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François Hollande dans Elle et peut-être bientôt à On n’est pas couché : cette analyse venue des Etats-Unis qui se cache derrière le risque de com’ assumé par l’Elysée
©REUTERS/Philippe Wojazer

Com’ de crise (politique)

Des rumeurs de plus en plus persistantes laissent entendre que François Hollande serait prochainement l'invité de Laurent Ruquier sur le plateau d' "On n'est pas couché". Une possibilité qui révèle la rationalité de la stratégie de communication mise en oeuvre par le président, conscient de l'atomisation de la société et des chutes d'audience significatives des médias traditionnels.

François Belley

François Belley

François Belley est publicitaire. Il est l’auteur du roman « le je de trop », de l’essai « Ségolène la femme marque » et du blog « La politique spectacle décryptée par un fils de pub ! »

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Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet est communicant et co-fondateur de l'agence de conseils en communication MCBG Conseil.

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Atlantico : Après une interview dans Le chasseur français en octobre dernier, un entretien dans Elle paru ce vendredi, et maintenant la probable apparition prochainement sur le plateau d' "On n'est pas couché", comment analyser la nouvelle stratégie de communication de François Hollande ? 

Philippe Moreau-Chevrolet : François Hollande étant en campagne, il fait une communication de campagne. Avec 17% de popularité dans les sondages, il est au plus bas niveau jamais atteint par un président de la Vème République. A un an de l'élection présidentielle, le défi à relever pour lui semble colossal.

Même si ce revirement est bien tardif, il a tout à fait raison d'opter pour une stratégie de communication le conduisant à être présent sur tous les supports possibles, y compris ceux qui sont peu prisés par les présidents de la République comme le magazine Elle, le Chasseur français ou encore la possibilité qu'il se rende sur le plateau d'On n'est pas couché. Cette stratégie répond à l'éparpillement de l'audience constaté ces dernières années dans le paysage audiovisuel français. Il n'y a plus d'émissions centrales où l'on peut toucher en une fois la majorité des Français. Les journaux télévisés voient leurs audiences baisser au profit d'émissions d'infotainment comme l'émission de Laurent Ruquier dans lesquels les Français vont de plus en plus chercher du débat politique. L'atout de ces émissions c'est qu'il s'y passe vraiment quelque chose. Le problème d'émissions comme Des paroles et des actes ou Mots croisés c'est qu'elles sont perçues comme excessivement cadrées, il ne peut rien s'y passer d'inattendu. Elles sont tellement rodées qu'elles en deviennent ennuyeuses. Par le suspense et le côté inattendu qui les caractérisent, les émissions d'infotainment sont des espaces où les hommes politiques se mettent en danger, sont obligés de se dévoiler. Cette prise de risque est appréciée des téléspectateurs qui récompensent d'une certaine manière ceux qui s'y prêtent avec succès.

L'éparpillement de l'audience pousse donc François Hollande à aller chercher l'audience partout où elle se trouve. Il s'efforce de remplir son panel électoral morceau par morceau. Ce phénomène est relativement nouveau. Lorsque François Mitterrand voulait s'adresser aux Français, il lui suffisait de se rendre au journal télévisé de TF1, en conformité avec la stratégie de la "rareté de la la parole présidentielle" théorisée par ses conseillers en communication Jacques Pilhan et Gérard Colé. Pour la même audience, François Hollande doit se rendre dans plusieurs émissions. Cette stratégie s'apparente au micro-targeting et au marketing affinitaire. Nicolas Sarkozy avait déjà mis en œuvre cette stratégie de manière très systématique en 2007. Il s'agit de cibler l'électorat communauté par communauté, fragment d'électorat par fragment d'électorat.

Est-ce une bonne stratégie de communication ? 

François Belley : Si l'on fait du marketing politique de qualité, il est évident qu'il faut cibler les bons supports pour pouvoir toucher la bonne cible. Ainsi, si l'on veut s'adresser à la France de la terre, il n'est pas totalement inintéressant de prendre la parole dans un support presse largement lu par cette frange de la société. Si l'on remonte un peu dans le temps, ce qui a constitué une nouveauté en termes de stratégie de communication réside dans le ciblage de la presse régionale au cours des années 1970/1980. La stratégie actuelle de François Hollande est bien éloignée de celle d'un Gérard Colé ou d'un Jacques Pilhan, tous deux en charge de la communication de Mitterrand. La stratégie de la "rareté" qu'ils sont connus pour avoir théorisé consistait à dire que François Mitterrand étant président de la République, celui-ci ne prendrait la parole que dans des moments importants, graves et solennels, contribuant ainsi à dessiner les contours d'un homme présidentiel. Or, le problème de fond de Hollande est là : il n'est pas du tout présidentiel. De fait, je ne suis même pas sûr qu'il y ait une véritable stratégie de communication au sein de son état-major.

Lors de sa campagne présidentielle en 2008, Barack Obama affirmait la nécessite d' "aller là où sont les gens", privilégiant notamment la communication auprès de différents groupes, notamment communautaires (Afro-américains, Asiatiques, Hispaniques, etc.) via les réseaux sociaux. Cette campagne n'a-t-elle pas été un tournant dans la mise en place de cette stratégie privilégiant la communication auprès de groupes spécifiques ? 

François Belley : Au cours de cette campagne, Obama a révélé trois forces. La première, c'est qu'il a compris avant la plupart des hommes politiques, notamment français, que l'électeur-citoyen ne s'informait plus via les médias traditionnels. Partant de ce principe, il est allé le toucher ailleurs, et notamment sur les réseaux sociaux à l'heure du 2.0, qui offrent la possibilité de participer et d'interagir. Chaque citoyen-électeur devenait alors citoyen-contributeur de la campagne.

Sa deuxième force a consisté dans son constat établi que les électeur-citoyens étaient convaincus de la déconnexion des hommes politiques par rapport à la réalité. Face à ce postulat, il a décidé d'être un homme politique ancré dans le réel. Ceci explique l'intérêt de la désacralisation de la fonction politique (ici la fonction présidentielle). Cette désacralisation passe par la constitution d'images scénarisées, à l'heure du tout numérique, insérées dans une séquence présidentielle "normale". Il incarne alors un président "normal" : il fait du basket dans son bureau, soit dit en passant l'une des images les plus retweetées ; on le voit encore allongé dans son bureau, jouant avec un enfant, là encore dans son bureau, etc. Il développe l'image du bon père de famille, donnant l'impression d'incarner l'homme moderne. Il s'est donc construit en opposition avec l'image traditionnelle de l'homme politique moderne, marquée par un éloignement de la réalité.

Imaginez la mise en place d'une telle stratégie par les conseillers en communication de François Hollande : Hollande en train de faire du basket, allongé dans son bureau, etc. Ce n'est pas la stratégie qui est mauvaise, et j'en arrive à la troisième force d'Obama : c'est un excellent interprète. Il exécute sa stratégie de communication comme un show à l'américaine. Par exemple, Obama est très réputé pour ses mots d'esprit et d'humour ; à l'inverse, lorsque Nicolas Sarkozy se met à faire de l'ironie dans ses interventions, ou bien Hollande, cela ne fonctionne pas. Obama peut se permettre une apparition dans une émission de télé-réalité, communiquer sur Twitter, etc. car cela fonctionne, pour la simple et bonne raison qu'il est le premier président numérique, ce qui renvoie, dans la forme, à une certaine modernité, à une certaine façon de faire de la politique. Ainsi, la marque Obama, après presque 10 ans d'exposition dans la "politique-spectacle", demeure attractive et populaire. Cela n'a pas été le cas avec Nicolas Sarkozy comme le confirme les difficultés de son retour, la marque étant usée ; quant à l'image de François Hollande, celle-ci est complètement détériorée. 

Dans un contexte de société de plus en plus atomisée, où il est devenu impossible pour les politiques de toucher l'ensemble de la population via un seul canal/média, est-ce une stratégie de communication à laquelle les hommes politiques ne peuvent plus échapper ? N'est-ce pas finalement une nécessité qui fait loi, plus qu'un choix parmi d'autres ?

François Belley : Il est évident qu'on ne peut pas penser aujourd'hui sa stratégie de communication uniquement par le biais de la radio nationale le matin et/ou de TF1 le soir. Plusieurs créneaux existent aujourd'hui et il convient de les occuper, à quoi s'ajoute l'existence des réseaux sociaux (Facebook, Twitter et Instagram). En France, globalement, les hommes politiques sont sur les réseaux sociaux mais peinent à en penser leur utilisation stratégique. La semaine dernière encore, François Hollande accordait une interview en direct sur Periscope, et se faisait dans le même temps "troller", des messages peu élogieux à son égard apparaissant alors à l'écran. Dans ces conditions, il n'est pas possible de construire une image. Une image présidentielle s'impose, elle n'est pas imposée surtout lorsqu'on est président de la République. C'est tout le problème de François Hollande.

La segmentation de la société n'arrange en rien l'affaire. Celle-ci est due à un repli communautaire, résultat de la crise qui se manifeste par une perte de sens et d'identité. Par conséquent, les hommes politiques sont contraints d'adapter leur stratégie politique. Dans la séquence politique que nous connaissons actuellement, est-ce véritablement stratégique de s'exprimer dans Elle ? La communication politique doit être mise au service de l'action, un mot que nous avons complètement oublié. Ce que l'on pourrait conseiller aux hommes politiques actuellement, c'est de se taire de plus en plus, de moins se montrer, et de faire davantage. La question à laquelle les politiques devraient répondre quotidiennement est la suivante : "qu'est-ce que j'ai fait aujourd'hui?", et non pas "qu'est-ce que j'ai dit ?". L'utilisation des réseaux sociaux en est symptomatique : c'est de l'illustration de l'ego trip dans toute sa splendeur, avec des messages à 90% du type "Retrouvez-moi dans 10 minutes sur RTL pour mon interview". Où sont les idées et les actions politiques là-dedans ? Car si la communication politique n'est pas constituée par l'action, alors nous sommes dans ce que j'appelle la "politique-spectacle". 

Une telle stratégie, impliquant par exemple d'aller s'adresser à une partie ciblée de l'opinion sur le plateau d'On n'est pas couché, est en revanche fortement contestée au motif qu'elle contribue à la désacralisation de la fonction politique. Quel est le réel rapport coût/bénéfice d'une telle opération pour nos dirigeants politiques ? Que regagnent-ils de ce qu'ils perdent en respect de leur fonction ?

François Belley : Si l'on reprend l'apparition de Manuel Valls en janvier dernier sur le plateau d'On n'est pas couché, la seule stratégie ici consiste à aller parler politique à ceux qui ne s'intéressent plus à la politique. Il s'agit là d'une très mauvaise stratégie, principalement parce qu'elle contribue à nourrir la "politique-spectacle". Nous vivons actuellement une double crise : celle de la politique et celle du politique, plus importante que la première. Nombreux sont les sondages à révéler la défiance des Français à l'égard du personnel politique, alors qu'ils sont passionnés de politique ; nous sommes d'ailleurs le pays où il y a le plus de sondages réalisés, de micros-trottoirs, etc. A l'heure actuelle, le seul temps de parole conséquent accordé aux politiques, malheureusement, c'est dans les émissions de divertissement, et non pas dans des émissions spécialisées.

Le seul gain pour compenser cette désacralisation, c'est la flatterie de l'égo. Ce type de stratégie ne nourrit ni la fonction du politique, ni ne participe à la réconciliation des Français avec la politique. 

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