François-Noël Buffet : "Il faudra bien plus que des mots pour que les OQTF soient exécutées"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la Commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, le 1er juin 2022.
Le président de la Commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, le 1er juin 2022.
©DANIEL PIER / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Blocages politiques

Le sénateur LR du Rhône a mené une mission qui a souligné le manque d’efficacité de la politique française sur la question migratoire.

François-Noël  Buffet

François-Noël Buffet

François-Noël Buffet est sénateur LR du Rhône et  Président de la commission des Lois du Sénat depuis 2020. 

Avocat de formation et membre de la Commission des lois, il a été maire d'Oullins (Rhône) de 1997 à 2017.

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Atlantico : En mai dernier vous avez publié un rapport au Sénat sur la question migratoire. Il indiquait notamment qu'au premier semestre 2021, à peine 5,7 % des près de 62 000 OQTF prononcées l'avaient été. Comment votre rapport a-t-il été reçu à l’époque ?

François-Noël Buffet : A l’époque, les spécialistes l’avaient trouvé intéressant et utile. Mais sa diffusion n’avait pas été très large au-delà d’un cercle de personnes concernées par le sujet. Dans le courant du mois de juillet, le ministre de l’Intérieur avait fait savoir que le rapport l’intéressait et qu’il en retiendrait probablement l’ensemble des préconisations dans sa prochaine loi. Il avait été annoncé que le texte d’immigration viendrait en première lecture au Sénat dès octobre dernier. Nous avons appris fin juillet que ce ne serait pas le cas et qu’il serait reporté au début de l’année prochaine, mais qu’il y aurait en revanche un débat au parlement en décembre prochain. Donc à ce stade, nous attendons, mais nous ne pouvons pas attendre trop longtemps.

Emmanuel Macron s’est exprimé sur le sujet dans son interview à France 2. Il a notamment précisé une déclaration d’Olivier Véran expliquant que le gouvernement avait un un objectif de 100% d'exécution des OQTF. Qu’avez-vous pensé de son intervention ?

100% d'exécution des OQTF est aujourd’hui un objectif tout à fait irréaliste en l’état du droit et la réalité du terrain. Le flou est entretenu sur cette question. Emmanuel Macron a convenu que cela ne concernait que les OQTF pour les personnes placées en rétention. Très bien. Mais c’est insuffisant. Et cela laisse entendre que ceux qui ont des OQTF plus classiques sont tranquilles. Et avoir 100 % des OQTF exécutées dans les CRA, c’est à tout le moins ce qu’on peut attendre, mais ce n’est pas suffisant par rapport aux quelques 80 000 OQTF qui sont chaque années décidées. Cela veut dire que les autres vont grossir les rangs de l’immigration illégale. Par ailleurs, les OQTF sont les conséquences mais il faut mieux gérer la cause : l’entrée sur le territoire et son contrôle. Le président l’a un peu évoqué. Plus largement, son intervention a paru un peu plus structurée et cohérente que d’habitude mais la question maintenant, ce sont les actes pour arriver à cela. Et cela passe en grande partie par la loi. Tant qu’on n’aura pas de modification législative, ça ne servira à rien, on peut faire toutes les déclarations du monde. Il faudra bien plus que des mots pour que les OQTF soient exécutées. Les paroles n’auront de poids que si elles sont suivies d’actes.

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L’actualité et l’affaire Lola relancent la polémique sur les OQTF non appliquées et on semble redécouvrir la problématique. Comment l’expliquer ?

Malheureusement, cela fait plusieurs années, pour ne pas dire des dizaines d’années que les OQTF, qui ont d’ailleurs augmenté en nombre, ne sont plus exécutées, pour diverses raisons. La première, c’est que les pays sources, pour certains d’entre eux, ne reconnaissent pas leurs ressortissants et n’acceptent donc pas leur retour sur le territoire. Le deuxième sujet, c’est l’extrême complexité des procédures qui fait que le temps passant, les étrangers en situation irrégulière espèrent une régularisation de leur situation, notamment grâce à la circulaire Valls qui autorisait les préfets à régulariser les étrangers présents en situation irrégulière sur le territoire depuis plus de cinq ans. Et je ne parle même pas de nos difficultés à placer les gens en centres de détention administrative, ni du choix qui avait été fait par François Hollande puis par Emmanuel Macron de privilégier l’assignation à résidence plutôt que le placement en CRA. C’est l’origine du problème. La France n’est pas capable de le faire. Plus précisément, depuis une dizaine d’années, les gouvernements n’ont pas fait le choix d’une politique migratoire assez claire, assez cohérente, assez ferme : le contrôle des arrivées sur le territoire national. Il ne faut pas oublier qu’une grande partie des gens actuellement en situation irrégulière sont arrivés légalement sur le territoire, via un titre de séjour, un visa touristique, etc. Mais pour être juste, il faut aussi admettre que le système mis en place dans les préfectures pour renouveler ses titres de séjour est un système saturé, qui ne fonctionne pas, car mal dimensionné. Cela fait que des gens de bonne foi qui ont demandé leur renouvellement attendent leurs rendez-vous et se retrouvent parfois hors délai et dans des situations difficiles. S’il faut être d’une fermeté absolue avec les personnes en situation irrégulière et les délinquants, il faut être aussi capable de répondre rapidement et favorablement à ceux qui sont arrivés régulièrement sur le territoire, y vivent régulièrement et font leurs démarches administratives de façon normale. Dans la situation actuelle, tout le monde se retrouve dans le même panier et c'est injuste.

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Il s’agit donc d’un mélange de blocages politiques et techniques ?

Absolument. C’est le résultat d’un non-choix de la politique migratoire. Cela donne le sentiment que tout cela est monté de bric et de broc et qu’il n’y a pas de lisibilité ou de simplicité de la procédure. Et par conséquent, on traite tout le monde très mal. Ce n’est pas satisfaisant. Nous sommes dans une organisation administrative qui doit être si ce n’est repensée au moins redimensionnée.

"5% des OQTF exécutées, c'est une faute de l'Etat" a déclaré Éric Ciotti. Partagez-vous ce constat ?

Je ne sais pas si c’est une faute, en tout cas c’est une responsabilité. A partir du moment où nous n’avons pas le sentiment que tout est fait pour être efficace, cela semble indiquer une difficulté. La situation aujourd’hui est le résultat d’un non-choix politique ou plus exactement d’un choix de politique migratoire au fil de l’eau. C’est le scénario en place depuis le mandat de François Hollande et rien n’a changé sur le fond depuis. On peut toujours faire de grandes déclarations, mais ce qu’il faut, c’est mettre en place les outils en cohérence avec les déclarations.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce non-choix ? Une idéologie ?

C’est un non-choix au sens où il n’y a pas de volonté de regarder la vérité en face. L’idée au début de François Hollande était que tout le monde pouvait venir en France. Mais cela pose d’autres questions et notamment : quelle est la politique migratoire de la France ? Aujourd’hui, et depuis dix ans, je ne suis pas capable de vous le dire. Si ce n’est de dire qu’il n’y a grosso modo pas de politique : on accueille tout le monde et on fait avec. Je ne suis pas dans cette stratégie. Un Etat doit définir sa politique migratoire. C’était l’immigration choisie, cela pourrait s’appeler différemment aujourd’hui, mais il faut clarifier. Je mets évidemment à part la politique du droit d’asile qui est un autre sujet. Il faut protéger les gens qui sont en danger. Mais il faut aussi s’inquiéter de la manière dont certains réseaux détournent la procédure du droit d’asile.

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Emmanuel Macron semble vouloir durcir les règles concernant les OQTF. En l'état actuel des choses, en a-t-il les moyens, financiers, juridiques, humains ?

Juridique non, c’est certain. Humain, non plus. Comme l’a montré notre rapport de mai dernier, les services sont insuffisamment dotés. Sur le plan financier, des efforts sont faits mais les dépenses ne sont pas forcément fléchées sur les postes qui le nécessiteraient. Concrètement, il nous faut un texte juridique et une loi de programmation pour faire avancer les choses. Mais ce qu’il faut avant tout, c’est déterminer une stratégie. Et pour que cela marche, il faut une volonté politique acharnée.

Que faire par rapport à ce constat ? Quelles sont vos préconisations ?

Il faut d’abord définir la politique migratoire que l’on veut avoir : est-ce que l’on privilégie l’immigration économique, pour nos secteurs en tension, l’immigration étudiante, etc. ? Est-ce que l’on revoit les règles du regroupement familial ? Il faut définir nos choix stratégiques. Ensuite, il faut que chaque personne qui arrive régulièrement sur le territoire soit orientée vers des choses claires : apprendre la langue, accepter le respect des valeurs, etc. Pour aller au Canada ou aux Etats-Unis, il faut de forts engagements. Il faudrait la même chose en France. Ensuite, dans la gestion des titres de séjour, il nous faudrait vérifier que les personnes qui devaient renouveler leur titre l’ont fait avant la date limite. Quelqu’un qui vient avec un visa touristique de trois mois mais qui demeure au-delà de ce temps, je ne suis pas certain qu’aujourd’hui on sache s’il est reparti ou non. C’est une situation anormale. Evidemment, il faut aussi une simplification des procédures administratives, sur la base du rapport du Conseil d’Etat de 2020. Cela doit être lisible pour les étrangers comme pour l’administration. Enfin, concernant l’asile, je propose que quand il y a un refus du statut de réfugié, cette décision soit équivalente à une OQTF. Tout cela doit se faire dans le respect du droit des personnes, de leurs voies de recours, etc. Mais la règle doit être simple et on doit se donner les moyens de l’administration rapide de ces règles.

Ces préconisations ne risquent-elles pas de prendre du temps ?

 Je ne suis pas sûr. Si le ministre de l’Intérieur reprend ces préconisations, on peut espérer qu’au mois de janvier, elles soient intégrées au texte. Et si elles n’y sont pas, LR les y mettra. Cela laisse l’espoir qu’elles soient voté début 2023. Mais au moment où je vous parle, j'attends encore le texte.

Comment faire face à un pays qui refuse le retour de ses ressortissants ?

Quand un pays ne veut pas reconnaître son ressortissant, nous sommes coincés. La seule solution, c’est que le gouvernement, au plus haut niveau, négocie le déblocage de la situation, par le rapport de force. Dans le dernier texte voté au Sénat sur le sujet, nous avions voté le fait que la France puisse conditionner l’octroi de visas au nombre de laissez passer consulaires octroyés par les pays d'origine. Malheureusement, cet amendement n’a jamais été repris à l’Assemblée nationale. Il faut établir un rapport de force, je ne dis pas que c’est une bonne chose, mais nous sommes obligés d’en arriver là. Certains pays ne comprennent que la négociation et le rapport de force. Si tout fonctionnait bien, on ne se poserait pas la question, mais tel n’est pas le cas.

Est-ce que les différents faits divers, et notamment le meurtre de Lola, peuvent permettre une prise de conscience sur ces sujets ?

Ce drame aurait pu se passer dans n’importe quelle autre condition, il faut le dire. Mais il a été révélateur d’un problème. Cela révèle la question des exécutions des OQTF. Cela a été, tristement et malheureusement, un révélateur et peut être une prise de conscience collective plus importante. C’est un point de faiblesse de la France qu’il nous faut traiter rapidement. Il est possible que cela entraîne une avancée dans la loi. Il faut que ça avance.

Les déclarations du gouvernement semblent-elles indiquer que l’exécutif est prêt à agir en ce sens ?

Si je m’en tiens aux déclarations, le gouvernement semble à l’écoute. Il a déclaré que notre rapport était bon et qu’il comptait en reprendre toutes les mesures. Aujourd’hui je dis : chiche, allons-y !

Sur le sujet migratoire, souffrons-nous de notre appartenance à l’Union européenne ?

Non ce n’est pas lié à cela. La difficulté de la question migratoire, c’est que c’est une réponse nationale à une question internationale. Il faut admettre que depuis 2015, Frontex a été fortement renforcé. La transformation en agence de protection des frontières, sous la houlette de Fabrice Leggeri, a été utile et nécessaire. Mais naturellement, c’est insuffisant. L’Europe doit prendre conscience des problématiques de la France. Et se doter d’une stratégie migratoire, partagée autant que faire se peut. Mais cela ne peut pas se faire au détriment des décisions d’un État souverain. Par ailleurs, le travail à la frontière des Italiens, des Grecs et autres est important. Si nous n’étions pas dans l’Union européenne, nous serions obligés de traiter le problème à nos frontières. Aujourd’hui, le travail est mutualisé. Le système n’est pas en cause, mais il faut pousser l’action européenne.

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