Européennes J-35 : les leçons tirées des municipales par le PS <!-- --> | Atlantico.fr
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52 % des Français pensent que l’Europe est "une mauvaise chose", selon une étude de la fondation Jean Jaurès.
52 % des Français pensent que l’Europe est "une mauvaise chose", selon une étude de la fondation Jean Jaurès.
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L'entretien politique

Dans la perspective des européennes de mai, quelles leçons le PS tire-t-il de son échec aux municipales ? Entretien avec Gilles Finchelstein, président de la Fondation Jean Jaurès.

Barbara Lambert : D’après l’étude que vous venez de publier, 52 % des Français pensent que l’Europe est “ une mauvaise chose ” alors qu’ils n’étaient que 43 % en juin 2012. Comment expliquez-vous un tel décrochage, historique, en à peine 2 ans, qui se trouvent correspondre à l’exercice du pouvoir de la gauche ?

Gilles Finchelstein : Le décrochage est bien antérieur. Après l’alerte du référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht, le point de bascule de l’opinion date pour moi de 2004, c’est-à-dire de l’élargissement, quand les Français ont non seulement eu le sentiment de ne pas avoir été associés à un changement majeur de l’Union européenne mais ont en plus pris conscience de ce que l’idée selon laquelle l’Europe pourrait être une « France en plus grand » apparaissait clairement comme une illusion. Depuis lors, on n’a jamais retrouvé l’adhésion qu’il y avait auparavant et qui avait culminé à la fin des années 80 ! La rupture date donc déjà d’une dizaine d’années.

François Hollande avait inscrit à son programme la construction d’alliances politiques pour infléchir la politique de l’Union. On ne les voit pas tellement en œuvre…

C’est vrai, quand la gauche est arrivée au pouvoir, il lui a fallu d’abord gérer la crise aiguë de la zone euro. Ensuite, il a fallu surmonter les conséquences de la crise financière en mettant en place, notamment, des mécanismes qui empêcheront que cette situation ne se reproduise — c’est le projet d’union bancaire. Il y a donc eu, dans un premier temps, un travail de stabilisation plus que de relance. S’est ajouté un autre élément : le rapport de forces politiques dans l’Union européenne. En 2012, quand François Hollande est arrivé au pouvoir, le moins que l’on puisse dire est que ce rapport n’était pas favorable à la gauche. Il s’est depuis – un peu – rééquilibré avec la grande coalition en Allemagne et l’arrivée de Enrico Letta, puis de Matteo Renzi en Italie. Cela va être l’un des grands enjeux de l’élection du Parlement européen, puisque, pour la première fois, il y a la possibilité de politiser cette élection en liant la désignation du Président de la Commission à ses résultats.

Vous insistez beaucoup sur la nécessité pour la gauche de “ retrouver le chemin de la politique ”…

Pas seulement pour la gauche, pour l’Europe ! Quand on met en perspective l’élection du Parlement européen depuis sa création en 1979, un grand paradoxe apparaît. Pour résumer, plus le Parlement a de pouvoir, moins il a d’électeurs. Le Parlement européen est peu à peu devenu un vrai Parlement : même s’il a quelques pouvoirs en moins par rapport à d’autres parlements nationaux, il garde une influence dans l’élaboration de la loi supérieure à celle de beaucoup de chambres nationales. C’est devenu un vrai Parlement, mais sa légitimité est de plus en plus faible, car il y a une baisse de 20 points en moyenne de la participation en Europe et de 20 points également en France aux élections européennes.

Pourquoi cette désaffection démocratique ? Parce que les électeurs ne connaissent pas les pouvoirs réels du Parlement mais, surtout, parce que leur vote n’a pas de sens ni de portée, et cela pour une raison très simple : ce qui structure le débat politique dans l’ensemble des démocraties européennes, c’est-à-dire le clivage gauche-droite, s’est en grande partie effacé au niveau européen. Evidemment, vous aurez toujours dans les 28 pays de l’Union des gouvernements de gauche, et des gouvernements de droite. Evidemment, au sein de la Commission, vous aurez toujours des commissaires de gauche et des commissaires de droite. Vraisemblablement, vous aurez toujours, au Parlement, la nécessité de trouver des compromis entre le PPE et le PSE, qui sont les deux grandes forces conservatrice et progressiste. Il ne demeure pas moins nécessaire d’introduire de la politisation. L’un des moyens d’y parvenir, c’est de faire en sorte que le vote des citoyens européens détermine la couleur politique de celui qui va présider la Commission, qui est un organisme déterminant puisque c’est lui qui a l’initiative législative. Tel est pour la première fois l’enjeu du scrutin du 25 mai.

Pour introduire de la politisation, il y avait peut-être mieux à faire que de nommer aux Affaires européennes Harlem Désir, dont François Hollande a dit lui-même qu’il n’était “ pas à la hauteur ”, à la tête du PS…

Je vais vous dire ma conviction sincère : Harlem Désir sera un bon ministre des Affaires européennes. Et puis il faut prendre conscience que la nature de ce poste a considérablement changé en l’espace de 20 ans. Le paradoxe est que l’essor de l’Europe a rendu ce ministère moins central qu’il ne l’était. L’Europe est devenue tellement importante que la multiplication des conseils européens autour du président de la République en a fait l’élément déterminant : c’est lui qui impulse. Par ailleurs, l’Europe est devenue tellement importante que tous les ministres sont devenus des ministres des Affaires européennes. La politique européenne, elle se fait maintenant beaucoup avec le ministre des Finances, ou celui des Affaires sociales... Ce faisant, le rôle du ministre des Affaires européennes a considérablement évolué : il a pour partie un  rôle d’animation du débat politique autour de l’Europe en France. Il a un autre rôle, peu visible, mais très utile, une espèce de super ambassadeur dans les relations bilatérales avec les autres pays de l’Union. 

Repolitiser, c’est envoyer des messages clairs. Nommer au gouvernement Arnaud Montebourg, partisan du "non" et de la démondialisation, est-ce envoyer un message clair ?

Le message clair est dans la ligne qui a été fixée par le président de la République dans sa conférence de presse du 14 janvier et dans la déclaration de politique générale du Premier ministre. Il l’emporte sur ce qu’est la composition du gouvernement – ou les interprétations que vous en faites. Quant à Arnaud Montebourg, un de ses grands mérites est précisément de politiser – au sens noble du terme – le débat public !

Dans une interview qu’il a donnée à Atlantico, Laurent Baumel rappelait que “ l’Europe, telle qu’elle avait été dessinée dans les années 80, n’avait pas pour mission de transposer la mondialisation libérale, mais de la domestiquer. Vingt ans après Maastricht, il s’agirait de savoir, disait-il, s’il est encore temps d’inverser le cours des choses, la question se posant tout particulièrement à la gauche au pouvoir ”. Qu’en pensez-vous ?

Quand l’Europe, ou une bonne partie de l’Europe, met en place une taxe sur les transactions financières plutôt d’avant-garde, on est plus, je crois, dans une posture de “ domestication ” que de “ transposition ”. De même pour l’union bancaire ou la lutte contre l’évasion fiscale. Mais il reste beaucoup à faire !

Quelle est, selon vous, la nature de l’inquiétude des 52 % de personnes qui rejettent l’Europe ?

Le principal déficit, aujourd’hui, est, je crois, un déficit de projet. Depuis sa création avec le Traité de Rome, l’Europe a toujours fonctionné avec des objectifs qui mobilisaient les gouvernements et auxquels adhéraient les peuples. C’étaient des objectifs à 5 ans, à 10 ans, qui pouvaient même parfois sembler utopiques.  A la fin des années 80, il y a eu débat autour de la suite à donner : ou l’élargissement, ou l’approfondissement. De fait, il y a eu et élargissement, en 2004, et approfondissement, avec la création de la monnaie unique. Après le « ou/ou », après le « et/et », on est passé au “ ni/ni ”. Ni élargissement : le projet de construction d’un grand espace économique qui permettrait d’agréger à l’Union européenne des grands pays comme la Turquie ou comme l’Ukraine pour faire face à la concurrence des états-continents qui sont en train d’émerger est écarté. Ni approfondissement : le saut fédéral autour de la zone euro tarde à venir. Nous n’avons ni l’un ni l’autre alors que l’on devrait avoir et l’un et l’autre. Ce faisant, il n’y a plus aucun objectif qui permet de donner du sens à la construction européenne. Le principal déficit est là : on ne sait plus quel est l’objectif, ni quel est le combat.

A la différence de l’étude TNS Sofres du “Nouvel Obs” qui fait apparaître que 59 % des Français pensent que “ l’Europe a aggravé la crise ”, votre étude semble démontrer qu’au pic de la crise, les Français considèrent l’Europe comme une sorte de bouclier protecteur…

Dans les moments de crise les plus aigus, comme en 2010, l’attachement à l’Europe remonte. Dans un monde globalisé, l’opinion sait que le cavalier seul est une impasse. Cela n’empêche pas une insatisfaction dans la manière dont se construit l’Union européenne. Après une période de folle espérance qui a caractérisé les relations de la France avec l’Union européenne à la fin des années 80 — vous vous souvenez de la phrase de François Mitterrand : “la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir” — et qui faisait de l’Europe un espace de projection pour la France , il y a eu une série de déceptions dont le « non » au référendum de 2005 a été le point d’orgue. Aujourd’hui, et pas seulement en France, on assiste à une montée d’une plus grande indifférence vis-à-vis de l’Europe.

Est-ce que vous pensez comme l’a affirmé Terra Nova, dans son rapport de stratégie électorale de 2011, que les classes populaires ne veulent pas de l’Europe ?

Les milieux populaires ont décroché de l’Europe au moment de Maastricht et de la mise en place de la monnaie unique, c'est-à-dire en 1992...

Pourquoi ? Parce que, comme l’explique Terra Nova, les milieux populaires ne sont pas assez évolués culturellement, qu’ils ne sont pas assez ouverts sur les autres ? C’est quand même un peu fort de café, surtout quand on se dit de gauche…

La Fondation Jean Jaurès a critiqué ce rapport, et sur le fond, et sur la stratégie électorale qu’il proposait. Je ne pense pas du tout que les milieux populaires soient par nature hostiles à l’Union européenne. Ils ne l’ont pas toujours été et il n’est pas dit qu’ils le seront ad vitam aeternam. Cela dépend de la manière dont on parle de l’Europe et, surtout, dont on fait l’Europe.

Est-ce que ce n’est pas avec ce genre de diagnostic-là que l’on a ouvert un boulevard au FN ?

Sur l’Europe comme sur le reste, je ne crois pas du tout qu’il y ait d’issue pour la gauche — au-delà, je pense même que ce serait un danger pour la République — si elle se met à considérer que les ouvriers et les employés, qui représentent quand même 15 millions de citoyens, doivent être abandonnés. D’ailleurs, et contrairement à ce qui a été souvent dit, si François Hollande a gagné l’élection présidentielle, c’est parce qu’il a fait un très bon score chez les ouvriers et chez les employés, y compris au premier tour de l’élection présidentielle où il est arrivé devant Marine Le Pen, dans ces catégories-là. Celui qui s’est effondré dans les milieux populaires, c’est Nicolas Sarkozy.

Vous avez publié une étude sur “ les musulmans de gauche ” qui démontre que Terra Nova a aussi commis une erreur en voulant s’appuyer sur l’électorat des bobos et des immigrés, qu’il mettait dans le même panier. Cette nouvelle famille politique, les “ musulmans de gauche ”, est en effet, dites-vous, socialement et économiquement “ de gauche ”, mais culturellement “ de droite ” alors que les bobos sont, bien sûr, culturellement “ de gauche ” aussi… Il est curieux de noter que Terra Nova définissait les milieux populaires exactement de la même façon que vous qualifiez les “ musulmans de gauche ” : socialement et économiquement “ de gauche ” et culturellement “ de droite ”. Vous n’avez pas l’intention d’abandonner les immigrés comme Terra Nova a abandonné les milieux populaires ?

Pas du tout. D’abord, quelques précisions. Terra Nova ne se résume aucunement à ce rapport de 2011 – ce think-tank a joué, avec Olivier Ferrand, et il va jouer, avec Thierry Pech, un rôle très utile. Ensuite, c’est une étude qui a été faite en Ile-de-France et nous ne sommes pas partis à la recherche des musulmans : cette nouvelle famille politique a émergé à l’issue d’un travail qui consistait à essayer de constituer des groupes sociologiquement cohérents en partant de leurs réponses à des questions sur leurs valeurs – c’est ce que l’on appelle une « typologie ». Ce groupe dit des “ musulmans de gauche ” n’est pas composé uniquement de musulmans – c’est logique, puisque ce n’est pas selon ce critère qu’il s’est constitué –, mais c’est un groupe dans lequel il y a une forte surreprésentation statistique de musulmans. Mais la religion n’est qu’un élément constitutif de leur identité, parmi d’autres qui les rapprochent des milieux populaires. Un autre élément constitutif de leur identité est qu’ils sont plus jeunes, plus fragilisés que la moyenne des ouvriers. 90 % d’entre eux disent ainsi avoir des difficultés à boucler le mois.


Est-ce qu’on ne peut pas faire un lien entre ces “ musulmans de gauche ” plus jeunes, plus fragilisés et plus pratiquants, notez-vous, et ce qui ressort des études de Hugues Lagrange, à savoir qu’il y a une régression de l’intégration de la deuxième génération des musulmans ?

Je ne peux pas vous répondre, faute d’étude antérieure comparable. Pour mettre les choses en perspective, j’ai essayé autre chose de très instructif : dresser un parallèle entre ces “ musulmans de gauche ” et ce que l’on appelle les “ cathos de gauche ” qui sont apparus à la fin des années 70, parce qu’ils présentaient des caractéristiques assez proches.

Pas si proches que cela puisque vous soulignez que les "cathos de gauche" étaient majoritaires, ruraux et appartenaient aux classes moyennes tandis que les "musulmans de gauche" sont minoritaires, urbains et appartiennent aux classes populaires. Vous dites d’ailleurs qu’on peut espérer que les "musulmans de gauche" évoluent, comme les "cathos de gauche", vers une plus grande libéralisation culturelle. Avec un profil si dissemblable, on voit mal comment ils pourraient suivre la même évolution…

Rien ne permet d’en douter a priori. Le parallèle avec les « cathos de gauche » reste juste sur les valeurs. Après, il y a deux scenarii. Un scénario optimiste, avec un processus de sécularisation qui est en cours, même s’il peut prendre du temps. Et puis, un autre scenario, parce qu’on est sur des profils sociologiques différents, avec in fine un processus de communautarisation. Je ne tranche pas entre les deux.Cette question est ouverte — ouverte en ce sens qu’elle sera aussi ce que nous en ferons. Cela dépendra de la façon dont on traitera l’islam. Il y a une radicalisation du discours sur l’islam qui, en retour, a pour effet de replier une partie des musulmans et de renforcer le communautarisme.

Des faits sont là, pourtant, que constatent les élus sur le terrain. Jean-François Debat, qui est trésorier du PS et maire de Bourg-en-Bresse, a constaté pendant la campagne des municipales, une véritable fracture entre l’électorat musulman et la gauche…

Certes, mais pour être rigoureux, il faudrait mener une étude précise, dans un certain nombre de communes, pour savoir s’il y a eu dans ce mouvement d’abstention différentielle qui a davantage touché la gauche et qui procédait des milieux populaires, une surabstention spécifique des musulmans. Cette étude, une équipe de la Fondation Jean-Jaurès va la mener.

Il n’est pas question que de l’abstention, il est aussi question de vote. Dans son dernier livre, Gilles Kepel parle d’un “ swing vote ” des musulmans qui, jusqu’à présent, votaient à gauche, et qui, de plus en plus, votent à droite, voire à l’extrême droite. Sans compter que des musulmans se sont présentés et ont été élus aux municipales. Il donne en exemple l’élection de l’UMP Gerald Darmanin à Tourcoing qui, étant d’origine maghrébine, a axé sa campagne sur des valeurs conservatrices…

2012 infirme cette thèse, et je pense que c’est surtout une question d’abstention. Au niveau local, il peut certes y avoir ces “ swing votes ”, mais au niveau national, la ligne actuelle de l’UMP rend très difficile le basculement à droite de ces électeurs-là. Dans l’enquête, on pose la question : “ Est-ce que vous pensez que l’islam est une menace pour l’Occident ? ”, ce qui était quand même le thème de campagne de Nicolas Sarkozy, or, il y a 90 % de citoyens qui répondent non. Sur les questions économiques et sociales, c’est une famille qui est très attachée à l’intervention de l’Etat et à la redistribution. Je pense que ce sont des freins majeurs à un basculement de l’électorat. Pour moi, le risque principal est un risque de retrait de la vie politique : ils sont déjà beaucoup moins intéressés à la vie politique, ils se sont déjà beaucoup plus abstenus que la moyenne en 2012

Cette abstention exprime quand même une déception vis-à-vis de la politique du gouvernement…

Bien sûr. L’hypothèse que je formule est que la dimension identitaire les fait beaucoup plus difficilement basculer, au moins au niveau national, parce que leurs préoccupations sont d’abord d’ordre économique et social.  Ce qui pourrait les faire plus volontiers basculer, ce serait une droite plus gaulliste, plus attachée à l’Etat, plus soucieuse d’égalité, moins stigmatisante vis-à-vis des étrangers et de l’islam. Cette droite-là pourrait peut-être conquérir une partie de cet électorat. C’est une question stratégique qui est posée à la droite : d’une certaine manière, le choix du candidat sera une indication de ce choix stratégique. Entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, la capacité de parler à cet électorat serait très différente.

Est-ce qu’on ne peut pas faire un lien entre l’émergence de cette nouvelle famille politique des “musulmans de gauche” et le constat fait par Michèle Tribalat selon qui il y a régression de l’intégration culturelle des immigrés, et en priorité des musulmans, puisque ce sont eux les plus nombreux ?

Pour parler de régression, il faudrait pouvoir observer une évolution dans le temps – mais il ne m’est pas possible de répondre à cette question, faute d’éléments comparatifs.

Cette évolution, vous la mesurez dans le fait que ces “ musulmans de gauche ” ne partagent plus les valeurs culturelles de la gauche...

Non. Non seulement, je ne fais pas ce constat-là, mais je fais exactement le constat inverse. Par rapport à cette thèse de la droitisation de la société, on observe au contraire une très forte progression du libéralisme culturel quand on met en perspective sur vingt ans. Sur les questions de société, sur l’avortement, sur le travail des femmes, les résultats sont spectaculaires. Sur la question du mariage homosexuel, par rapport à l’époque du débat sur le Pacs à la fin des années 90, il y a une vraie ouverture de la société française, contrairement à ce que l’on raconte. Il y a certes eu une mobilisation forte d’une partie de la société qui était contre, mais, globalement, les Français sont beaucoup plus favorables qu’ils ne l’étaient il y a quinze ans. Je conteste totalement la thèse de la droitisation sociétale, en tout cas, sur ce point-là.

Ce qui s’est passé l’année dernière au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous ne le démontre pas forcément…

Cela démontre seulement qu’il y a une radicalisation d’une partie de l’opinion. En dépit de l’ampleur des manifestations, que je ne mésestime pas, vous avez continué à avoir une majorité de Français qui étaient favorables au mariage gay. Ce qui n’était pas du tout le cas il y a quinze ans.

Dans “ Le débat ” de septembre-octobre, Jean-Pierre Le Goff émettait l’idée qu’avec le tournant de la rigueur de 1983, la gauche, pour masquer sa "trahison" de l’ouvrier, avait, dans une sorte de tour de passe-passe, reporté son “ affection ” sur l’immigré — c’est à ce moment-là qu’est créé SOS Racisme —, en recouvrant tout cela d’un discours moral voire moralisateur, visant à faire écran… Qu’en pensez-vous ?

Je suis en désaccord avec le postulat. Je ne pense aucunement que le tournant de la rigueur soit une trahison des ouvriers. Le tournant de 1983, c’est la conversion de la gauche au monde tel qu’il est et à l’économie de marché. La vraie trahison des ouvriers consisterait à mener des politiques qui conduisent à la marginalisation de notre pays et à son déclin économique. Etant en désaccord avec le postulat, je suis par conséquent en désaccord avec la suite.

Quelque part, pourtant, avec cette étude sur les “musulmans de gauche”, on peut se demander si on ne touche pas au bout du bout de la démonstration de l’erreur de diagnostic qui a été faite par la gauche — ou par Terra Nova… Après avoir abandonné l’ouvrier au profit de l’immigré, hé bien, on est obligé de constater que ça ne marche pas…

Etant là encore en désaccord avec le postulat de départ, il m’est difficile de me couler dans le raisonnement. La thèse implicite, c’est que la stratégie de Terra Nova aurait été la stratégie de François Hollande en 2012. Or je pense que cela n’a pas du tout été le cas. Je reprends la célèbre phrase de Engels : “ La preuve du pudding, c’est qu’on le mange ”. Quand on regarde les résultats de l’élection présidentielle, François Hollande a, je l’ai déjà dit, fait un score extrêmement élevé dans les milieux populaires. Il n’y a pas eu d’abandon des ouvriers et des employés lors de la campagne présidentielle. Il y a une déception depuis lors, mais c’est un autre débat !

Il est quand même étonnant de constater que la gauche ne recueille pas les suffrages de ceux qui sont censés constituer son cœur…

Les ouvriers qui votent à 95 % à gauche, c’est un mythe absolu ! Cela n’a jamais été le cas. Il y a toujours eu des ouvriers de gauche et des ouvriers de droite, y compris pendant la période gaulliste. 

Qu’est-ce qui, alors, explique la bonne fortune de Marine Le Pen auprès de cet électorat ?

Plus que le déclin de la gauche, c’est le déclin de la droite républicaine chez les ouvriers. Cela fait maintenant trente ans qu’il y a des ouvriers de gauche et des ouvriers de droite, et dans la répartition des ouvriers de droite, la part des ouvriers votant UMP s’est effondrée. C’est le premier réservoir dans lequel Marine Le Pen a puisé. Après, c’est vrai, il y a, on l’a vu à l’occasion des municipales, notamment dans le Nord de la France, un électorat qui a voté Marine Le Pen. Mais prenez le Pas-de-Calais, l’UMP a disparu…

Alors, aucune erreur de diagnostic dans la politique menée en direction des classes populaires — et des immigrés, qui en font partie ?

D’erreur de diagnostic, je ne crois pas. Après, que la politique qui a été menée depuis deux ans ait engendré de la déception, là aussi… “ la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ”, et en l’occurrence, c’est qu’on ne le mange pas, et donc, évidemment oui.

Et pour qu’on le mange, il faut faire quoi ? L’inverse de ce qui a été fait ? Avec le nouveau gouvernement de Manuel Valls, on a un peu l’impression qu’on efface tout ce qui a été fait depuis deux ans…

Ah bon ?

Ne serait-ce que le choix de Manuel Valls interroge. On a l’impression d’assister à une espèce de cohabitation interne…

C’est une interprétation que je ne partage pas – une nouvelle fois ! Je note que Manuel Valls a reçu un accueil plus positif que la moyenne dans les milieux populaires, notamment chez les ouvriers, pour revenir au débat précédent – et je m’en réjouis !

“Les Inrocks ” disaient mercredi dernier que Manuel Valls avait été précisément choisi pour cela et qu’on était entré dans l’ère de la “démocratie sondagière”…

Non, non, non, je ne crois pas du tout cela. La clarté du constat qu’il fait, sa manière de parler, les questions d’autorité et de sécurité qui sont des questions importantes, font qu’il y a un style Manuel Valls plus susceptible de trouver de l’écho dans les milieux populaires.

Il faut donc être “ de droite ” pour parler aux milieux populaires ?

Pour vous, c’est être de droite que de dire les choses clairement et telles qu’elles sont  ? Nouveau désaccord ! 

L’effacement du clivage droite-gauche, on a pourtant le sentiment qu’il est incarné par ces deux têtes…

Je ne crois pas du tout qu’on soit dans une cohabitation interne. J’ajouterais que la déclaration de politique générale s’inscrit dans la continuité de la conférence de presse du 14 janvier. Après, qu’il y ait un président et un Premier ministre, c’est la lettre et l’esprit des institutions et je pense qu’il est de l’intérêt de chacun que cela fonctionne bien…

Propos recueillis par Barbara Lambert

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