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“Formation”, le dernier clip de Beyoncé déchaîne les passions outre-Atlantique : dénonciation du racisme de la police ou pas ?
©Capture d'écran / Youtube

Fatale

Double événement : Beyoncé lance le clip de son dernier single, et le chante lors du concert de la mi-temps du Super Bowl. Si le public et les critiques ont été conquis, certains ont appelé à un boycott. En effet, certains thèmes critiquent la police, et semblent même faire l'apologie de groupes radicaux noirs...

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Beyoncé est une chanteuse et danseuse de rêve, mais elle est également, et de plus en plus, une artiste engagée. Son dernier clip etson  show ont défrayé la chronique par ses messages de soutien à la communauté noire américaine--et, selon certains, de vilification des forces de l'ordre. Explications.

L'événement : show au Super Bowl, et lancement d'un clip et d'une tournée--et un boycott

Le Super Bowl, finale du championnat de foot US, est beaucoup plus qu'un événement sportif : c'est un show magistral, regardé par plus de 100 millions de personnes. Une des étapes traditionnelles du show est le concert de la mi-temps. Ce coup-ci, c'était Beyoncé qui se livrait à l'exercice, avec un show en direct qui était également une révélation de son nouveau single, "Formation". Au même moment, elle publiait le clip de la chanson sur Internet, et annonçait une tournée mondiale. (L'album dont est extrait "Formation" n'est pas encore sorti, et on n'en connaît pas le nom.)

Un show à l'américaine comme on les aime, donc, avec chanson, danse, musique, feux d'artifices, danseurs et danseuses, foule en délire. Si la plupart du public, ainsi que les critiques, s'est extasié de la performance de Beyoncé et de son nouveau single, certains l'ont très vite critiquée. Les membres de l'Association nationale des sheriffs, qui regardaient le show à l'occasion d'une réunion, ont éteint la télé pendant la mi-temps, a signalé le Washington Times. Le président du groupe a déclaré qu'il l'a fait parce qu'il était choqué par le clip de Beyoncé. Très vite, un mouvement #BoycottBeyoncé se faisait jour sur les médias sociaux.

Le clip de Beyoncé, ode à l'Amérique noire et à la Nouvelle-Orléans...mais pas seulement

Qu'est-ce qui a tant choqué ces spectateurs ? Comme l'explique très bien Paul Schrodt de Business Insider, son clip est avant tout une ode à l'Amérique noire, et notamment la culture de l'Amérique noire du Sud, et à la Nouvelle-Orléans. Toute la trame du clip est la Nouvelle-Orléans, et sa dévastation à la suite de l'ouragan Katrina, un sujet qui reste très sensible pour la communauté noire américaine, qui a perçu dans le manque de préparation des secours et le manque de soutien dans l'après Katrina un avatar du racisme structurel de la société américaine. Les quartiers les plus exposés à l'ouragan étaient les quartiers pauvres, donc majoritairement noirs, et la communauté noire de la Nouvelle-Orléans a été la plus frappée. L'action des forces de l'ordre à la suite de l'ouragan a été très critiquée, comme frappant de manière disproportionnée la communauté noire. 

Le clip nous montre donc des images de maisons sous l'eau, ainsi que de scènes typiques de la Nouvelle-Orléans noire, et de la communauté noire américaine, comme une église noire, et une scène de "funérailles jazz", cette tradition douce-amère si poignante de la Nouvelle-Orléans, où le cortège funéraire est accompagné d'un orchestre jazz jouant des mélodies de réjouissance et de deuil. 

Beyoncé ne vient pas de la Nouvelle-Orléans, mais elle a des racines familiales en Louisiane, et elle vient du Texas, donc du Sud. "My daddy Alabama, Momma Louisiana / You mix that negro with that Creole make a Texas bama," chante-t-elle, "Mon papa d'Alabama, ma maman de Louisianne / On mélange ce nègre avec une créole et ça fait une bama du Texas", décrivant ses origines, et utilisant un terme d'argot, "bama", péjoratif, pour quelqu'un qui vient du Sud, reprenant ce terme comme un terme de fierté. 

Le clip est émaillé de références à la fierté noire et à la culture noire. Elle arbore des coiffures identifiées à la culture noire, et chante qu'elle est fière des cheveux naturels (donc non lissés, donc affirmant une identité noire) de sa fille. Une image montre Martin Luther King, Jr à la une d'un journal, qui le décrit comme "plus qu'un rêveur", mais un "révolutionnaire". 

Une ode non seulement à la culture noire, mais à l'activisme noir--et une critique féroce de la police

Mais Beyoncé ne fait pas que célébrer la culture noire. Elle critique, effectivement, les forces de police. Une image du clip montre un graffiti proclamant "Stop shooting us", arrêtez de nous tuer, en référence aux nombreux faits divers récents où des noirs ont été tués par des policiers ou des hommes blancs dans des circonstances équivoques.

Une des images les plus frappantes du clip est un petit enfant noir portant un hoodie noir--symbole de la protestation contre la violence contre les noirs américains depuis la mort du jeune Trayvon Martin, attaqué parce qu'il portait un hoodie--et dansant devant une ligne de policiers armés. A la fin de sa danse, le petit garçon lève les mains en l'air, référence à Michael Brown, un autre homme noir abattu par la police alors que, selon certains témoins, il avait les bras levés. De plus, si son clip n'y fait pas référence, dans le show du Super Bowl de Beyoncé, ses danseuses portaient des bérets noirs--une référence aux Black Panthers, groupe activiste noir des années 1960 et 1970, qui avait une aile paramilitaire et violente, voire parfois terroriste.

Ceci dit, si le message du clip de Beyoncé est critique envers la police, et prône la rebellion et la fierté de la communauté noire américaine, ce n'est pas une rebellion armée. La force du passage avec le garçon noir est qu'après avoir dansé et levé les mains...les policiers à leur tour lèvent les mains. Le message est que c'est par la culture que la violence entre les communautés sera apaisée.

Le clip de Beyoncé commence et finit avec l'image d'une voiture de police qui s'enfonce dans l'eau avec Beyoncé sur le toit, un message que beaucoup ont interprété comme une attaque contre la police, mais à la fin du clip, Beyoncé elle-même s'enfonce : le message est que le cycle de la violence détruit toutes les communautés, un message qui cherche à briser ce cycle, pas à le perpétuer.

Comment le faire ? Selon Beyoncé, par la fierté des noirs dans leur culture et par la protestation pacifique--comme celle de Martin Luther King--mais aussi par le développement de la communauté noire américaine. "You just might be a black Bill Gates in the making ... I just might be a black Bill Gates in the making", chante-t-elle. "Tu pourrais être un futur Bill Gates noir ... Je pourrais être un futur Bill Gates noir". Et Beyoncé finit le clip avec : "Always stay gracious, best revenge is your paper." ; "Reste toujours grâcieux, la meilleur vengeance c'est ton papier"--autrement dit, d'accumuler des dollars.

Un message nuancé, donc, sans nul doute teinté de la colère légitime d'une communauté qui subit l'inégalité depuis des siècles, mais au final pacifique et inspirant. Même si on peut comprendre que tous ne le voient pas comme ça.

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