Fumée rose au Vatican : pourquoi le thème du "lobby gay" relève essentiellement de la diversion <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Fumée rose au Vatican : pourquoi le thème du "lobby gay" relève essentiellement de la diversion
©REUTERS/Dylan Martinez

Soutane rose

Benoit XVI n'aurait pas démissionné pour des raisons de santé. En cause, un livre noir révélant entre autres scandales des lieux de rencontres homosexuelles fréquentés par des ecclésiastiques. Certains prélats seraient même soumis à du chantage car ils ont rompu leurs vœux de chasteté. Des accusations qui ne sont pas nouvelles.

Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

Voir la bio »

Depuis que l'écrivain Roger Peyrefitte a accusé Paul VI d'être homosexuel (1978), le thème du lobby gay permet d'intimider la Curie pour des raisons de basse politique.

Les commentaires souvent fielleux qui ont paru dans les journaux sur les scandales du Vatican et sur l'existence d'un lobby gay, en admettant qu'ils aient été basés sur un dossier remis par le Pape à son successeur, ont fait l'impasse sur l'histoire des quarante dernières années qui est avant tout une histoire de basse politique intérieure italienne, et une affaire de stratégie internationale. La presse française a suivi les journaux romains qui ont révélé la double vie de certains prêtres ou prélats, et prétendu que le Pape avait pu être ébranlé par ce qu'il a découvert. Mais si la papauté avait dû être ébranlée, c'est par une poignée d'affaires autrement importantes, dont, curieusement, personne n'a parlé pendant les quinze jours qui ont précédé le conclave. Il est peut-être utile de rafraîchir les mémoires afin d'illustrer que la déstabilisation volontaire du Vatican aux fins de reprise en main est une entreprise très ancienne qui a revêtu de nombreux aspects jusqu'au crime, certains disent même jusqu'au meurtre d'un pape, et que l'existence d'un lobby gay, qui n'est pas non plus une affaire nouvelle, a peut-être joué un rôle de protection, de ciment d'une partie du personnel contre les agressions extérieures. Au terme de lobby gay, il est d'ailleurs permis de préférer le terme de fraternité masculine, car pour quiconque a fréquenté les coulisses de la Curie, le passage à l'acte reste l'exception, la plupart des affinités, bien que basées sur une préférence commune, ne reposent sur rien de très explicite ni de très matériel.

En revanche, les gens, qui par goût ou par accident, comme c'est mon cas, ont fréquenté le clergé romain depuis quarante ans ont tous remarqué que la ligne de partage entre les doux et les durs, les homos et les hétéros, puisqu'il faut bien parler ainsi, était une ligne politique. Ceux qui ont eu le privilège d'aborder ces questions avec des ecclésiastiques qui se définissent comme plutôt homosexuels, c'est à dire conscients de leur préférence mais pas pratiquants, ont pu recomposer le tableau au fil des années et des témoignages. Rappelons de grandes étapes qui permettent sinon d'y voir plus clair, du moins d'éviter de gober les vérités obligatoires, et de se demander pourquoi la presse, quand elle traite des affaires du Vatican, préfère les rumeurs aux faits, alors que les faits sont nettement plus accablants que les rumeurs, mais pas pour les mêmes personnages.

Les derniers mois du règne de Paul VI, après la mort d'Aldo Moro, ont été le théâtre d'un micmac politico-diplomatico-financier qu'il est difficile de ne pas lier à la politique américaine de l'époque en Italie, et à l'action de la CIA. Les faits, les dates, les témoignages de repentis déjà sortis de prison, les commentaires de politiciens américains trente ans après, tout permet de deviner que la menace sur la politique de l'OTAN en Adriatique, à cause d'une alliance entre la Démocratie chrétienne et les communistes, était perçue comme un danger mortel, que Moro a payé de sa vie sur un coup de fil américain. Le pape Paul VI, son confesseur et ami, a été intimidé par les mêmes forces occultes, parfois d'origine étrangère, souvent franc-maçonnes, afin qu'il baisse sa garde et laisse faire ce qui devait l'être pour évincer les communistes. Il existait alors au Vatican un camp des Agneaux, auquel le pape appartenait, et un camp des Loups, auquel appartenaient les prélats qui gouvernaient (Villot), qui faisaient des affaires et qui aimaient bien les Américains, quand il ne l'étaient pas eux-mêmes (Marcinkus).

Parmi les "Agneaux" il y avait un certain nombre de cardinaux compréhensifs à l'égard de l'homosexualité, ce qui est devenu, au moment opportun, un levier très commode. L'écrivain Roger Peyrefitte a même prétendu en 1978 que le Pape figurait dans le lot, et, fait sans précédent, ce dernier a tenu à le démentir publiquement, en faisant dire des neuvaines pour laver sa réputation. En tout cas quand les Agneaux ont fait l'objet de pressions de la part des Loups, notamment à l'approche du conclave, parmi les arguments de ces derniers, l'homosexualité au sein de la Curie, dont l'implantation avait été favorisée par la mansuétude du pape Paul VI, quelle qu'en soit la raison, figurait parmi les éléments de chantage; et la tolérance à l'égard des communistes, parmi les premiers sujets de critique.

Visiblement, à l'automne 1978, l'intimidation n'a pas fonctionné puisque le conclave a élu un agneau, Jean-Paul Ier, qui a vécu ce que vivent les agneaux de lait, quarante jours, et qui, d'après des historiens dignes d'estime, et peut-être de foi, aura été sacrifié à la politique américaine, c'est à dire à la nécessité de voir surgir un pape de combat anticommuniste. Un soir d'étourderie, figurez-vous qu'il a pris trois fois sa dose habituelle d'hypotenseurs après avoir annoncé qu'il allait s'attaquer à la corruption autour de lui. Il n'a pas été autopsié, et on l'a enterré en gants blancs, sans doute pour ne pas révéler la couleur de ses ongles. Diable ! C'est le cas de le dire, il fallait maintenir les réseaux financiers pour alimenter la révolte polonaise, il fallait que le mur de Berlin tombe, il fallait que les homosexuels soient perçus parallèlement et commodément comme les ferments d'une décadence intérieure de la chrétienté, alors que l'argent de l'Église mêlé à celui de la Mafia, la demi-douzaine de meurtres qui ont suivi la publication de la liste de la loge maçonne et vaticane P2, l'exfiltration de Marcinkus, au nez de la justice italienne, en Arizona, où il a vécu les dix dernières années de sa vie protégé comme un vulgaire agent de la CIA, rien ne tout cela n'était ni décadent, ni honteux, en tout cas pas suffisamment pour faire l'objet d'un rappel historique sur BFMTV ou d'un éditorial dans Courrier International. On préfère parler de Vatileaks (trois fois rien, des querelles de corneculs) et on nous refait le coup du lobby gay, pour souligner que les prélats peuvent se comprendre, se soutenir, s'adresser des hochements de tête en conclave , pour des raisons qui relèvent de la morale et non de la politique, de la conscience et non de la nécessité.

Et pendant que toute la presse s'amuse, en caméra cachée, à nous faire découvrir les salles de sport, les boites de nuit et les saunas où les jeunes prêtres de passage à Rome tuent leur énergie avant les veillées de prière, la politique et l'argent font main basse sur l'institution vaticane depuis quarante ans parce qu'on ne peut pas laisser agir sans contrôle une autorité qui s'adresse à deux milliards d'humains au nom de la conscience, et qui dans la moitié des pays du monde est susceptible de retourner l'opinion en 24 heures.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !