ont le droit de savoir.

Je prends l’exemple du bonus de Maurice Lévy, patron de Publicis. L’intéressé avait proposé en 2011 une augmentation d’impôts pour les plus riches et avait renoncé à sa rémunération fixe de 1 million d’euros, pour encaisser 16 millions de primes variables en mars 2012. Doit-on rappeler que la présidente du conseil de surveillance du groupe n’est autre qu’Elisabeth Badinter, bien connue pour les leçons de bien-pensance de gauche qu’elles nous a si longtemps infligées ? Son fils, Simon Badinter, est l’un des directeurs du groupe. Et, parmi les administrateurs indépendants de Publicis, on trouve Hélène Ploix, ancienne conseillère de Laurent Fabius, qui a mené une carrière brillante à la Caisse des Dépôts sous la gauche. On imagine mal que tous ces gens n’aient pas donné leur accord aux choix provocateurs de Maurice Lévy en matière de rémunération.

En tout cas, s’ils sont choqués par ces pratiques, ils ont la faculté de remercier le contrevenant, ce qu’ils ne semblent pas décidés à faire.

Personnellement, peu me chaut que Pierre, Paul ou Jacques gagne de l’argent et aille manger au Crillon, à la Tour d’Argent, ou ailleurs. En revanche, rien n’est plus agaçant que le retour de cette bien-pensance où des gens qui se prosternent devant l’argent tentent de passer pour des Robins des Bois.

François Hollande, interrogé sur ce point sur BFM a d’ailleurs lancé: « Je suis une personne aisée. Mais me faire traiter de gauche caviar par l'incarnation de la richesse insolente». C’est ici que dans le storytelling des sociaux-démocrates français, il manque une étape majeure : la contribution décisive qu’ils ont eux-mêmes apportée à la constitution d’une « richesse insolente » dans notre pays.

Car, ne l’oublions pas, le coup d’envoi à l’enrichissement démesuré, aux rémunérations sans cesse plus importantes, aux fortunes décomplexées, cette déstructuration systématique des valeurs héritées de la France gaulliste, fut donné par la gauche moderne, les fameux « rocardiens », qui furent des avant-gardistes mondiaux en matière de dérégulation tous azimuts.

Dans ce grand mouvement, la loi bancaire de 1984 a joué un rôle essentiel, puisqu’elle a permis la constitution d’une industrie financière tout de suite après le fameux tournant de la rigueur de 1983. Industrie financière qui est à la source de cette débauche spéculative, de cette cupidité sans limite dont la crise abyssale que nous traversons est le résultat immédiat.

Faut-il ici rappeler le refus obstiné de Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des Finances, de fiscaliser les stock-options ? Certes, la loi Fabius de 2001 introduisit une fiscalité progressive sur ces fameux instruments de rémunération des grands patrons, mais en multipliant les exemptions et les cas spécifiques. C’est paradoxalement la droite qui a, depuis 2002, rendu leur régime de moins en moins attractif, en rendant leur attribution de plus en plus transparente.

Mon propos n’est pas d’inverser les croyances. Je ne suis pas en train de soutenir que la droite serait plus ennemie de l’argent que la gauche. En revanche, maintenir l’illusion que la gauche, que le candidat Hollande incarne, serait un mouvement populaire indépendant des grandes fortunes de ce pays est évidemment un fantasme. Une rodomontade. Une carabistouille.

Simplement, ce que la droite de Nicolas Sarkozy affichait grossièrement, la gauche de Hollande tente de le cacher.

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