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Extrême-gauche, extrême-droite, islamistes : la nouvelle convergence des luttes
©JOEL SAGET / AFP

Alain Finkielkraut

Ce samedi à Paris, en marge de la mobilisation des Gilets jaunes, Alain Finkielkraut a été victime d'insultes anti-sionistes et antisémites. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour« injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ». Christophe Castaner a annoncé de son côté sur Twitter avoir identifié le principal suspect.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Hier, lors de la énième manifestation des gilets jaunes, le philosophe Alain Finkielkraut fut pris à partie par certains d'entre eux à Paris. Beaucoup y ont vu une agression antisémite. D'autres n'y ont vu que la dénonciation, certes agressive, de son soutien à Israël. En effet, le mot "juif" n'a pas été prononcé. Seule la référence au "sionisme" fut exprimée.

Effectivement, il faut distinguer l'antisionisme de l'antisémitisme. Le sionisme est une idéologie politique, fondée sur un sentiment national juif, qui mena à la création de l'État hébreu. Certains le considèrent comme du nationalisme qui, en plus, opprime les Palestiniens. D'autres le voient comme le seul moyen d'émanciper et de protéger les Juifs si persécutés depuis des siècles en Europe et ailleurs. Comme toute idéologie, on peut en être partisan ou adversaire, et l'exprimer. Critiquer cette idéologie et ses conséquences sur les Palestiniens relève de la liberté d'expression, tout autant que disserter sur les bienfaits du sionisme. Le même raisonnement prévaut pour le judaïsme, idéologie religieuse tout autant critiquable que le christianisme, l'islam et toutes les religions.

L'antisémitisme n'a rien à voir avec cela. C'est le rejet, la haine d'un groupe humain pour ce que ses membres sont en tant qu'Êtres humains. Les Juifs ont cette particularité d'être à la fois un peuple et une communauté religieuse. Un juif peut donc être parfaitement athée. L'antisémitisme exprime rarement sa haine à travers le judaïsme. Les nazis, par exemple, avaient persécuté les Juifs sans promulguer de lois contre la pratique de leur culte. Les Juifs non pratiquants, athées et ceux convertis au christianisme depuis plusieurs générations étaient tout autant persécutés que les Juifs de confession juive. L'antisémitisme se manifeste à travers des stéréotypes racistes : les Juifs seraient obsédés par l'argent, tiendraient les médias, seraient comploteurs au niveau mondial, etc. Depuis la 1ère moitié du 20e siècle et l'augmentation croissante de Juifs en Palestine, est né ce qu'on appelle le "nouvel antisémitisme". On y retrouve toute la culture antisémite traditionnelle née au 19ème siècle en Europe, en y ajoutant le rejet d'Israël avec une bonne dose de justification religieuse à travers l'islam. C'est là que l'antisionisme (dont l'expression est légale) devient un prétexte à l'antisémitisme. J'y avais consacré un long article pour en retracer l'histoire afin de mieux comprendre l'actualité, dans laquelle cette agression contre Alain Finkielkraut s'inscrit aussi : Le CCIF, fleuron de la nouvelle extrême-droite française

Ce nouvel antisémitisme issu de l'extrême droite musulmane trouve un écho depuis quelques décennies au sein d'une partie de l'extrême gauche. Il s'exprime sans complexe, notamment sur les réseaux sociaux. Même sur des sujets qui n'ont rien à voir de près ou de loin avec les Juifs ou Israël, des antisémites crachent leur haine en accusant tout, n'importe quoi et tout le monde d'être sioniste ou à la solde des j… sionistes. Moi comme d'autres en avons fait les frais. Parler de "sionistes" plutôt que de "Juifs" permet de ne pas tomber sous le coup de la loi. C'est pour ça qu'il faut toujours remettre son expression dans le contexte du discours de celui qui l'exprime.

Alors, sommes-nous là face à un discours antisioniste agressif ou un antisémitisme affirmé ? Il suffit de reprendre le contexte, les mots lancés et à qui ils étaient destinés. Nous sommes à une manifestation de gilets jaunes. Depuis des mois, ils manifestent contre la hausse de certaines taxes, une plus grande justice fiscale, une meilleure répartition des richesses, pour des changements dans la pratique de la démocratie, etc. Le mouvement ne fait, théoriquement, pas de politique internationale et est areligieux. Mais il a été infiltré par des militants d'extrême gauche, d'extrême droite et des (pro) islamistes. Quand certains d'entre eux, visiblement des islamistes en écoutant leurs justifications religieuses, interpellent Alain Finkielkraut, ils sortent du cadre de la manifestation. Nous tombons une nouvelle fois dans le hors sujet comme sur les réseaux sociaux. Alain Finkielkraut est Juif. Cette précision est importante pour saisir la violence et la portée des mots qui lui ont été lancés :

"Sale sioniste de merde, barres-toi ! Bâtard ! Sale merde ! Nique ta mère ! Palestine ! Palestine ! Palestine ! Sale race ! La France elle est à nous ! Elle est à nous la France ! Espèce de raciste ! Tu es un haineux ! Tu vas mourir ! Tu vas aller en enfer ! Dieu va te punir ! Le peuple va te punir ! Nous sommes le peuple ! Espèce de sioniste ! Grosse merde !"

Nous retrouvons ici tout ce que nous voyons quotidiennement sur les réseaux sociaux. Tout d'abord, il y a toujours cette surprenante contradiction d'accuser autrui d'être haineux en l'étant soi-même sur la forme, le ton et le fond. Inutile de chercher de la cohérence dans la haine et le fanatisme.
Il est vrai que ces fanatiques font partie du peuple, malheureusement. Mais ils ne sont pas le peuple dans son ensemble. La France n'est pas à eux non plus. Nous retrouvons là la rhétorique populiste typique de ce qui est commun à l'extrême droite, l'extrême gauche et les islamistes.
Ces personnes s'expriment en portant des gilets jaunes. Nouvelle preuve de l'infiltration du mouvement par les islamistes.

Au-delà des insultes "classiques" exprimées, on lui lance "Palestine", "sale race", "espèce de sioniste", "tu vas mourir". La référence à la "race", précisée par "sale sioniste de merde", suivis d'une menace de mort, sont clairement des propos antisémites. Ceux-ci sous couverts de critique du sionisme par l'obsession habituelle de la Palestine justifiés par une pseudo légitimité religieuse ("Tu vas aller en enfer ! Dieu va te punir !"). Et tout ça lors d'une manifestation qui n'avait rien à voir avec Israël ou les "sionistes".

Donc oui, nous sommes là face à un discours antisémite. Cette séquence concentre à elle seule le panel de l'expression de ce nouvel antisémitisme. Elle a pris une certaine ampleur car une personnalité en a été la cible et a été filmée. Cet évènement fait suite à quelques autres qui se sont produits ces derniers jours : l'image de Simone Veil taguée de croix gammées, un arbre planté en mémoire d'Ilan Halimi scié et la vitrine d'un restaurant recouverte de "juden" ("juif" en allemand, pour bien rappeler le nazisme). Ils cachent une forêt d'antisémitisme qui suscite bien moins d'indignation. Mais ils ont le mérite d'alerter l'opinion. En espérant cette fois que, au-delà des indignations exprimées et de l'appel à manifester mardi qui était déjà prévu, il y aura des mesures politiques, judiciaires et éducatives fortes.

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