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Faut-il avoir peur de la tuberculose ?
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Retour épidémique

Depuis plusieurs mois, les hôpitaux français reçoivent de plus en plus de patients, venus d'Europe de l'Est, atteints d'une forme très résistante de tuberculose. Le risque de contagion inquiète les autorités sanitaires.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Depuis quelques mois, des dizaines de Géorgiens, Tchétchènes et Russes, atteints d'une tuberculose ultra-résistante de type XDR, débarquent en France. Le risque de contagion est-il important ?

Antoine Flahault : La tuberculose est clairement une maladie contagieuse dont il faut se protéger. La transmission inter-humaine du bacille de Koch, microbe responsable de la tuberculose, survient par aérosol, essentiellement lorsque le malade tousse à proximité d’une personne non vaccinée par le BCG. Le personnel soignant et les proches du malades sont les personnes les plus exposées et donc les plus à risque de contracter une tuberculose si elles n’ont pas été vaccinées (ou pas efficacement). Par ailleurs, les malades infectés par des bacilles résistants aux traitements anti-tuberculeux classiques restent souvent plus longtemps contagieux et donc peuvent contaminer davantage de personnes. En 2010, on estime que la tuberculose a tué 1,4 million de personnes dans le monde, et parmi elles environ 150 000 étaient atteints d’une forme résistante aux traitements classiques. Les pays où le système de santé est en partie défaillant ou sub-optimal ne garantit pas un traitement efficace et prolongé des patients avec les 4 anti-tuberculeux qu’il est recommandé d’associer en première intention. Le patient traité avec un seul anti-tuberculeux se retrouve rapidement à haut risque de voir émerger une souche multi-résistante. Vous citez des pays où la relative défaillance de la protection sociale, du niveau de vie, mais aussi de la formation des médecins font que ces situations se sont multipliées et des personnes qui se savent atteintes de formes très graves de la maladie viennent demander secours à des pays qu’ils savent plus riches, et mieux médicalisés.

Tous ces malades ont emprunté des transports collectifs (avion, autocar…), sans masque, contaminant peut-être des dizaines de personnes sur leur chemin. La tuberculose, fût-elle importée, est-elle en passe de redevenir en France un problème de santé publique ? Peut-on parler de risque épidémique ?

Les travaux récents qui ont étudié le pouvoir de contagiosité de la tuberculose résistante indiquent qu’un patient infecté par un germe multirésistant ne contamine généralement pas plus de 1, 2 ou au maximum 3 personnes en moyenne au cours de son épisode tuberculeux. Donc s'il convient d’isoler au maximum les malades contagieux dès qu’on les a identifiés comme tels -car on sait les dégâts que la tuberculose peut causer surtout lorsqu’elle est résistante aux traitements usuels- il ne faut pas céder à une psychose hygiéniste qui consisterait à voir en tout étranger qui tousse dans la rue, un homme ou une femme bacillifère hautement contagieux. Encore une fois, ce sont principalement les proches du malade et les personnels qui s’occupent au quotidien de ces personnes qui sont les plus à risque d’être contaminés et qu’il faut protéger en urgence. Il ne faut pas hospitaliser ces patients dans des services tout venant, mais dans des services de maladies infectieuses spécialement prévus pour accueillir des patients contagieux, c’est-à-dire en chambres seules équipées de pression négative et pour lesquelles les personnels sont rompus aux précautions élémentaires pour éviter tout risque de transmission.

Les patients d’origine étrangère sont-ils plus difficile à soigner du fait qu’on ne connaît pas leurs antécédents médicaux ?

Les difficultés de communication peuvent être importantes avec des patients qui ne parlent pas la langue des personnels qui les prennent en charge. Les hôpitaux font beaucoup d’efforts pour rechercher des traducteurs, lorsque notamment la famille ou les proches ne peuvent pas aider à la communication. Mais ce sont parfois des sources de tension entre les personnels déjà fortement sollicités et les patients souvent en grand désarroi, souffrants, déracinés et anxieux. Le dévouement des personnels est le plus souvent aussi exemplaire que discret dans ces situations. Rendons-leur un hommage appuyé.

Comment prévenir ce type de risques dans un monde de plus en plus ouvert ?

La tuberculose multi-résistante est classée parmi les maladies émergentes, au même titre que les maladies qui ont un nom nouveau comme le SRAS ou la grippe H1N1, ou celles qui sont apparues sur des territoires où les populations résidentes ne les avaient jamais rencontrées, comme le chikungunya à La Réunion. Quelque part, on peut dire qu’il est au moins aussi préoccupant d’avoir un cas de transmission de tuberculose multirésistante à Paris qu’un cas de chikungunya ou de SRAS à Nice ou à Lille. Il faut donc tout faire pour repérer au plus vite l’entrée sur le territoire de ce type de malades et leur proposer un traitement les guérissant (car on sait aujourd’hui guérir ces formes de tuberculose, même s’il faut parfois utiliser jusqu’à huit médicaments différents pendant de longs mois pour y parvenir), et du même coup les rendant non contagieux pour qu’ils puissent reprendre une vie normale et éventuellement retourner dans leur pays.

Au niveau international, parmi les huit objectifs du millénaire pour le développement fixés par les Nations Unies en 2000, la réduction de la tuberculose dans le monde figurait comme l’un des objectifs. Le fond mondial de lutte contre la tuberculose (mais aussi le paludisme et le sida) a été mis en place, ainsi que des fonds caritatifs comme celui de la Fondation Gates et l’on a assisté à un formidable recul de ces maladies dans la plupart des pays du monde. En France également, entre 1972 et 2010 par exemple, on est passé de 60 cas pour 100 000 habitants à moins de 10. Mais entre-temps, la tuberculose multi-résistante a émergé et constitue désormais une nouvelle menace contre laquelle une mobilisation internationale est nécessaire, avec une aide technique à apporter d’urgence à tous les pays qui constituent de véritables sources émettrices de ces bactéries dans le monde.

Les hôpitaux isolent et traitent à leurs frais ces migrants sans ressource. La Sécurité sociale les prend en charge les trois premiers mois. Ensuite, les assistantes sociales remplissent des dossiers d'aide médicale d'État, une enveloppe budgétaire pour les migrants malades qui résident en France depuis trois mois au moins, légalement ou non. Les hôpitaux sont débordés  et leurs finances impactées. La France est le seul pays d'Europe de l'Ouest à être connu pour l'efficacité et la générosité de son système de soins. Est-elle en train de le payer ? Dans ce contexte, faut-il revoir les conditions d’attribution de l’AME ?

Vous posez là des questions qui sont davantage d’ordre politique et qui sortent de mon champ de compétences. C’est davantage l’homme et le citoyen qui répondra que l’épidémiologiste. Il y a le caractère humanitaire de l’aide que les médecins et les personnels soignants doivent apporter, comme ils le font aujourd’hui dans notre pays, sans relâche et sans discrimination, à toutes les personnes malades qui se présentent à elles, en leur prodiguant les meilleurs soins avec le maximum d’humanité. Il y a les questions économiques que vous soulevez et qui existent : qui paie pour cela ? La France de tous temps a toujours versé une très importante contribution à l’aide au développement. Néanmoins, cette aide est restée - en proportion- encore très inférieure à celle que donnent d’autres pays riches d’Europe, comme par exemple la Suède. Peut-être pourrait-on accepter de décompter ce type de dépenses que vous mentionnez comme une forme d’aide au développement, proche de l’aide sanitaire d’urgence que, solidaires, nous consentons à envoyer lorsque nous délions nos bourses pour telle population en détresse lors d’une catastrophe humanitaire. Ainsi, lorsque le choléra émerge en Haïti, après un tremblement de terre dévastateur, à des milliers de kilomètres, cela justifie une aide solidaire urgente des pays riches que nous comprenons tous me semble-t-il. Lorsqu’un foyer de tuberculose multi-résistante émet des cas contagieux dans l’Est de l’Europe, devons-nous avoir une attitude hostile, peut-être même xénophobe, vis-à-vis des personnes touchées, ou au contraire simplement humaine et solidaire ? Oui, l’aide humanitaire a un coût. Elle revêt des formes exotiques qui semblent nous toucher davantage que lorsqu’elle frappe à nos portes. Georges W. Bush, qui n’était pas réputé pour sa générosité particulière en la matière, a cependant décidé durant son mandat, entre 2003 et 2008, de débloquer 15 milliards de dollars fédéraux pour combattre le SIDA hors des frontières américaines, en Afrique principalement. Car il avait écouté ses conseillers qui lui expliquaient que combattre la pauvreté, la misère et la maladie dans le monde ne représentait pas seulement un coût pour les contribuables Nord-Américains, mais aussi un investissement pour les générations futures… Alors, peut-être, sachons faire, nous aussi, preuve d’un peu d’égoïsme à notre tour, lorsqu’en plus il fait un peu de bien autour de nous ?

 Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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