Euthanasie : de quel mal politique la loi sur l’aide à mourir est-elle le symptôme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Depuis des années, avec une grande complaisance médiatique, nous sommes entrés dans un combat émotionnel qui mise sur l’émotion pour promouvoir la certitude euthanasique"
"Depuis des années, avec une grande complaisance médiatique, nous sommes entrés dans un combat émotionnel qui mise sur l’émotion pour promouvoir la certitude euthanasique"
©Sébastien Bozon / AFP

Fin de vie

Alors que le texte du projet de loi arrive en examen à l’Assemblée nationale, les travaux effectués en commission ont abouti de l’avis général à une rédaction profondément inquiétante et qui suscite l’indignation jusque parfois dans les rangs de ceux qui étaient favorables au texte.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Atlantico : Sur la fin de vie et l’euthanasie, n’y a-t-il pas, dans les débats, une prime à l’émotion plutôt qu’à la complexité ?

Damien Le Guay : Depuis des années, avec une grande complaisance médiatique (ce que montre le dernier rapport de l’institut Thomas More), on est dans un combat émotionnel, qui mise sur l’émotion pour promouvoir la certitude euthanasique. Certains cas sont mis en avant (l’affaire Humbert, Anne Bert, l’affaire Lambert…) comme s’ils étaient l'alpha et l'oméga des situations rencontrées dans le cadre de la fin de vie. Comme s’il fallait se prononcer d’une manière générale à partir d’une souffrance particulière. Comme si, sans connaitre un dossier médical, nous devions adhérer à un projet global, à partir d’une seule situation jugée inacceptable, intolérable. Face à cette promotion euthanasique par l’effroi singulier, ceux qui sont contre l’euthanasie mettent en avant des arguments rationnels, des expériences nombreuses en unité de soins palliatifs, des réflexions philosophiques. Sont-ils audibles ? Non. La discussion est déséquilibrée. L’émotion, par principe à toujours raison et la Raison, par principe, est toujours désarmée. Et souvent le débat est réduit à une seule question : qui pourrait justifier une souffrance qui aurait comme solution la mort donnée ? Personne, évidement, sinon des sadiques. Il y aurait donc une euthanasie compassionnelle face à des adversaires insensibles à des souffrances intolérables. Le combat est mené à armes inégales. On a beau faire, les arguments rationnels n’adhérent pas face à l’inhumanité d’une personne souffrante.

Or, après des années de combats militants, les victorieux partisans de l’euthanasie sont, depuis quelques semaines, confrontés à l’épreuve législative. Un projet de loi est sur la table. Il faut légiférer et donc établir une règle valable pour tous et non pour chacun. Il faut partir du général et non du particulier. Il faut dire ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. Il faut définir des protocoles, des façons de faire. Or, cette complexité est immense. Cette épreuve de la loi est gigantesque pour les partisans de l’euthanasie. Jusqu’à présent ils voulaient un droit général (l’euthanasie) à partir de cas particuliers dont ils faisaient la promotion pour mieux dénoncer «  l’inhumanité » de la loi Léonetti. Maintenant ils doivent élaborer une règle générale, des conditions d’accès, des modalités d’application. Et, comme il se doit, certaines situations n’entrent pas dans le cadre, ne répondent pas aux conditions d’accès. Ces partisans sont en train de découvrir les limites d’un principe général. 

Alors, comme nous l’avons vu dans la commission spéciale, quand de nombreux amendements ont été acceptés pour élargir le projet de loi élaboré par le gouvernement, ils ne veulent pas s’en tenir à un principe d’exclusion, de conditions strictes. Il faudrait, selon eux, avoir une loi sans trop d’exception, qui ne partirait pas du droit général mais de la souffrance individuelle. Alors, ils font tout pour élargir les conditions, pour augmenter les « ayant-droit », pour faire sauter les verrous, pour exclure le moins de monde possible. En somme, ils voudraient une loi sans restriction, ouverte ; une loi qui, dans son idéal, n'aurait pas de limite, n'aurait pas de verrou et n'exclurait personne. Si, selon eux, tous les désirs de mort face à une souffrance inacceptables sont légitimes, il faut que le légitime et le légal se confondent. Voilà qui est impossible. Ils veulent une loi sans accepter l’exclusion qu’elle suppose. Ils pensent toujours et encore à partir des émotions particulières qui, selon eux, ont des droits que le Droit doit valider. Il y à là comme un cercle carré. Les législateurs pro-euthanasie n’acceptent pas de légiférer quand il faut (et c’est là le principe de la loi) juger certaines demandes illégales. 

Comment en est-on arrivés, la semaine dernière, devant la commission spéciale sur la fin de vie, à ce que ladite commission fasse sauter, les uns après les autres, de nombreux verrous ?  

La logique de cette commission fut celle décrite juste avant. Elle n’a pas accepté de dire le droit qui refuse et accepte – or telle est sa mission. Elle voulait une focale la plus large possible en se demandant à chaque fois pourquoi telle situation particulière était encore en dehors de la loi. Entre la souffrance et la loi, il fallait choisir. Et les arbitrages furent rendus contre la loi pour entendre les souffrances et élargir de plus en plus la loi. Quand la loi a tort, il faut en changer. Et elle a tort toutes les fois qu’elle ne répond pas favorablement à des demandes de mort. Si elle a tort, il faut la tordre. Voilà ce qu’ils ont fait. Alors qu’auparavant un certain équilibre avait été trouvé (discutable cependant), des amendements ont été proposés et acceptés pour le rompre. 

De quels amendements parlons-nous ? Le premier concerne une disposition du projet de loi qui supposait que le suicide assisté était privilégié. Si jamais la personne en question ne pouvait pas accéder au suicide assisté, à ce moment-là, on pouvait lui proposer une euthanasie. C'était la rédaction de la loi d'origine telle qu'elle existait. Cet accès exclusif à l’aide active à mourir par le suicide assisté à sauté. La nouvelle mouture, en discussion en ce moment à l’Assemblée, offre le choix : le malade aura la possibilité de choisir entre le suicide assisté et l'euthanasie. Ce choix-là est offert au patient, à celui qui veut obtenir une aide à mourir. 

Deuxième modification : le critère pour être éligible était le critère du « pronostic vital engagé à court et moyen terme ». Tout le monde avait déjà compris que le « le moyen terme » était difficile à définir. Mais on était bien dans la logique de la fin de vie, quand le pronostic vital est engagé. Pour élargir et rendre plus flou ce critère, la commission à remplacé le « pronostic vital » par je cite, « une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». On s’éloigne de la fin de vie. On élargit la focale. On n’indique même plus « le court terme ». Et nous savons que pour de nombreux cancers, un diagnostic d’incurabilité peut intervenir assez vite. Idem pour la maladie de Charcot. Idem pour de nombreuses maladie neuro-dégénératives – qui sont, pour beaucoup, « incurables ». La « phase avancée » nous éloigne d’une fin de vie avérée par la médecine.   

Troisième modification : il était question donc d'avoir comme critère un nécessaire « discernement » de la personne. Elle devait à tout moment pouvoir donner son acquiescement à la procédure en cours. Si jamais elle ne pouvait plus accepter, alors la procédure s'arrêtait. Maintenant, le patient, s'il perd sa conscience, peut être éligible à l'aide à mourir pour autant qu’il ait rédigé des directives anticipées en ce sens. Elles deviennent donc désormais opposable aux tiers et opposable même à la conscience défaillante du malade. 

Enfin, la députée LFI Danielle Simonnet a ajouté à cela quelque chose d’inédit, pour ne pas dire d’effrayant : un « délit d’entrave à l’aide à mourir», sur le modèle du délit d'entrave de l'interruption volontaire de grossesse. S’il se trouvait que quelqu’un s’oppose à la volonté d’une personne d’en passer par la mort choisie, voulue, demandée, il serait passible d'un an de prison et de 15 000 € d'amende. Cette coquecigrue législative, acceptée par la commission, ne tient pas compte de tout ce qui est fait par la médecine et dans le cadre de ce colloque singulier qui existe entre l'équipe soignante et le patient. Une réanimation n’est-elle pas une « entrave » ? Retenir quelqu’un qui est en train de se jeter du pont n’est-ce pas là une « entrave » ? Que faire des 200 000 tentatives de suicide par an en France ? S’en occuper, les prendre en charge pour en comprendre les raisons profondes, n’est-ce pas là un « délit d’entrave » ? D’une manière générale, le soin, le prendre-soin, l’accompagnement palliatif, une discussion au bord d’un lit d’hôpital sont autant « d’entraves » potentielles. On en vient à se demander si ce « délit d’entrave » ne vise pas toutes les formes d’aide et d’humanité. Aider quelqu'un, mieux comprendre quelqu'un, soulager quelqu'un, accompagner quelqu'un, est-ce considéré par la commission comme une démarche positive ? Pas sur. J’y vois là une méfiance à l’égard des soins palliatifs, une défiance vis-à-vis d’un accompagnement qui pourrait faire changer d’avis un demandeur de mort –ce qui arrive très souvent. Il faudrait ne rien faire et ne jamais remettre en perspective une demande de mort. Il faudrait ne rien en dire, l’enregistrer et y accéder. Cette demande serait, par principe, indiscutable. Voilà qui va à l’encontre de toute humanité quand la détresse est à son comble et que l’angoisse submerge la conscience. 

Pour sacraliser le « droit à mourir » on en vient à promouvoir un désintérêt inhumain pour les souffrances en pelote d’une personne en grande souffrance. La commission à refusé la fraternité au seul profit d’un droit à mourir. Elle a semblé exclure toutes les formes d’écoutes qui seraient autant de « pressions » exercées sur la conscience de quelqu'un de manière à « entraver » sa décision. Elle voudrait livrer un individu à sa décision et tout faire pour ne pas l’amener à changer d’avis ou remettre en cause sa démarche. Tout cela est une gigantesque négation de notre « ambivalence » face à la mort, de « l’ambigüité » quand un malade demande la mort. Il faudrait tout figer et enfermer un malade dans sa demande. 

D’une manière générale, de quel mal politique la loi sur l'aide à mourir est-elle le symptôme ?

L’immaturité législative des partisans de l’euthanasie est flagrante. Ils veulent une loi sans les inconvénients de la loi. Le principe même de la loi leur pose problème. Ils raisonnent en termes de droits supplémentaires à obtenir, et non de limites. Ils refusent les limites – sauf pour ceux qui s’opposeraient à l’aide à mourir. Pas de limite pour les demandeurs de mort. Limite à ceux qui ne prennent pas pour argent comptant cette demande et viennent la discuter. Instaurer un « délit d’entrave » (demandé par le parti des insoumis, proche de Robespierre) montre bien que nous sommes là dans un esprit digne de Saint-Just. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». La liberté est du coté de la demande de mort et pas du coté de ceux qui la prennent en charge. Les « soins palliatifs » deviennent alors « les ennemis de la liberté » - liberté de demander et d’obtenir la mort. Dans cette logique, les limites et les contraintes sont considérées comme discriminatoires. Il faut pouvoir aller au bout d’un désir de mort et ne pas l’entraver. 

Cette loi est aussi le symptôme d’un conflit invisible entre la loi législative et la Loi symbolique. Que fait-on de « l’interdit de tuer » qui structure toutes les sociétés et est porté par les religions. Peut-on accepter un interdit au-dessus des lois humaines ? De toute évidence, pour la première fois, cette prépondérance du symbolique sur ces questions-là est remise en cause. Le législatif à tous les droits – y compris celui de faire tomber le symbolique. Et je vois dans ce « délit d’entrave » une mise en garde faite aux religions qui « entravent » le droit de demander la mort et de la donner et qui, d’une manière invisible, entrave les libertés de la loi civile.   

Cette loi, in fine, est aussi le symptôme d’une prépondérance de la liberté poussée jusqu’au bout qui vient restreindre la fraternité humaine. Nous sommes-là dans une logique individuelle, comme si nous étions seuls au monde, responsable de personne d’autres que de nos décisions. Cette logique laisse à penser que les droits individuels sont autonomes les uns des autres et n’exercent aucune pression sur les individus. Tout cela ne tient pas compte de l’exemplarité de la loi et de son influence sur le choix des individus. La loi civile est aussi une morale commune – ce que Tocqueville à si bien indiqué. Elle dit le licite et l’illicite. Quand l’aide à mourir devient licite, elle a un effet de contagion sur toutes les personnes en fin de vie qui pensent obtenir un soulagement définitif par la mort.  Ce « délit d’entrave » dit bien : chacun pour soi et la mort pour tous. Il est l’expression d’une liberté avec des œillères qui ne tient pas compte de nos devoirs d’entraides mutuelles face aux malheurs qui nous assaillent. Il met fin à l’idée d’une suprématie de la responsabilité.  

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