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Après l'Allemagne, Emmanuel Macron a décidé, ce lundi, de suspendre en France l'utilisation du vaccin AstraZeneca par précaution, dans l'attente de la décision de l'Agence européenne du médicament.
Après l'Allemagne, Emmanuel Macron a décidé, ce lundi, de suspendre en France l'utilisation du vaccin AstraZeneca par précaution, dans l'attente de la décision de l'Agence européenne du médicament.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Principe de précaution

Après l'Allemagne, Emmanuel Macron a décidé, ce lundi, de suspendre l'utilisation du vaccin AstraZeneca par précaution, dans l'attente de la décision de l'Agence européenne du médicament. Depuis une semaine, plusieurs pays européens suspendent la vaccination avec AstraZeneca après des problèmes sanguins chez des personnes vaccinées. Le lien de causalité avec la vaccination n'a pas été encore confirmé.

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico : Le gouvernement a finalement décidé de suspendre « par précaution » le vaccin AstraZeneca d’ici l’avis de l’EMA à son propos. Quels sont les faits objectifs qui ont suscité l’inquiétude de plusieurs gouvernements européens à propos de ce produit ?

Claude-Alexandre Gustave : Les évènements suspects qui ont initié ce mouvement de suspension du vaccin d’AstraZeneca ont eu lieu en Autriche, avec deux cas de troubles graves de la coagulation survenus 48h après l’injection vaccinale. L’une d’elle, infirmière âgée de 49 ans, est décédée ; l’autre, âgée de 35 ans a été hospitalisée pour une embolie pulmonaire dont elle a pu être sauvée. Le lien de causalité entre la vaccination et le vaccin n’a pas été confirmé à ce stade. Dans la foulée, une femme de 60 ans est décédée dans les même conditions au Danemark, toujours suite à des troubles graves de la coagulation, sans qu’un lien de causalité avec la vaccination ne puisse encore être confirmé. Trois évènements similaires sont survenus en Norvège, sans décès, chez des vaccinés de moins de 50 ans, associant des thromboses, des thrombopénies et des hémorragies cérébrales. Enfin, 2 décès survenus dans des conditions similaires ont été recensés en Italie chez une enseignante, et un militaire de 43 ans. Hors de l’Europe, la Corée du Sud a également annoncé une enquête autour de 8 décès survenus au décours de la vaccination sans qu’un lien de causalité n’ait pu être établi à ce jour.

Il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas de « simples » thromboses veineuses, comme on peut en observer chez des personnes ayant des troubles de la mobilité, ou chez des femmes jeunes fumeuses et sous pilule contraceptive… Il s’agit en fait de troubles de coagulation graves et rares appelés « CIVD » (coagulation intravasculaire disséminée). Il s’agit d’une activation anarchique de la coagulation, provoquant de multiples thromboses tant artérielles que veineuses, notamment dans la microcirculation (provoquant des troubles rénaux, hépatiques, oculaires, cérébraux…). Cette activation anarchique de la coagulation provoque une consommation rapide des protéines indispensables à la coagulation, ce qui se complique alors d’hémorragies (notamment cérébrales et digestives dans les cas décrits ci-dessus). Ces hémorragies sont souvent caractéristiques et se répandent en « nappes » avec un sang totalement incoagulable. Cette pathologie (CIVD) est très rare, et habituellement observée dans des contextes médicaux particuliers :

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  • Des anomalies obstétricales au décours d’un accouchement compliqué ;
  • Une infection sévère (le cas le plus spectaculaire étant le Purpura fulminans observé lors de méningites à Méningocoque) ;
  • Certains cancers évolués ;
  • Un choc cardio-vasculaire suite à destructions tissulaires (syndrome d’écrasement, brûlures étendues…) ;
  • Morsure de serpent (certains venins provoquant cette activation anarchique de la coagulation) ;
  • Certaines affections hématologiques ou vasculaires rares, associées à des hémolyses tissulaires intenses ou des anévrysmes où le sang stagne en grande quantité.

Les cas de complications ou de décès à la suite de l’injection du vaccin lui sont-ils imputables ? Est-ce une corrélation ou une causalité que l’on observe ?

Pour établir un lien de causalité entre ces évènements et la vaccination, et évaluer son imputabilité, il est nécessaire de procéder à l’étude approfondie des dossiers médicaux des patients concernés (y compris des autopsies pour les patients décédés). La première étape est d’établir la relation temporelle entre la vaccination puis l’évènement (l’anomalie est-elle apparue à la suite de la vaccination, ou bien était-elle déjà présente auparavant). Il convient également de documenter précisément l’évènement indésirable survenu pour en comprendre le mécanisme. Les données rapportées pour les cas les plus graves évoquent une CIVD. Dans ce cas, il convient également de rechercher les causes habituelles de CIVD afin d’exclure d’autres causes que la vaccination. Pour les patients ayant reçu plusieurs doses, a-t-on observé une répétition de l’évènement à chaque dose ? Enfin, étape ultime mais très complexe : établir le mécanisme qui pourrait expliquer la survenue de tels évènements indésirables suite à l’injection vaccinale.

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L’argument de coïncidence n’est pas suffisant. Il consiste à comparer la fréquence des thromboses dans la population générale, à la fréquence observée chez les personnes ayant reçu le vaccin d’AstraZeneca. La réponse apportée par l’EMA est que la fréquence des thromboses n’est pas supérieure avec le vaccin AstraZeneca que dans la population générale. Alors pourquoi une alerte dans toute l’Europe ? L’argument de simple coïncidence sous-tend que ces évènements sont indépendants du vaccin, ils devraient donc être également observés avec la même fréquence avec les autres vaccins. Et dans ce cas pourquoi avoir émis une alerte pour AstraZeneca et pas pour les autres ?

De plus, les évènements observés au décours de la vaccination par AstraZeneca ne sont pas de « simples » thromboses mais des CIVD parfois compliquées d’hémorragies cérébrales, voire de décès. Il n’est donc pas possible d’évoquer la comparaison avec les thromboses en population générale car il ne s’agit pas de la même affection.

Cependant, là encore, il est difficile de comprendre pourquoi cela a motivé une alerte spécifiquement ciblée contre AstraZeneca, car ces phénomènes de CIVD ou de thrombopénie sont également observés avec d’autres vaccins (notamment le ROR). L’ANSM évoque un signal potentiel de pharmacovigilance vis-à-vis du vaccin de Pfizer/BioNTech, associé à la survenue de thrombopénie +/- sévères, parfois associées à des syndromes hémorragiques, dont 1 cas ayant récidivé lors de la 2ème dose.

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Pourtant, il n’y a pas de suspension ni d’alerte sur ce vaccin. Il est donc difficile de comprendre pourquoi une suspension est décrétée face au vaccin d’AstraZeneca, alors que des évènements similaires sont observés avec d’autres vaccins, à priori avec une fréquence comparable d’après les données accessibles.

Il est donc urgent d’attendre les rapports d’expertise des autorités sanitaires ayant pu examiné les dossiers médicaux associés à ces évènements indésirables ; il est peut-être également nécessaire d’envisager que des conflits politico-industriels viennent interférer dans la gestion de ces évènements intervenant en pleine crise opposant AstraZeneca et l’Union Européenne dans un contexte de retards réitérés de livraisons, de difficultés d’approvisionnement et de doutes d’efficacité face aux variants sud-africain, brésiliens.

Toute campagne de masse est-elle vouée à avoir un certain nombre de cas problématiques ? Qu’est ce qui fait l’acceptabilité ou non de ces derniers ? Cela justifie-t-il les doutes dans le cas du vaccin AstraZeneca ? Après avoir douté, puis défendu le vaccin AstraZeneca (comme Jean Castex encore dimanche sur Twitch), le président décide de le suspendre temporairement. Le problème n'est-il pas devenu un sujet de confiance publique ? Un ralentissement de la vaccination est-il inéluctable et si non, comment l’éviter ?

Il serait bon de remettre toute cette séquence liée au vaccin d’AstraZeneca dans son contexte ! Nous sommes en pleine crise sanitaire et dans une situation d’extrême urgence. L’Europe, tant au niveau de ses dirigeants que de sa population, s’est montrée plus que réticente au recours à des stratégies de suppression ou élimination virale sur le modèle asiatique ou océanien. Qu’il s’agisse des confinements, du contact tracing numérique, de l’isolement coercitif des infectés et cas contacts, du contrôle des frontières avec quatorzaines obligatoires, tout a été soit réfuté, soit appliqué partiellement et donc sans efficacité. Nous nous retrouvons donc dans une situation d’extrême urgence, avec une pression virale de plus en plus forte, avec la menace des variants (plus transmissibles, plus létaux, voire en échappement immunitaire pour certains), et face à la « fatigue pandémique » qui se traduit par une adhésion de plus en plus faible de la population aux mesures sanitaires. La situation est donc critique puisque le virus circule toujours très activement, le système de soins est toujours sous très forte tension, malgré le maintien à l’arrêt de tout un panel d’activités, alors que les options de contrôle épidémique deviennent de plus en plus complexes. Contrairement aux pays qui ont écrasé leur épidémie via des stratégies de suppression voire d’élimination virale, nous nous retrouvons donc pleinement dépendants de la vaccination de masse et de ses aléas, qu’il s’agisse de difficultés de production, de retards de livraison, d’efficacité réduite face à certains variants, voire d’événements indésirables graves. L’enjeu de la vaccination contre la COVID va donc bien plus loin que l’horizon sanitaire, puisqu’il est désormais le dernier levier permettant d’espérer un réouverture de l’économie et des activités à l’arrêt sans provoquer une catastrophe sanitaire historique.

Nous sommes donc dans le registre de la Santé Publique et du rapport bénéfice-risque. Pour comprendre l’absurdité de la suspension du vaccin d’AstraZeneca, prenons l’exemple extrême. Imaginons que les décès évoqués précédemment soient effectivement provoqués par ce vaccin avec un lien de causalité formellement établi. Le taux de létalité observé serait alors d’environ 1 décès par million d’injections à l’échelle de l’Europe. Face à cela, nous avons un virus qui provoque en moyenne 7500 décès par million d’infections. Même en administrant un tel vaccin à 100 fois plus d’individus qu’il n’y aurait d’infectés par SARS-CoV-2, on observerait toujours 75 fois moins de décès avec le vaccin, qu’avec la COVID que le vaccin est censé prévenir ! Ainsi, la balance bénéfice-risque resterait fortement favorable à l’utilisation de ce vaccin afin de réduire la mortalité observée au cours de cette pandémie et permettre une réouverture de l’économie, ainsi qu’un retour à une vie plus normale.

On commence à évoquer les « dommages irréversibles » causés à l’image de ce vaccin pour la suite de la campagne de vaccination, ainsi que les réticences qui seraient désormais renforcées même si l’EMA (Agence européenne du médicament) confirmait qu’il n’y a pas de lien entre ces événements indésirables graves et la vaccination. Il faudra cependant sortir d’un comportement qui pourrait alors être qualifié de « caprice d’enfants gâtés » ! Il ne sera pas possible de s’opposer d’une part aux confinements, aux stratégies de suppression/élimination virale, et de refuser d’autre part une vaccination qui reste le seul recours pour atténuer l’impact sanitaire de cette pandémie et rouvrir l’économie avant que le pays ne sombre dans la misère ! Nous avons fait un choix, « vivre avec le virus », il faut désormais en assumer les conséquences.

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