Et Vladimir Poutine fit voler en éclat des décennies de consensus allemand sur la politique étrangère du pays<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de leur rencontre à Munich, le 19 février 2022.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de leur rencontre à Munich, le 19 février 2022.
©Sven Hoppe / POOL / AFP

Auto introspection tardive

Olaf Scholz a décidé de suspendre la procédure d’homologation du gazoduc Nord Stream II suite à l'offensive militaire de Vladimir Poutine en Ukraine. La politique étrangère allemande, longtemps considérée comme une forme de mercantilisme, à l’égard de la Chine et de la Russie est-elle en train d'évoluer ?

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano est responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. Il a rejoint l’Institut Montaigne en 2019. Il a travaillé auparavant au Bundestag, comme attaché parlementaire d’un député allemand. Il a conduit pour la Fondation du patrimoine culturel prussien un projet d’exposition visant à présenter à Berlin les collections d’art moderne du dernier Shah d’Iran. Il a également participé au lancement d’un fonds d’investissement européen dans le domaine de la Smart City et pris part à l’initiative pour l’unification du droit des affaires en Europe. Diplômé de Sciences Po Paris, il est également titulaire d’une maîtrise en histoire moderne de la Sorbonne (Paris IV).

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Atlantico : Moins de vingt-quatre heures après la reconnaissance de l’indépendance des républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine par Vladimir Poutine, Olaf Scholz a décidé de suspendre la procédure d’homologation du gazoduc Nord Stream II, un projet auquel il était personnellement favorable. Le gouvernement allemand a-t-il enfin compris l’importance de s’affranchir de la dépendance russe en matière d’approvisionnement en gaz naturel ? Quels sont les enjeux de tels choix politiques ?

Guillaume Klossa : Il s’agit d’un signal très fort. Les Allemands sont prêts à prendre toutes les sanctions nécessaires à l’égard de Moscou et de Vladimir Poutine, sans limite.

Alexandre Robinet-Borgomano : Les débats autour du projet de gazoduc Nord Stream 2, destiné à augmenter les exportations de gaz à destination de l’Allemagne et de l’Europe en contournant l’Ukraine, sont bien plus anciens que la crise ukrainienne. Dès l’origine, ce projet s’est heurté à l’opposition de certains Etats européens, en particulier la Pologne et les États baltes, ainsi qu’à celle des Etats-Unis. La volonté du Gouvernement allemand de maintenir ce projet - alors même que l’Allemagne est l’un des États européens les plus attachés à la relation transatlantique- est révélateur de cette « souveraineté » dont l’Allemagne fait preuve vis-à-vis de son allié américain, tout en s’épargnant les débats théoriques sur « l’autonomie stratégique européenne ».

Lors de sa première visite au Président Joe Biden, le Chancelier allemand Olaf Scholz s’est abstenu de prononcer le nom du gazoduc problématique et il a refusé d’en faire un moyen de pression sur le Kremlin, affirmant qu’il s’agissait d’un projet « purement privé » et non d’une arme géopolitique... Pour autant il était clair, dès le départ, qu’une invasion de l’Ukraine par la Russie signerait l’arrêt du projet. Olaf Scholz avait reconnu au début du mois de février qu’une telle situation donnerait lieu à la mise en place de sanctions « impliquant également le projet de gazoduc Nord Stream 2 ». La reconnaissance de l’indépendance des républiques séparatistes de l’Est de l’Ukraine, préalable à une offensive russe, mettait donc de facto un terme au projet. En annonçant sa décision de créer en Allemagne deux terminaux pour recevoir du gaz liquéfié GNL et en renforçant son engagement en faveur des énergies renouvelables, le Chancelier Olaf Scholz a confirmé dimanche 27 février 2022 la volonté de l’Allemagne de mettre un terme à sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. 

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A quel point y avait-il jusqu’à présent un consensus dans la classe politique allemande autour de Nord Stream II ? Est-ce la fin de l’esprit Schröder sur le sujet ?

Alexandre Robinet-Borgomano : Nord Stream II ne faisait absolument pas l’objet d’un consensus en Allemagne. Bien que la Chancelière Angela Merkel l’ait continuellement défendu, son parti, la CDU, restait très divisé sur la question. L’ancien Président de la Commission des Affaires étrangères au Bundestag, Norbert Röttgen (CDU) fut ainsi pendant longtemps l’un des principaux opposants à sa réalisation. Les Libéraux et les Verts sont quant-à-eux fermement opposés au projet - et seul le Parti social-démocrate (SPD) soutenait véritablement ce gazoduc. L’influence de l’ancien Chancelier Gerhard Schröder (SPD), qui travaille désormais pour les sociétés russes Gazprom et Rosneft, ne suffit pas à expliquer cette situation. Le SPD entretient encore une forme de nostalgie vis-à-vis de l’Ostpolitik (le rapprochement avec l’Est), initié par le Chancelier Willy Brandt, qui conduit à favoriser, à gauche, une opinion plus favorable à la Russie. Par ailleurs, le gazoduc doit arriver dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-occidentale, dirigé par la Ministre Présidente Manuela Schwesig (SPD) désireuse de voir aboutir ce projet porteur de dynamisme pour sa région.     

L’accord de coalition entre les trois partis occultait le sujet Nord Stream II. Il est intéressant de voir combien l’évolution de la position du gouvernement sur ce sujet reflète l’évolution des rapports de forces au sein de la coalition. Désormais, la ligne majoritaire est celle du ministre vert de l’économie et de l’énergie, Robert Habeck et celle de la ministre verte des Affaires étrangères Annalena Baerbock. Candidate des Verts à la Chancellerie, celle-ci avait défendu une attitude plus ferme vis-à-vis des régimes autoritaires et elle avait activement plaidé, durant la campagne, pour l’arrêt de Nord Stream II. La fermeté dont elle fait preuve depuis le début de la crise ukrainienne aurait pu avoir pour effet d’éclipser le Chancelier, en donnant l’impression que les circonstances lui imposent de fait de s’aligner sur une position qui n’était pas la sienne initialement.                 

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Certains commentateurs ont longtemps analysé la politique étrangère allemande comme une forme de Mercantilisme, à l’égard de la Chine et de la Russie notamment ? La décision d’Olaf Scholz marque-t-elle une véritable rupture avec cela ?

Alexandre Robinet-Borgomano : En matière de politique étrangère, la période Merkel était en effet marquée par une forme de « centrisme diplomatique », l’Allemagne soignant sa relation avec les Etats-Unis garants de sa sécurité tout en ménageant la Chine pour maintenir le niveau élevé de ses exportations et la Russie pour assurer son approvisionnement en énergie. Vis-à-vis de la Chine comme de la Russie, cette stratégie n’était pas seulement motivée par des intérêts commerciaux: elle s’appuyait également sur la croyance dans le « changement par le commerce » (Wandel durch Handel), ou l’idée que l’intensification des liens économiques avec ces deux puissances conduirait à leur ouverture et leur démocratisation... Force est de constater que cette croyance était une illusion et cette erreur restera comme la principale tâche du bilan d’Angela Merkel.

Le Chancelier Olaf Scholz s’inscrit pourtant encore largement dans la continuité de cette politique. En tant que Vice-Chancelier et Ministre des finances, mais également en tant que maire de Hambourg, le plus grand port de commerce d’Allemagne, Olaf Scholz a contribué par le passé à entretenir une politique étrangère dominée par les intérêts de l’industrie allemande. La « rupture » à laquelle nous assistons actuellement en Allemagne procède moins d’un changement de convictions de sa part, que de l’aggravation des tensions géopolitiques et de l’arrivée des Verts au pouvoir.

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Cette décision a été annoncée avant même que les autres pays, et notamment les Etats-Unis, annoncent des sanctions. Est-ce une volonté de faire émerger un nouveau leadership ?

Alexandre Robinet-Borgomano : Le départ d’Angela Merkel, seule dirigeante occidentale capable de tenir tête à Vladimir Poutine, laisse évidemment un vide que Moscou ne se prive pas d’utiliser. Mais la décision du Chancelier ne semble pas s’inscrire dans une volonté de Leadership. La priorité du camp occidental est de montrer son unité et sa détermination face à la Russie, et les hésitations du Chancelier allemand à l’égard de Nord Stream II risquait, à terme, d’isoler l’Allemagne. Cette décision prend également en compte l’évolution de l’opinion allemande sur ce sujet. Luisa Neubauer, une jeune activiste allemande pour la protection du climat aussi influente en Allemagne que Greta Thunberg a très bien résumé cette situation, en affirmant que « la guerre actuelle est une guerre des énergies fossiles, impliquant une sortie radicale du gaz, du charbon et du pétrole ».           

Dmitri Medvedev, ancien président russe et vice-président du Conseil de sécurité nationale, a déclaré « Bienvenue dans le meilleur des mondes où les Européens vont bientôt payer 2 000 euros pour 1 000 mètres cubes de gaz naturel ». Quelles peuvent être les conséquences de ce changement de stratégie étrangère pour l’Allemagne et ses alliés ?

Alexandre Robinet-Borgomano : La dépendance de l’Allemagne vis-à-vis du gaz russe est un fait incontestable. Plus de 50 % des approvisionnements en gaz de l’Allemagne viennent de Russie (contre 30 à 40 % pour le reste de l’Union) et le gaz naturel est un élément indispensable à la réussite de la Energiewende, la transition énergétique allemande. Mais il ne faut pas oublier que cette dépendance est à double sens : la Russie est bien plus dépendante de l’Union européenne pour ses exportations que ne l’est l’Union européenne de la Russie pour ses approvisionnements en gaz. L’arrêt des livraisons de gaz russe aurait des conséquences dramatiques avant tout pour la Russie.  

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L’attitude de la Russie force désormais l’Allemagne et l’Europe à trouver de nouvelles alternatives au gaz russe. Dans une interview datée du 4 février 2022, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est montrée confiante quant à la possibilité pour l’Europe de renoncer au gaz russe en s’approvisionnant dans d’autres régions du monde -en particulier aux Etats-Unis grâce au gaz liquéfié GNL- et en accélérant les investissements dans les énergies renouvelables, afin d’assurer la souveraineté énergétique de l’Europe.

Dans quelle mesure Vladimir Poutine met-il fin, par ses actions, à la politique étrangère allemande qui cherchait à comprendre les Russes et leur position et à considérer que la paix en Europe ne peut exister qu'en coopérant avec la Russie plutôt que de s'opposer à elle ? A quel point cette idée était-elle partagée ?

Guillaume Klossa : La politique étrangère allemande s’inscrit dans la continuité d’une croyance d’après-guerre : le développement des interdépendances et du commerce est la meilleure garantie pour la paix. Ce logiciel, qui est le logiciel de l’Union européenne des lendemains de la guerre jusqu’aux années 2010 est au cœur de la stratégie économique, commerciale, et des Affaires étrangères de l’Allemagne jusqu’à maintenant.

La vérité est que depuis une décennie, ce logiciel commence à être ébranlé par la Chine. L’Allemagne avait exactement la même stratégie par rapport à la Chine en pensant que le renforcement des liens commerciaux bilatéraux des interdépendances était la meilleure manière de développer des relations équilibrées et réciproques. Les Allemands se sont rendus compte cette dernière décennie que la Chine ne respectait pas ce principe et qu’elle créait un rapport de force qui pouvait à terme être défavorable aux industries allemandes.

De la même manière, les Russes ont tiré parti de cette conviction qui fonctionnait dans une mondialisation qui était guidée par le commerce et pas par la géopolitique. Elle devient caduque à partir du moment où la géopolitique prend le pas sur le commerce.     

Alexandre Robinet-Borgomano : La position allemande consiste encore à distinguer clairement le gouvernement de Vladimir Poutine et « les Russes » ou « la Russie ». Le régime de Vladimir Poutine n’est plus un interlocuteur crédible, mais l’objectif est de garantir l’établissement d’une coopération durable avec la Russie une fois que Poutine ne règnera plus sur le pays. Il est clair, désormais, que la paix ne pourra être garantie tant que l’Union européenne trouvera à ses frontières un régime dictatorial, animé par des intentions belliqueuses et indifférent au respect du droit international.         

Lorsque Bild se demande « Were we too nice to the Kremlin? », est-ce effectivement la question qui se pose pour les dirigeants allemands ? 

Guillaume Klossa : C’est un sujet très compliqué. L’ensemble de l’Occident a été négligent à l’égard de la Russie. A partir des années 1990, les Occidentaux et les Américains ont considéré que la Russie n’était plus un problème et plus un sujet. La Russie a pu se sentir humiliée. Certaines nations, à commencer par les Etats-Unis, se sont complètement désintéressées de la qualité des relations bilatérales avec la Russie. Cela concerne aussi bien certains Européens que les Américains, à un moment où la société russe jusqu’aux années 2010 était très favorable à un rapprochement de l’Occident et avait envie de s’occidentaliser.

De notre côté, au niveau de l’Europe, et de celui de l’Allemagne, il y a donc un manque de compréhension stratégique dont on paie aujourd’hui les conséquences et qui a permis à Vladimir Poutine de profiter de la situation pour mettre en place un régime autocratique.

Vladimir Poutine a mis en place une stratégie d’influence avec le développement de médias comme RT et d’autres, ainsi qu’une stratégie de mobilisation de leaders d’opinion pour en faire des sympathisants des positions russes comme Eric Zemmour, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, avec l’objectif d’établir les agendas politiques des débats des démocraties occidentales. Il a aussi amadoué en les faisant nommer dans des conseils d'administration de nombreux anciens hommes d'Etat européens. Il a réussi finalement à le faire.

Il y a pour tous une cécité collective.

L’Allemagne, plus que la France et plus que d’autres pays occidentaux, a une culture pacifique très forte. Nos voisins allemands ont été sans doute plus enclins à croire aux illusions et aux promesses de Vladimir Poutine.

D’un point de vue pratique, l’Allemagne est plus dépendante économiquement et énergétiquement de la Russie que des pays comme la France.

Alexandre Robinet-Borgomano : Je ne crois pas que les dirigeants allemands se soient montrés « too nice » ni même trop naïfs vis-à-vis du Kremlin. La menace que représente la Russie pour la paix et la sécurité en Europe est prise bien plus au sérieux en Allemagne que dans d’autres États européens, et les diplomates allemands ont toujours manifesté une très forte incompréhension à l’égard de la politique de la « main tendue » pratiquée par le Président macron vis-à-vis de Vladimir Poutine. C’est également parce qu’ils prenaient au sérieux cette menace que les dirigeants allemands se sont inquiétés des déclarations à l’emporte-pièce du Président français relatives à la mort cérébrale de l’OTAN, conscients que l’alliance atlantique représentait la seule garantie de sécurité crédible face à l’irrédentisme russe.

La vraie question qui se pose aux dirigeants allemands est la suivante : pourquoi avons-nous si longtemps occulté le risque de guerre en Europe et pourquoi sommes-nous restés, en matière de défense, dans cet état de minorité auto-entretenue (selbstverschuldete Unmündigkeit) alors même que nous avions conscience de l’imminence du danger, et que le changement de politique extérieure américaine (le pivot to Asia) imposait à l’Europe de prendre son destin en main ? La réponse à ces questions réside essentiellement dans la force du courant pacifiste et antimilitariste qui animait et anime encore la société allemande. 

Annegret Kramp-Karrenbauer a déclaré « Je suis tellement en colère contre nous-mêmes pour notre échec historique. Après la Géorgie, la Crimée et le Donbass, nous n'avons rien préparé qui aurait pu réellement dissuader Poutine. Nous avons oublié la leçon de Schmidt et Kohl selon laquelle la négociation est toujours la première chose à faire, mais nous devons être suffisamment forts militairement pour que la non-négociation ne soit pas une option pour la partie adverse ». Est-ce un aveu de l'échec de la politique étrangère et de défense de Merkel ?

Guillaume Klossa : Le problème est que Poutine n’entend que le rapport de force. Ni l’Allemagne, ni la France, ni aucun pays européen individuellement ne sont en mesure d’établir un rapport de force suffisant avec Poutine.

Le sujet central est donc l’échec collectif des Européens qui sont dans l’incapacité de se transformer en véritable puissance. 

Poutine l’a fait de manière très claire. Poutine craint plus que tout l’Union européenne car l’UE est un modèle alternatif démocratique beaucoup plus attractif que le modèle américain pour à la fois les pays limitrophes de la Russie mais aussi pour la population russe.

Vladimir Poutine veut neutraliser l’Europe. Il a préparé son plan. Il a endormi les Occidentaux et l’Allemagne. Collectivement, nous n’étions pas réceptifs car nous n’avions pas envie d’entendre. Poutine a entretenu notre aveuglement. Il a mis en place une stratégie à la fois d’information, de désinformation, de mobilisation de leaders d’opinion en visant à fixer l’agenda des élections des Etats européens.

Les sujets sur lesquels nous discutons aujourd’hui à l’occasion de notre élection présidentielle (la souveraineté nationale, l’immigration…) sont des sujets que les Russes ont voulu implanter au cœur de notre débat. Ils l’ont fait avec succès.

C’est donc aussi une responsabilité collective des médias, de la société politique, de la société civile et des politiques d’être tombés dans le piège russe. Les sujets de campagne sur lesquels nous discutons aujourd’huisont les sujets qui servent les intérêts de Moscou et quiconduisent au repli sur soi et à l’empêchement d’une puissance européenne.

Alexandre Robinet-Borgomano : Je crois qu’il faut nuancer cette dernière opinion. Le discours prononcé par Olaf Scholz au Bundestag dimanche 27 février marque un tournant historique dans la politique extérieure et de sécurité allemande. Lors de ce discours, le Chancelier s’est engagé à élever à plus de 2% du PIB le niveau des dépenses militaires de l’Allemagne et à débloquer 100 milliards d’euros pour les investissements de la Bundeswehr. Dans la mesure où il est plus facile de créer une armée moderne que de moderniser une armée ancienne, tout porte à croire que l’Allemagne disposera dans peu de temps de la première armée d’Europe. Nous assistons à un tournant historique, une rupture par rapport à l’ère Merkel. Et pourtant, ce sont bien les années Merkel qui ont rendu possible cette affirmation géopolitique et militaire de l’Allemagne.

Depuis 2014, Angela Merkel -en s’appuyant sur ses deux ministres de la Défense que furent Ursula von der Leyen et Annegret Kramp-Karrenbauer- a posé les principaux jalons de ce tournant.  Elle s’est d’une part attachée à développer un nouveau discours sur les responsabilités internationales de l’Allemagne, afin de combattre les préjugés anti-militaristes de la société allemande. Elle s’est d’autre part attachée à renforcer les investissements de l’Allemagne dans la défense, et il n’est pas inutile de rappeler que dès 2019, le budget de défense allemand dépasse en volume le budget français.La politique étrangère et de défense de Merkel s’appuie par ailleurs sur une conviction dont nous mesurons aujourd’hui la pertinence, à savoir que nous devons devenir « plus européens » pour rester transatlantique...Dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, opposer le renforcement des capacités de défense européenne et l’attachement à l’OTAN relève d’une posture gaullo-mitterrandienne largement dépassée

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