Euro, dollar et yuan... Faut-il déclarer une guerre monétaire pour se protéger des pratiques déloyales des pays émergents ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude américaine propose de prendre des mesures contre huit pays, dont la Chine, la Corée ou la Suisse
Une étude américaine propose de prendre des mesures contre huit pays, dont la Chine, la Corée ou la Suisse
©Reuters

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De plus en plus de voix s'élèvent dans les milieux politiques américains pour mettre en place des mesures contre les économies qui dévaluent volontairement leurs monnaies pour baisser artificiellement le coût de leurs produits.

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez, 33 ans, diplômé de l'ESCE (Paris/La Défense) en 2003 a d'abord évolué plusieurs années chez BNPPARIBAS puis la Banque ROBECO en gestion privée avant de rejoindre SAXO BANQUE en 2009 en tant que Sales Trader. Son expérience des marchés financiers et plus particulièrement du marché des devises lui confère rapidement le rôle d’Analyste Marchés. Interlocuteur privilégié des médias français, il délivre quotidiennement des analyses sur les marchés financiers, tendances, risques macro-économiques et participe régulièrement à des conférences dédiées aux investisseurs. En novembre 2013, il rejoint le groupe IG, leader mondial des CFD, côté à Londres au FTSE 250, en tant que Chief Market Analyst.

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Atlantico : De plus en plus de voix s'élèvent aux Etats-Unis, y compris dans les milieux politiques, pour prendre des mesures à l'encontre des pays qui sous-évaluent volontairement leurs monnaies afin de gagner en compétitivité sur les produits qu'ils exportent. Joe Gagnon et Fred Bergsten, deux chercheurs au Peterson Institute, proposent même l'adoption d'un certain nombre de mesures dont l'instauration de droits de douanes sur les produits importés à hauteur de la baisse de prix induite par la monnaie dévaluée. Huit pays sont ciblés dont la Chine, la Corée ou même la Suisse. Une guerre, ou du moins, un bras de fer sur les changes est-elle nécessaire ?

Alexandre Baradez : Effectivement les travaux de recherche de Gagnon et Bergsten vont même plus loin que l’augmentation des droits de douane. Ils proposent que le pays qui voit sa devise se renforcer trop sensiblement achète une quantité équivalente d’actifs libellés dans la devise du pays visé. Si par exemple Hong-Kong détient 50 milliards d’actifs libellés en USD, les deux chercheurs proposent que les Etats-Unis achètent la même quantité d’actifs libellés en HKD pour provoquer le mouvement d’appréciation inverse. Ils proposent également de taxer plus lourdement les intérêts liés à la détention d’actifs en USD. Par exemple, les intérêts perçus sur la détention de bons du trésor seraient plus fortement taxés pour en limiter l’attrait…

Il s’agit toutefois là de cas extrêmes qui passeront surement d’abord par la recherche d’un consensus via l’OMC et ensuite les premières sanctions si aucune solution n’est trouvée. Avec la Chine, la situation pourrait ne pas dégénérer en guerre des changes, que ce soit vis-à-vis de l’Europe ou des Etats-Unis. La Chine, dont les comptes courants sont largement excédentaires a jusqu’à présent refusé toute réévaluation sensible de sa devise. Toutefois, la donne économique est en train de changer progressivement en Chine et le changement de classe dirigeante pourrait accélérer le mouvement. La Chine qui a jusqu’à présent bâti sa croissance sur les investissements et les exportations a bien compris que ce scénario ne pourra se prolonger encore longtemps si les principales zones de débouchés commerciaux subissent un ralentissement économique profond voir une récession.

La relance de ces zones (dont l’Europe) passera en partie par la dévaluation de la devise. La Chine a compris qu’il lui fallait maintenant commencer à allumer le troisième moteur de la croissance c’est-à-dire la demande intérieure. Les premières déclarations des dirigeants chinois allaient partiellement dans ce sens-là. Ce qui devrait se traduire dans les années à venir par la hausse des salaires, la hausse des coût de production et donc réévaluation progressive de la devise.

Dépendance pour le financement de la dette, relais de croissance... les occidentaux ont-ils réellement les moyens d'imposer de nouvelles règles monétaires aux économies émergentes ?

Oui, aujourd’hui les occidentaux ont la possibilité d’infléchir la tendance actuelle. Tout d’abord parce qu’ils sont de gros « consommateurs » de ce que produisent les zones émergentes et que si leur économie ralentit, cela impactera directement le dynamisme économique des pays émergents, même si pour certain la demande intérieure a commencé à prendre le relais. Ensuite, et c’est le cas pour les Etats-Unis, l’assouplissement monétaire (quantitative easing, QE3) peut être intensifié ou modulé même si les dernières minutes de la FED laissent penser que le QE3 pourrait être limité d’ici la fin de l’année.

L’objectif de ce type de mesure étant d’affaiblir mécaniquement le dollar et de faire baisser la pression sur les taux. Les Etats-Unis, en plus d’intervenir sur la partie monétaire, ont également décidé d’accroître leur compétitivité en réduisant leur dépendance vis-à-vis des matières premières liées à l’énergie. L’exploitation de pétrole et de gaz s’accroit permettant ainsi de diminuer les coûts d’approvisionnement et donc les coûts de production. On voit d’ailleurs que les mesures prises par les Etats-Unis au niveau monétaire provoquent de vives réactions en Amérique du Sud et notamment au Brésil où la réaction immédiate de la banque centrale a été d’acheter massivement des dollars pour limiter l’appréciation du real.

Au-delà d'une guerre commerciale, quels sont les risques associés à une guerre des changes ?

Pour l’instant, on ne peut pas considérer que la guerre des changes fait rage mais on voit bien le positionnement des grandes puissances économiques. Dès lors qu’un pays force le cours de sa devise à son profit, au-delà de l’aspect commercial de la démarche, c’est toute la mécanique des relations diplomatiques qui se grippe. La dégradation du climat qui règne entre la Chine et le Japon depuis des mois a été certes catalysée par la question des îles Senkaku mais résulte en très grande partie du dumping monétaire de la Chine qui a vu le yen se renforcer considérablement, étouffant les exportations japonaises et contribuant à la vague déflationniste dans laquelle est englué le Japon depuis des années. Le yen fort tue tout espoir d’accélération de la croissance et de l’inflation. C’est ce contre quoi va désormais se battre le nouveau gouvernement japonais mené par Shinzo Abe avec une pression ouvertement accrue sur la Banque du Japon qu’il accuse d’être trop conciliante. On entend désormais parler d’un plan de relance de près de 100 milliards d’euros (12 000 milliards de yens) au Japon, le leader conservateur ayant fait le pari de la relance par la dépense et adoptant ainsi le comportement inverse de l’Europe.

Au-delà du risque commercial, il y a évidemment un risque diplomatique fort pouvant, si il est poussé à l’extrême, dégénérer en risque militaire. Mais avant d’en arriver là, il y a également des risques d’instabilité sociale. Alors que les Etats du sud de l’Europe peinent à se sortir de la crise de la dette et à relancer leur économie, utiliser le levier des changes serait un atout non négligeable leur permettant de retrouver une certaine compétitivité sur le segment des exportations. N’oublions pas que la croissance se fait via trois leviers : la consommation (qui stagne en zone euro, pénalisée par la hausse du chômage), les investissements et les exportations. C’est sur ce troisième levier que l’effet change peut jouer favorablement, effet change sur lequel peut agir la BCE via la baisse des taux ou les rachats d’actifs (quantitative easing).

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