Forte hausse de la criminalité : après le déni du gouvernement, les aveux officiels<!-- --> | Atlantico.fr
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Au dernier semestre, les vols "avec violence" ont augmenté de 5,2%.
Au dernier semestre, les vols "avec violence" ont augmenté de 5,2%.
©Reuters

Mea culpa

Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure révèle une augmentation importante entre le mois d'août et d'octobre de la criminalité. Une hausse qui traduit une tendance de fond fortifiée par l'absence de réponse pénale.

Patrice  Ribeiro

Patrice Ribeiro

Patrice Ribeiro est secrétaire général de Synergie-Officiers

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Un conte de l'ancienne Chine évoque ce paysan niais qui soulève un rocher - et le laisse retomber sur son pied. C'est l'inconfortable situation du ministre de l'Intérieur, qui a voulu un outil de comptage plus professionnel du crime (comme d'usage baptisé "délinquance" pour endormir l'électeur) - et voit ce "Service statistique ministériel de la sécurité intérieure" (SSMSI) confirmer les alertes répétées de l'auteur qui depuis 2014, dans Atlantico notamment, signale qu'enfle en France une grosse vague criminelle. Eh bien, cette vague, la voilà.

Avant d'en venir aux chiffres, signalons une première tricherie officielle, évoquant la "stagnation" de certaines infractions. Car en France, parfois oui cela stagne, mais au plus haut (en regard des pays voisins de taille analogue). Imaginons une vallée montagnarde menacée d'inondation. Si l'eau y stagne tout en bas, les locaux ont juste les pieds mouillés. Mais si l'eau stagne en haut des monts voisins - et stagnation il y a dans les deux cas - ils sont tous noyés. Or récemment, le niveau français des vols violents, cambriolages etc. est fort élevé : cela, nos officiels le cachent ; pas plus qu'ils ne comparent les chiffres français à ceux de nos voisins. Les chiffres du SSMSI maintenant :

- D'août à octobre 2015, les cambriolages ont (encore) augmenté de 3,1% ; les vols dans les véhicules, de 6% (au plus haut depuis 5 ans !). - Au dernier semestre, les vols "avec violence" ont augmenté de 5,2% ; ceux "avec armes à feu ou couteau", de 10,7 %.

Cet automne 2015, on compte en France 1 700 (bien mille sept cents) vols à la tire (par des pickpockets) par jour, 140 par heure diurne. Encore ne s'agit-il que de ceux connus de la police ! De constantes évaluations montrent que seuls 20% de ces vols à la tire donnent lieu à plainte, ce qui situe sans doute leur nombre réel vers les 8 000 par jour .

Ainsi, comme l'affirme de longue date l'auteur, la France est-elle bien au pillage - et la violence criminelle y est-elle toujours plus préoccupante.

Seconde tricherie sur les vols "avec armes à feu ou couteau" (naguère "vols à main armée"). Désormais, ce sont d'usage de peu risqués "braquages de proximité", plus que des attaques de banques, chambres fortes, etc. L'Intérieur dit que ces micro-braquages baissent - affirmation risible : nos outils scientifiques constatent qu'au contraire, ils sont plus nombreux, plus violents et diversifiés que par le passé. Quand donc :

  • Les magasins déjà braqués (Tabacs, etc.) le sont plus souvent encore,
  • La prédation gagne de nouveaux territoires, jadis épargnés par les braqueurs,
  • De nouveaux types de commerces sont ciblés par ces bandits,
  • Les braquages commis par des jeunes, ou des mineurs, explosent, ce qui signale qu'émerge une nouvelle génération criminelle,

... Une vague criminelle s'amorce bien.

Or ce phénomène en aggravation, la police et la justice le maquillent. Toujours plus, ces vols à main armée (crime passible de la cour d'assises) sont correctionnalisés en "Vols-violence avec armes" ou "violences en réunion avec la menace d'une arme" (simples délits). Niveau justice, un braquage arrive au Parquet selon sa "nature d'affaire" (NATAF). Mais à la sortie, maquillage aidant, sa "nature d'infraction" (NATIF) escamote le braquage. Ce bonneteau judiciaire opère à un rythme tel que finissent par statistiquement baisser des crimes qui, dans les rues, augmentent encore et toujours.

Xavier Raufer

Atlantico : Ces augmentations sont-elles dues à des raisons conjoncturelles ou reflètent-elles des tendances de fond ?

Patrice Ribeiro : Selon le service statistique du Ministère de l'intérieur, tous les indicateurs sont à la hausse qu'il s'agisse des cambriolages, des vols de voitures… S'il y a effectivement des tendances conjoncturelles qui peuvent parfois expliquer des hausses ou des baisses de chiffres (nous nous préparons par exemple à une explosion du nombre de vols à la tire et avec violence pour la COP21), ces dernières sont généralement très ciblées sur le territoire. Or là, nous avons affaire à une tendance profonde et nationale, sur tous le territoire. Le ressenti de nos collègues nous éclaire sur ce point : partout, ils constatent une augmentation significative des violences tant en volume qu'en intensité, qu'elles soient dans une logique crapuleuse ou non (c'est-à-dire qui ne sont pas de l'ordre de la prédation ; cela peut être des regards mauvais dans l'espace public, se faire cracher dessus gratuitement ou se faire bousculer sciemment et sans raison dans les transports publics…). Après un très mauvais été pour la sécurité des Français où partout sur le territoire national nous avons pu voir des tendances haussières des violences dans les zones urbaines -avec plus de véhicules brûlés, plus de guet-apens, plus de caillassages de policiers comme l'a relevé la Direction centrale de la sécurité publique-, ces nouveaux chiffres témoignent d'une radicalisation des rapports sociaux dans la société, et d'une montée de la violence.

Les quartiers sensibles s'enfoncent dans la sédition, il est toujours plus difficile pour les forces de l'ordre et les agents de l'Etat, mais aussi les pompiers, les ambulanciers d'accéder aux 900 quartiers réputés difficiles, ceux que l'on appelle les territoires perdus de la République. Dans ces territoires, quand un individu nous appelle pour un tapage par exemple, il faut une organisation logistique lourde pour pouvoir s'y rendre, avec des mesures de protection importantes. C'est ainsi que 9 fois sur 10, nous ne pouvons pas y aller, principalement car il y a des problèmes d'effectifs, et que la sécurité des agents d'intervention est importante. Par ailleurs, en 6 ans, nous avons recensé plus de 40% de policiers blessés. Et pour les blessures par arme, ce chiffre a doublé en trois ans.

Manuel Valls s'est exprimé sur sa page Facebook jeudi 5 novembre pour évoquer une crise de l'autorité de l'Etat. Êtes-vous d'accord avec son observation ?

Oui, il y a un affaissement palpable de l'autorité de l'Etat, un affaissement d'abord  nourri par l'absence de réponse pénale... A partir du moment où il n'y a pas de sanction à la clé pour les délinquants multi-réitérants, à partir du moment où 5% d'entre-eux sont à l'origine de 50% de la délinquance et ne vont pas en prison, en pourrissant la vie des concitoyens notamment dans les zones sensibles… Comment une solution pourrait-elle être trouvée ? Le nœud gordien est là.

On voit de nombreux reportages sur ces quartiers difficiles, comme celui de vendredi 6 novembre sur BFM TV qui s'interrogeait sur la situation à Saint Ouen, ville qui a été visitée par le Premier ministre il y a quelques mois. Le documentaire est cruel, car non, rien n'a changé d'un pouce pour ses habitants. Mais comment voulez-vous que cela change si les dealers ne sont pas sanctionnés ?

Les émeutes à Londres ont duré trois jours là où elles ont duré 3 semaines chez nous en 2005. Pourquoi ? Parce que les tribunaux londoniens siégeaient jour et nuit, et qu'ils mettaient en prison immédiatement les fauteurs de trouble. Dès le lendemain, les autorités prévenaient les populations des quartiers d'où les débordements partaient que leurs voisins avaient été envoyés en prison : c'est cette capacité de dissuasion manque aujourd'hui à la France.

Par ailleurs, le Premier ministre évoque deux voies possibles pour l'affirmation de l'autorité de l'Etat. Que vous inspire la déclinaison de l'autorité de l'Etat de la part de Manuel Valls ?

C'est une pure posture politique, et on voit bien de quoi elle relève et à qui elle s'adresse. Nous, nous sommes confrontés à une réalité qui transcende ces discours et les désactive : quand les voyous se lèvent le matin ils ne lisent pas Le Monde pour comprendre la conception de l'autorité de l'Etat de Manuel Valls. Ils regardent ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils ne peuvent pas faire. Et lorsque Christiane Taubira dit qu'il n'y a pas de place dans les prisons, et que donc il ne faut pas que les condamnés accomplissent leurs peines, les voyous se sentent forcément encouragés. Pourtant la logique voudrait que s'il n'y a pas suffisamment de place, eh bien il faut les construire ! La question est de savoir si l'on veut avoir ces délinquants comme voisins ou neutralisés dans une prison. C'est la seule question à se poser pour rétablir l'autorité de l'Etat.

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