Fraude sociale : le dernier rapport de la Cour des comptes détaille une descente dans l’enfer de l’absurdie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dernier rapport de la Cour des comptes dévoile les chiffres de la fraude sociale en France à l’heure actuelle.
Le dernier rapport de la Cour des comptes dévoile les chiffres de la fraude sociale en France à l’heure actuelle.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Dérives de la bureaucratie

Pire encore que les chiffres cités par la Cour des comptes, la capacité de la bureaucratie à faire le malheur des honnêtes gens tout en laissant prospérer les fraudeurs…

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Atlantico : Le tout nouveau rapport de la Cour des comptes, Certification des comptes 2022 du régime général de sécurité sociale et du CPSTI, est sorti. Qu’est-ce qu’il nous apprend sur les chiffres de la fraude sociale en France à l’heure actuelle ?

Jean-Philippe Delsol : La Cour certifie avec réserve les comptes 2022 de quatre des cinq branches de prestations du régime général, ainsi que ceux de l’activité de recouvrement. Elle refuse de certifier les comptes 2022 de la branche famille (réseau des CAF) et de la Cnaf. En effet, note la Cour, les erreurs liées aux données déclaratives prises en compte pour verser les prestations, et non corrigées au bout de 24 mois, ont continué à augmenter en 2022 pour atteindre 5,8 Md€, un montant qui a doublé en quatre ans. Ces erreurs représentent 7,6 % du montant des prestations, et concernent notamment le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. En particulier, un quart des montants versés au titre du RSA est entaché d’erreurs. Les erreurs liées aux opérations internes effectuées par les CAF restent quant à elles à un niveau élevé (1,7 Md€).

Le montant estimé des erreurs affectant les règlements de frais de santé atteint 3,4 Md€ (3,3 % de leur montant), essentiellement au détriment de l’assurance maladie, sans compter les règlements effectués au bénéfice d’assurés qui ne remplissent plus les conditions d’affiliation à l’assurance maladie, les erreurs de facturation des établissements de santé publics et privés non lucratifs, les fraudes avérées...

Au titre de la branche vieillesse et de la CNAV, en 2022, comme en 2021, 1 prestation de retraite sur 7 attribuée à d’anciens salariés comporte une erreur financière, soit un impact cumulatif de 1 Md€ jusqu’au décès des pensionnés. Des erreurs affectent une partie des enregistrements comptables de la branche autonomie. Quant à l’activité de recouvrement (réseau des Urssaf) et de l’Acoss, il est constaté que la comparabilité de des produits n’est pas assurée entre 2022 et 2021, et , dit la Cour, les contrôles visant à réduire les risques d’inexactitude et de non-exhaustivité des prélèvements sociaux présentent des insuffisances.

Ces chiffres sont-ils surprenants ?

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Jean-Philippe Delsol : Déjà en 2022, la Cour des comptes avait observé dans son rapport annuel de certification des comptes de la sécurité sociale que le Gouvernement avait sciemment surestimé les pertes de celle-ci en 2020 pour mieux encaisser les impayés en 2021 et pouvoir afficher un déficit des comptes sociaux en baisse. Et elle n’avait, déjà, certifié qu’avec réserve les comptes 2020 des cinq branches de la sécurité sociale (dont la branche autonomie) et refusé de certifier les activités de recouvrement des URSSAF et du Conseil de protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) dont les comptes avaient été minorés (sciemment ?) de 5Md€, loin de l’objectif à valeur constitutionnelle de sincérité du budget de l’Etat et des administrations de sécurité sociale. 

En mars 2023 a été annoncé le chiffre du déficit 2022 des quatre branches de la Sécurité sociale, soit 19,6 Mds€, supérieur de 700 M€ aux prévisions initiales du gouvernement et supérieur de 1,6 Mds€ à celui de 2019. La branche vieillesse a connu un déséquilibre de 3,8 Mds€, à peine amorti par un excédent de 1,3 Mds€ du FSV (Fonds de solidarité vieillesse), soit 500 M€ de moins que ce qui était attendu. Mais c’est surtout l’assurance maladie qui subit un déficit violent de 21 Mds€ que les excédents des branches familles et accident du travail, soit 2,4 Mds€, ne compensent pas, et de loin.

Donc, hélas, les chiffres du nouveau rapport de la Cour ne surprennent pas. Ils soulignent à nouveau les carences et insuffisances graves de la Sécurité sociale.

Nathalie Goulet : Quand on cherche on trouve ! Ce qui était une fake News faisant le jeu de l’extrême droite devient une vérité énoncée par la Cour des Comptes. Les faux NIR (pour numéro d'identification au répertoire) sans évaluation. Je n’ai eu de cesse de dénoncer la gestion aberrante du service administratif national d'identification des assurés (Sandia) qui attribue ces NIR. 

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Madame Buzyn m’a traitée de menteuse en séance et le président de la commission des affaires sociales de l’époque, Modem et soutien du gouvernement, s’est empressé de faire un rapport complètement bidon pour le discréditer moi et Charles Prats. La mission menée à la demande d’Édouard Philippe avec Carole Grandjean aujourd’hui ministre allait dans le sens de ce constat de fraudes massives. 

La Commission de l’Assemblée nationale a entendu les protagonistes et le rapporteur du sénat dans une audition complètement ubuesque où il a été incapable d’expliquer des chiffres soufflés par les services.

Comment expliquer que malgré les alertes, notamment celles de la Cour des comptes et de personnalités politiques, rien n’ait été fait en la matière ?

Jean-Philippe Delsol : Les alertes sont répétées chaque année. Par exemple dans son rapport du 9 février 2022 , la Cour des comptes constatait que malgré une injonction précédente rien n’avait été fait pour combattre la fraude à l’identité bancaire dont les seuls détournements détectés ont été multipliés par dix en quatre ans pour atteindre 157 millions d’euros en 2020. Mais la Sécurité sociale, au sens large est plus qu’un mammouth, elle est dinosaure. Comme l’écrivait déjà l’IREF l’an dernier ,la bureaucratie française fait le malheur des honnêtes gens, qui ont bien du mal à comprendre les acronymes barbares, niches et aides en tous genres, et celui des fonctionnaires de bonne volonté, qui ne savent pas où trouver les informations dont ils ont besoin. En revanche, elle fait le bonheur des fraudeurs, qui peuvent compter sur la complexité administrative pour décourager les tentatives de contrôle.

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Rien n’est fait parce que tout le monde s’y perd et personne n’a intérêt à réduire les personnels ou les allocations qui sont autant de faire valoir politiques des élus. Aucun gouvernement ne veut susciter de drame en repensant notre système de protection sociale dont tout le monde sait pourtant qu’il est obsolète, inefficace et ruineux.

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A quel point cela est-il nuisible à notre système de protection sociale ?

Jean-Philippe Delsol : Comme l’écrivait encore la Cour des comptes dans un rapport du 4 octobre 2022, « Alors que la France est l’un des pays de la zone euro dont le taux d’endettement public est le plus élevé, une plus grande efficience des dépenses de sécurité sociale (qui représentent 35 % du PIB, soit 813 Md€ en 2020) est nécessaire pour réduire le poids de l’endettement public ». Le poids de nos dépenses sociales sont un frein au développement économique de la France tant elles pèsent sur les contribuables. Car d’importantes dépenses publiques induisent nécessairement d’importants prélèvements obligatoires aujourd’hui et demain au travers de la dette qui pèsera sur les générations futures. Le poids des cotisations sociales appauvrit les gens qu’il faut aider alors en imaginant de nouvelles allocations dont le financement appauvrira des gens qu’il faudra aider !

En outre, l’importance de nos dépenses sociales empêche également de consacrer les montants suffisants aux dépenses régaliennes de justice et de sécurité qui ne représentent qu’environ 10% de nos dépenses sociales publiques. C’est ainsi que nous sommes incapables d’assurer la tranquillité publique et d’arrêter quelques poignées de casseurs qui sèment un désordre inadmissible, ce qui nuit au développement économique qui permettrait d’élever le pouvoir d’achat de tous.

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Comment agir face à cette situation ?

Jean-Philippe Delsol : La Cour propose des solutions  administratives pour améliorer la fiabilité des comptes, notamment au travers d’un renforcement des contrôles internes et externes. Mis ce seront des emplâtres sur des jambes de bois. La grande Sécurité sociale à la française est atteint d’un mal plus grave, plus endémique qui repose sur sa conception elle-même, celle d’une monstre administratif peuplé  de fonctionnaires à vie peu motivés pour bien gérer un tel « machin ». La meilleure solution serait sans doute de permettre progressivement à ceux  qui le souhaitent de recevoir leur salaire complet (charges sociales salariales et patronales incluses) et de s’assurer pour leur santé et leur retraite autant que pour leur chômage, auprès de compagnies ou mutuelles de leur choix en les mettant en concurrence et en négociant leurs contrats et leurs primes comme ils le font pour leur assurances automobiles, logement ou parfois pour leur complémentaire. Il est plus que probable qu’ils obtiendraient de meilleurs prix et seraient inciter à les diminuer encore en ayant une attitude responsable dans la gestion de leurs congés maladie, de leurs consultations médicales ou de leur chômage. En concurrence avec d’autres assureurs, la Sécurité sociale serait pour sa part obligée de devenir efficace ou de mourir.  

Nathalie Goulet : J'ai proposé 24 mesures dans une proposition votée en 2021. Le même rapporteur ayant supprimé certaines propositions. Nous voilà au pied du mur. Quand allons cesser d’être hémorragie ? Quand allons-nous cesser cette aberration qui consiste à laisser les caisses exercer elles-mêmes leur propre contrôle ? Quand allons-nous créer un organisme de contrôle externe sans lien ou conflit d’intérêt avec les caisses ?

C’est une descente dans l’enfer de l’absurdie, quant aux responsables de cette dilapidation d’argent public, ils dorment tranquilles et sans jamais être sanctionnés. C’est un scandale d'Etat.

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