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Fini le tribunal, de simples amendes pour la consommation de cannabis ou la conduite sans permis : un moindre mal dans un univers judiciaire où l’on vient à se contenter de peu
©REUTERS/Andres Stapff

Laxisme vs Pragmatisme

La transaction pénale, voulue par la loi d’août 2014, a fait l’objet de la publication jeudi 15 octobre d’un décret d’application au Journal officiel. Les officiers de police judiciaire auront désormais la possibilité de faire payer une amende plutôt que de déclencher la lourde machine judiciaire.

Serge  Lebigot

Serge Lebigot

Président de l'association Parents contre la drogue, Serge Lebigot est également l'auteur de l'ouvrage Le dossier noir du cannabis (éditions Salvator) et de Cannabis : ce que les parents doivent savoir (éditions Lethielleux).

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Quel est l'objectif du gouvernement à travers ce décret d'application ? A quelle fin a-t-il été publié ?

Philippe Bilger : A première vue, l'objectif de ce décret semble être d'ordre économique, pour désengorger le judiciaire d'infractions non capitales, tout en s'assurant d'une sanction. Aujourd'hui, les consommateurs de cannabis ne sont pas systématiquement condamnés,  ils peuvent par exemple recourir à des injonctions thérapeutiques pour échapper à la sanction. Cette sanction définitive, une amende, sera donc plus douloureuse que ce qui leur advient généralement dans le système actuel.

Dans un système judiciaire idéal, il aurait été préférable que ces infractions considérées comme mineures soient jugées selon un processus normal. Mais il me semble que le fait de confier aux policiers le soin de fixer des amendes pour des infractions moins importantes -à supposer qu'elles le soient-,  est plutôt une bonne idée dans la mesure où cela permet de désengorger le judiciaire. C'est un moindre mal qui peut aboutir à la certitude de sanctions rapides et efficaces, et en ce qui me concerne cela ne me gène pas que ce soient les policiers qui assument cette fonction.

Serge Lebigot :Le décret a été publié pour soi-disant désengorger les tribunaux, mais connaissant l’idéologie post soixante-huitarde d’une partie de ce gouvernement, on peut se demander si finalement ce n’est-ce pas une dépénalisation déguisée car la contraventionnalisation est une dépénalisation.

En ne déclenchant pas la procédure judiciaire, le gouvernement ne laisse-t-il pas passer aux jeunes un message de banalisation ?

Philippe Bilger : Il y a eu tellement de débats scandaleux sur la drogue, où l'on envisageait très sérieusement de la rendre licite... Si j'ai bien compris le sens de ce décret d'application, on conserve bien ce caractère illicite de la drogue, et les consommateurs subiront une peine d'amende. Je ne crois pas que ce soit une incitation au laxisme. 

Je ne suis pas persuadé que la confrontation policière ne soit pas plus intimidante que la machine judiciaire pour ces délinquants. Avez-vous vraiment l'impression qu'au quotidien, l'appareil judiciaire suscite encore cette capacité à intimider les jeunes visés ? Bien entendu, idéalement il vaudrait mieux un processus pénal dans sa plénitude. Mais dans la réalité, je ne crois pas que ce soit le cas. C'est pourquoi je préfère des sanctions, même avec des peines d'amende, dont on soit assuré.

Serge Lebigot : Effectivement, une fois de plus, ce gouvernement fait passer un message de banalisation de la consommation de drogue. Ce qui est également grave, c’est que toute la partie santé a été oubliée. Comment faire appliquer l’injonction thérapeutique ? (Lorsqu’un consommateur passe devant un juge,une mesure d’injonction thérapeutique peut être décidée dans le cadre des alternatives aux poursuites).Comment savoir si un adolescent en est au stade de l’essai, s’il est déjà un consommateur régulier, voire dépendant ? Et surtout, quel message délivre-t-on aux jeunes.

Quels sont les dangers d'une telle sanction ? Ne va-t-elle pas être reçue différemment en fonction du milieu social ?

Philippe Bilger : Vous avez raison. Est-ce que les policiers auront la charge de moduler les amendes en fonction des revenus des délinquants ? C'est un point qui doit nécessairement être résolu. Il faut que l'on ait la certitude que ce décret d'application ne serve pas uniquement les riches consommateurs, qui s'en sortiraient à moindre frais. 

Serge Lebigot : Pour les enfants des bobos de gauche comme pour ceux des beaux quartiers, l’amende deviendra un droit à consommer. Lorsqu’un riche consommateur se fera arrêter, il aura juste à payer son droit à consommer. Pour les enfants issus du monde ouvrier, la loi existante s’appliquera, car ils n’auront pas les moyens de payer l’amende. De plus, ce système d’amende risque de devenirpour les trafiquants le loyer à payer pour exercer une activité délictueuse. Pour exemple, lorsque des trafiquants occuperont un hall d'immeuble ils auront une simple amende et la police ne pourra pas revenir une heure après pour les arrêter sachant qu’ils auront payé cette amende.Cela risque également de limiter le travail d’investigation des policiers qui permet, à partir des usagers, de remonter les filières.

Comment ce décret d'application s'inscrit-il plus largement dans un choix de politique pénale ? Quelle analyse peut-on faire de l'état de cette politique ? 

Philippe Bilger : Nous avons une politique pénale globalement tellement calamiteuse, pour des choses infiniment plus graves... Je ne minimise pas l'usage des drogues, ou encore de la conduite sans permis. Mais par rapport à la dévastation de la politique pénale pour les délits importants et les crimes, à la faillite de l’exécution des peines, un zeste de répression, même dans les commissariats, reste un zeste de répression.

Nous ne sommes pas dans un monde idéal. Nous n'avons pas un garde des Sceaux ou un pouvoir dont on pourrait attendre le meilleur en matière judiciaire, et nous sommes donc obligés de nous contenter de très peu. A partir du moment donc où l'on ne tombe pas dans le laxisme absolu, on se trouve il est vrai peut-être exagérément satisfait...

Serge Lebigot : Ce décret s’inscrit une fois de plus dans une politique pénale laxiste voulu par le pouvoir en place. Quant à la politique actuelle en matière de toxicomanie elle est celle de la banalisation voir de l’encouragement à la consommation de drogues avec l’ouverture des salles de shoot.

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