Et si les difficultés de recrutement dans l’hôtellerie et la restauration étaient dues à… la reforme de l’assurance chômage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue au sein d'un établissement à Plouezoc'h, dans l'ouest de la France, d'une pancarte d'une offre d'emploi pour un poste de serveur.
Une vue au sein d'un établissement à Plouezoc'h, dans l'ouest de la France, d'une pancarte d'une offre d'emploi pour un poste de serveur.
©FRED TANNEAU / AFP

Perte d'attractivité

De nombreuses entreprises dans l’hébergement et la restauration connaissent des difficultés pour recruter. La réforme de l'assurance chômage a-t-elle eu un impact négatif pour les recruteurs dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration ?

Frédéric Jeanjean

Frédéric Jeanjean

Frédéric Jeanjean est secrétaire général de l'UMIH des Bouches-du-Rhône. 

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon les données de la Dares, la part des entreprises rencontrant des difficultés de recrutement dans l’hébergement-restauration a bondi au troisième trimestre 2021, juste avant l’adoption de la réforme de l'assurance chômage. À quel point cette réforme a pénalisé ces secteurs ?

Frédéric Jeanjean : Dans notre secteur, les problèmes de recrutement sont récurrents. Nous avions déjà du mal à recruter avant même la pandémie de coronavirus. N’oublions pas l’étude publiée par Pôle Emploi, publiée bien avant la crise sanitaire, qui pointait du doigt le fait que les gens ne voulaient plus être “au service” mais qu’ils souhaitaient désormais être servis.

Il est vrai, cependant, qu’un nombre conséquent des employés en restauration ne sont pas revenus sur leur poste de travail après la crise sanitaire. Ceux-là ont décidé de privilégier leur qualité de vie, semble-t-il. Il nous a été fait savoir que cela résultait de salaires trop faibles. Depuis, il y a eu un accord national visant à augmenter les salaires, qui les a d’ailleurs rehaussés de 16%. Nous avons aussi répondu à plusieurs des questions concernant les conditions de travail (comme celles des coupures dans le temps de travail, par exemple), mais cela n’a pas poussé les employés à revenir à leur poste. La question de fond qui se pose désormais est simple : que se passe-t-il au juste ? Le problème vient-il de la nature de nos métiers ou est-ce que c’est le travail en tant que tel qui rebute, désormais ?

Pour répondre à cette question, je m’appuierais sur un exemple très concret. J’ai été récemment confronté à un jeune d’une vingtaine d’années, bénéficiant des minima sociaux, qui postulait à une offre d’emploi pour travailler dans mon restaurant. Il n’avait pas d’expérience, pas de qualification non plus, mais je lui ai proposé un CDI, avec formation à la clef et la possibilité de sortir avec une qualification professionnelle reconnue. Il a voulu savoir comment se passer le travail et je lui ai donc dit que notre établissement fermait le soir et n’ouvrait pas le dimanche. En termes de restauration, on est donc loin des pires conditions imaginables : il s’agit de travailler 5 jours par semaine, d'arriver à 8h et de partir 15h30-16h ou alors d’arriver sur les coups de 11h et partir entre 19 et 21h selon l’affluence du jour. Quand nous avons abordé la question du salaire, je lui ai dit qu’il serait payé un SMIC hôtelier, aux alentours de 1400 euros mensuels donc, auxquels s’ajouteront ses pourboires et les repas inclus dans la convention collective, ainsi que la mutuelle (qui est, rappelons-le, contractuelle).

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“Vous croyez vraiment que je vais me lever pour 1400, 1500 ou même 1600 euros par mois ?”, m’a-t-il répondu. Et lui de poursuivre : “Il faut bien que vous compreniez que ma génération a décidé d’accéder à la qualité de vie”.

Peut-être. Mais en attendant, ce n’est pas à nous de payer pour la qualité de vie des autres. C’est à chacun de s’assurer qu’il la paie pour soi et il faut réaliser que le chômage ou l’indemnité maladie ont été pensés pour les gens qui en ont besoin. Malheureusement c’est une donnée qui a été totalement évacuée par la jeune génération, qui ne comprend visiblement pas la réalité du système par répartition.

La réforme de l’assurance-chômage fait que nous avons recommencé à recevoir des actes de candidature. Généralement, la collaboration s’arrête à la fin de la période d’essai. Elle ne nous a pas aidé à recruter davantage, mais je ne dirais pas non plus qu’elle nous a mis de réels bâtons dans les roues. C’est un problème générationnel avant tout, me semble-t-il.

Michel Ruimy : La réforme de l’assurance-chômage prévoit de répondre à trois objectifs majeurs : lutter contre le recours abusif aux contrats courts, faire en sorte que le travail paie plus que l’inactivité en établissant de nouvelles règles d’indemnisation qui devraient inciter à la reprise de l’emploi et renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Si le changement de calcul (il faut, désormais, avoir travaillé 1 semestre pendant les deux dernières années afin de pouvoir bénéficier d’allocations chômage) s’explique par la volonté de batailler contre les effets pervers des emplois temporaires, certains travailleurs se voient pénalisés, notamment les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration qui, pour la plupart, ont des emplois fractionnés voire saisonniers.

En d’autres termes, la nouvelle disposition législative va non seulement exclure un grand nombre de travailleurs privés d’emploi de l’indemnisation, mais elle va particulièrement toucher les jeunes ainsi que les travailleurs ayant un contrat précaire (CDD, contrat d’intérim…).

De plus, elle va fortement inciter les chômeurs à retrouver rapidement une place avec, pour corollaire, que les demandeurs d’emploi les plus précaires n’acceptent que des postes requérant de faibles qualifications. Un hiatus peut alors apparaître : cette réforme risque de réduire les qualifications des chômeurs déjà faiblement qualifiés et d’accentuer la polarisation sur le marché du travail.

Or, si le capital humain des individus se détériore, la croissance potentielle de long terme de l’économie est en jeu, ce qui interroge, in fine, l’objectif financier de la réforme qui devrait, à long terme, jouer sur le niveau de l’emploi réel ainsi que sur la forme et la structure générale de l’emploi.

Etant donné que l’on observe un décrochage dans tous les services en général, comment expliquer que cette réforme a-t-elle pu être un boulet aux pieds pour les recruteurs dans l’hébergement-restauration ?

Frédéric Jeanjean : Il y a une autre réalité à prendre en compte, dans le cadre de notre activité professionnelle. Compte tenu du fait que les anciens employés ne revenaient pas au travail, nous avons dû nous réorganiser pour composer avec cette nouvelle réalité professionnelle. Nous avons donc diminué les amplitudes horaires, réduit le nombre de service et nous restons fermés pour certaines périodes. Par conséquent, nous avons mécaniquement moins besoin de main-d’œuvre. C’est un paramètre à prendre en compte. Nous n’avions pas le choix de réduire la masse salariale. Il est arrivé que je me retrouve seul à l’ouverture, par exemple.

De ce que je constate, la réforme de l’assurance chômage force les gens à revenir. En tout cas, plus de CV arrivent. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont motivés en arrivant. Ils doivent trouver des solutions administratives, mais il est très rare qu’ils restent, encore une fois. Je suis persuadé que c’est un problème générationnel. La nouvelle génération, celle qui est née avec un téléphone en main, ne se projette pas sur un projet commun ou sur long-terme. Il y a une certaine forme d’égoïsme.

Il faut peut-être ré-expliquer ce qu’est le système par répartition. Tout est perçu comme un dû, on n’hésite plus à se mettre au chômage ou en arrêt-maladie quand ça nous arrange sans que cela soit forcément nécessaire.

Rentrer dans une entreprise, c’est un projet en commun. Bien sûr, il y a une exigence de résultat, mais chacun a son rôle à tenir et le chef d’orchestre – le chef d’entreprise – doit s’assurer que sa chorale reste cohérente. A la fin, il faut arriver à faire sortir du son. Si certains décident de chanter autre chose… ça devient compliqué.

Michel Ruimy :Beaucoup de secteurs connaissent des pénuries de personnels. Dans l’hôtellerie-restauration où, selon France Emploi, plus de 50% des emplois sont saisonniers, ce sont près de 200 000 offres qui ne sont pourvues.

Déjà fragilisés par la suspension de l’activité économique consécutive à la crise sanitaire, période pendant laquelle leurs salariés étaient partis ailleurs, ne pouvant prétendre au chômage partiel, par l’inflation et par l’explosion des prix de l’énergie, les employeurs sont également les victimes collatérales de la réforme.

Le vivier traditionnel de travailleurs sur lequel ils s’appuyaient, dans le cadre de leur gestion flexible, s’est ainsi évaporé. Le résultat paradoxal est que les entreprises dont le métier nécessite d’avoir recours aux contrats courts ne peuvent plus pleinement exercer leur activité.

Quelles sont les autres raisons de la perte d’attractivité de ces métiers-là ?

Frédéric Jeanjean : Je crois que tous les métiers souffrent aujourd’hui de difficultés de recrutement, pas seulement le secteur de la restauration et de l’hôtellerie. Où que je me tourne, que ce soit chez les coiffeurs, en grande surface, au sein des auto-écoles… tous les chefs d’entreprises témoignent de difficultés à l’embauche. Il y a quelques années de cela, on organisait sa vie en fonction de son travail. Dorénavant, c’est l’inverse.

Michel Ruimy :Le secteur de la restauration est, partout et en permanence, en sous-effectif. Il ne peut fonctionner ou être rentable qu’en répartissant la charge de travail entre plus de personnes pour la rendre moins lourde.

Or, il présente, en termes d’emplois, certaines caractéristiques peu attractives : faible rémunération eu égard aux efforts fournis, conditions de travail difficiles, travail déstructuré (horaires irréguliers, week-ends et jours fériés…), contrats précaires (saisonniers, intérimaires, CDD), fiches de poste peu définies et respectées… des éléments qui peuvent, à eux seuls, décourager nombre de candidats potentiels.

Mais ces facteurs ne sont pas les seuls. Les environnements de restauration peuvent être stressants, en particulier pendant les heures de pointe. Les serveurs, cuisiniers et autres membres du personnel de cuisine, qui doivent souvent jongler avec de nombreuses tâches simultanées, estiment ne pas recevoir la reconnaissance attendue. Par ailleurs, les opportunités de carrière peuvent sembler limitées, en particulier pour ceux qui ne poursuivent pas une carrière de chef cuisinier ou de gestionnaire.

Le refus de travailler dans n’importe quelle condition semble être la principale réponse actuelle.

Que faudrait-il faire pour rendre plus attractifs les métiers dans l’hôtellerie et la restauration ?

Frédéric Jeanjean : Il faut engager une réflexion d’ensemble sur la notion que nous mettons derrière le travail dans notre société. J’en reviens à ce que je vous disais précédemment, puisque cela soulève les questions de l’individualisme dans notre société, de l’instantanéité que recherchent certains… Il faut poser la question : qu’elle est, aujourd’hui, notre communauté de destin ? C’est sur la notion travail que repose notre système de solidarité. On ne peut pas penser qu’à notre nombril.

Michel Ruimy :Afin d’accroitre l’attractivité des métiers, il peut être nécessaire de prendre des mesures visant notamment l’amélioration des conditions de travail, un relèvement des salaires et une meilleure reconnaissance professionnelle.

En termes de conditions de travail, cette démarche pourrait passer par la réduction des heures de travail, par une offre d’horaires plus flexibles et plus prévisibles afin de garantir une meilleure conciliation entre travail et vie personnelle.

En termes de conditions financières, il conviendrait de revoir les rémunérations pour les rendre plus compétitives comparé à d’autres secteurs, en tenant compte du coût de la vie dans différentes régions. Ceci pourrait aussi passer par la proposition d’avantages sociaux (assurance santé, régimes de retraite, congés payés…).

En termes de reconnaissance professionnelle, il peut être judicieux d’une part, pour renforcer le moral / bien-être des employés, de mettre en place des systèmes de reconnaissance dont l’objectif serait de récompenser la qualité du service rendu et le professionnalisme et d’autre part, de créer des environnements de travail positifs et inclusifs où le personnel se sente valorisé et respecté, ce qui pourrait contribuer à une culture d’entreprise attrayante.

Un autre axe serait, enfin, de prendre en compte le développement professionnel en scellant des partenariats avec des établissements éducatifs (écoles, institutions de formation…) afin de créer des programmes d’apprentissage et faciliter l’accès à une éducation de qualité pour ceux qui souhaitent entrer dans le secteur voire d’offrir des programmes de formation continue. Des opportunités d’avancement professionnel et des plans de carrière clairs peuvent encourager les travailleurs à rester dans le secteur et à développer leurs compétences.

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