Face au risque de pénurie de gaz et aux hausses de prix en Europe, les milieux d’affaires se préparent à une économie de guerre<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo montre le logo de la société gazière russe Gazprom au stade Veltins-Arena de Gelsenkirchen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 25 février 2022.
Une photo montre le logo de la société gazière russe Gazprom au stade Veltins-Arena de Gelsenkirchen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 25 février 2022.
©Ina FASSBENDER / AFP

Atlantico Business

En coupant le gaz à la Pologne et à la Bulgarie, le comportement de la Russie a sans doute convaincu les dirigeants de l’Union européenne de se convertir à l’économie de guerre pour assumer les effets indirects d’une aggravation de la guerre et des sanctions.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Soyons clairs et précis. Ça n’est pas parce que la Russie a décidé de couper le gaz à la Pologne et à la Bulgarie hier que ces deux pays sont d’ores et déjà en panne. L’Europe toute entière s’attendait plus ou moins à une réaction de ce type, dès lors qu’ils avaient décidé de continuer à payer leur note de gaz en dollars et en euros, en organisant, avec la complicité de la banque Gazprom, un système de change en roubles. Ça ne changeait strictement rien ; les contrats étaient respectés et le gaz était payé comme avant.

Mais pour Vladimir Poutine, ça devait être insupportable et certains dirigeants de la banque Gazprom, qui avaient organisé ce petit tour de passe-passe, ont dû passer quelques heures difficiles. Parce que le chef du Kremlin voulait, lui, que les clients changent eux-mêmes leurs factures en roubles pour pouvoir politiquement annoncer à son peuple que les Occidentaux lui avaient cédé.

Parce que les Polonais et les Bulgares sont très dépendants du gaz russe et qu’ils se sont publiquement moqués de Gazprom en expliquant que la monnaie de facturation ne changeait rien, ils ont été punis.

Dans ce nouvel acte de guerre économique entre les Occidentaux et la Russie, personne n’est dupe. Les Européens savaient que les fournitures de gaz étaient au cœur du bras de fer.  Parce que l’Union européenne a besoin de ce gaz qui représente en moyenne 45 % de notre consommation, l’Union Européenne sait aussi que la Russie a besoin de l’argent correspondant. 1 milliard de dollars par jour pour financer son fonctionnement.

L’Union européenne savait tout cela et a donc commencé à s’y préparer. Trois moyens :

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- D’abord, la Russie peut couper toutes les livraisons de gaz, l’Europe ne manquera pas pour autant de gaz immédiatement. Il existe des réserves qui permettront aux particuliers comme aux entreprises de tenir presque 6 mois et d’attendre l’hiver.  Y compris en Allemagne.

-Ensuite, les différents pays européens ont commencé à trouver des approvisionnements alternatifs. Aux États-Unis avec du gaz liquéfié, au Qatar, qui possède une plus importante réserve du monde, et en Algérie où l’Italie et la France s’activent pour augmenter les capacités de production. Alors toute la question sera de savoir si les moyens d’approvisionnement alternatifs seront opérationnels avant l’entrée de l’hiver.

Moyennant quoi, il faudra enfin appliquer une économie de guerre. Un peu comme au lendemain de la première crise pétrolière en 1974.

Nous allons avoir, dans les mois qui viennent, à assumer les conséquences de cette guerre en Ukraine, des moyens mobilisés et des effets des sanctions économiques.

Il faudra, à la fois, financer les aides en matériel de défense alloué aux Ukrainiens, gérer le flux de réfugiés (actuellement déjà 5 millions) et amortir les augmentations de prix sur la plupart des produits de consommation ; produits alimentaires et carburants, essence, diesel, charbon, électricité ainsi que sur certains produits comme les engrais ou certains matériaux comme le nickel.

Dans un tel contexte, le monde des affaires s’attend à une baisse assez violente de l’activité, une hausse aussi violente de l’inflation et par conséquent, un changement de paradigme beaucoup plus important que celui qui a suivi la crise du Covid. Au lendemain, il a fallu gérer le rebond, l’accélération de la mutation digitale mais les actifs (usines, bateaux et contrats de travail) n’avaient pas été détruits. Ils avaient été seulement arrêtés. Avec la crise ukrainienne, on va assister à un ralentissement de l’activité lié à des destructions d’actifs, surtout à l’est de l’Europe et au niveau du commerce international. Ne parlons pas de l’Ukraine elle-même, qui va hélas compter ses victimes humaines et qui va aussi devoir reconstruire une partie importante de ses centres de production et de ses équipements.

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Cette économie de guerre n’est concevable qu’à l’échelle européenne. Et tout le monde s’y prépare. Le président français, qui est encore président de l’Europe jusqu'en juillet, sait parfaitement bien que cette économie de guerre va être de sa responsabilité.

Cette économie de guerre a évidemment plusieurs composantes :

1. Il s’agira de coordonner tous les efforts de défense

2. Il s’agira d’harmoniser les restrictions à l'échelle européenne et d’inventer des nouveaux critères de gestion monétaire et budgétaire. Il est évident que les critères de référence de Maastricht seront complètement dépassés

3. Il s’agira aussi d’harmoniser les politiques d’accueil de réfugiés et les politiques d’aide à la reconstruction, mais il faudra enfin et très vite réinventer des interconnections pour garantir les approvisionnements en énergie, et notamment des carburants, du gaz et de l’électricité.

L’Europe est née après la guerre pour sécuriser les ressources en charbon et en acier. Elle va aujourd’hui survivre si elle sait inventer une Europe de l’électricité et du gaz en centralisant ses achats (comme on a fait pour les vaccins) et en répartissant les pénuries de façon à ce qu‘il y ait le moins de ruptures possibles.

Techniquement, une telle adaptation est faisable. Les grandes entreprises s’y préparent, y compris les entreprises allemandes, mais politiquement, ça va être beaucoup plus difficile. Il va falloir que les peuples acceptent de payer cher cet effort de guerre. Encore faudra- t-il leur expliquer que ce prix est celui qu’il faut consentir pour protéger nos valeurs et notre style de vie.

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