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Et si la Banque centrale européenne était notre meilleur outil contre la pollution ?
Et si le mieux à faire était de « verdir » la politique monétaire, en demandant à la Banque centrale européenne d’aider à lutter contre le réchauffement planétaire, en achetant des « bons verts », des green bonds, pour financer moins cher les entreprises et les activités moins polluantes !
Jean-Paul Betbeze
Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.
Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.
Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com
C’est économiquement plus efficace que de taxer l’essence en général, et politiquement moins dangereux que de demander aux « gilets jaunes » de payer plus à la pompe !
Oui bien sûr, il faut taxer le pétrole pour en faire consommer moins, en appliquant le principe « pollueur-payeur ». Tous les économistes sont d’accord. Avec une énergie devenue plus chère, ménages et entreprises font plus attention, achètent des équipements et véhicules plus efficaces, isolent mieux usines et immeubles, suscitent des innovations. La croissance devient moins gourmande en énergie, plus forte, en un mot : meilleure.
Mais tout réside dans la manière d’appliquer ce principe. « Pollueur oui, mais pas d’autre choix », dira celui habite loin d’une gare ou d’un arrêt de bus : je ne puis « physiquement » changer de comportement. « Pollueur oui, payeur non » : c’est au riche de le faire, dit le « gilet jaune », parce qu’il le peut ! Pour lui répondre, la dernière note du Conseil d’analyse économique propose de combiner taxation écologique et politique de répartition. L’intégralité de la taxe perçue serait alors retournée aux ménages selon leurs revenus (vers les plus faibles) et leurs localisations (vers les communes rurales et les petites aires urbaines). La note ajoute que ce « chèque énergie » devrait s’accompagner de réglementations réduisant la pollution, d’aides à la reconversion et de soutiens aux innovations. Fort bien, mais que diront les « riches » devant cette politique, qui est plus une démarche de répartition que de lutte contre la pollution ? Est-ce que cela suffira, avec quels effets pervers ?
Mais on pourrait faire remarquer que c’est la Banque centrale européenne qui pollue le plus, indirectement certes ! C’est elle qui baisse les taux d’intérêt pour soutenir la croissance et l’emploi, permettant ainsi d’acheter moins cher l’automobile, diésel ou électrique, ou la maison ! Pire, les taux bas sont les mêmes pour l’éolien, le nucléaire ou le charbon ! Les banquiers centraux sont les financeurs-pollueurs généraux, et aveugles, du système : il faut qu’ils verdissent leur politique monétaire, qu’ils ouvrent les yeux, pour nous les faire ouvrir !
Cette contradiction financeur-pollueur n’est pas partout perçue aux États-Unis, où nombre de responsables, Président en tête, sont climato-sceptiques : il faut donc y avancer prudemment. Une courageuse étude de la Fed de San Francisco (25 mars 2019) alerte et note que la température à la surface de la terre et des océans monte de plus en plus vite depuis 1980. Elle met en avant les effets possibles sur l’inflation de cet « éventuel » réchauffement, en le comparant aux effets à long terme de la démographie. Elle ajoute que ce phénomène a des effets boursiers, à long et aussi à court terme. On comprend le message : même si le thème est sensible et si en parler pourrait énerver Donald Trump, ne pas en parler est, au moins autant, problématique.
Ici en zone euro, pas d’omerta : les économistes listent les effets et risques du changement climatique. Souvent spectaculaires et tragiques, avec des morts, ces feux, tempêtes et sécheresses, pèsent sur la croissance et l’emploi. Ils conduisent des entreprises à la faillite, avec des pertes bancaires. Des crues plus fréquentes ou la montée des eaux obligent à déplacer des constructions, à élever des murs, hausser des digues, bref à des investissements non immédiatement rentables. Les assurances deviennent plus sensibles à ces risques, mais il faut en parler plus. Et les banques semblent, encore, trop peu impliquées.
La Banque centrale européenne est encore plus en retrait. Mais Benoit Coeuré vient d’ouvrir le débat (en novembre 2018), suivant Villeroy de Galhau (2015). Certes les politiques monétaires sont normalement à un ou deux ans : les risques climatiques n’entrent donc pas dans le radar, sauf s’ils deviennent plus fréquents et importants, sauf surtout si on décide de rester myopes ! Mais le réchauffement climatique fait vraisemblablement monter l’épargne de précaution, donc pèse sur la croissance, cause des pénuries, donc fait monter les prix, sans oublier des cas extrêmes de récession et de crise bancaire. Ces risques climatiques sont ponctuels et catastrophiques et on les traite mal, sans les relier à la dynamique longue du réchauffement. Ils sont plutôt lents et graduels, ce qui est pire puisqu’on ne les mesure pas bien, donc ne les prévient pas. Et pourtant, ils chamboulent la croissance, avec des drames puis des réparations, donc des effets inflationnistes qui affectent la politique monétaire. Des travaux économétriques montrent qu’un demi-point de croissance de l’économie américaine est en jeu à la fin de ce siècle : mais on peut penser que ce n’est ni assez, ni assez détaillé. Surtout, on ne mesure pas bien l’effet inflationniste de tout cela, le seul qui pourrait légitimer l’action de la BCE. Quand on saura, ce sera trop tard ! Des banques centrales commencent à réfléchir à des « tests climats » (zone euro, Royaume-Uni, Suède…), comme ceux auxquels elles exposent les banques, en les soumettant à des hausses de taux et à des récessions.
« Tests climats » sur les banques : un début, mais pas le bon. Mieux vaut permettre de polluer moins, en finançant moins cher ! Alerter les banques sur ces risques, donc les assurances, les entreprises et les marchés financiers d’accord, mais pas pour leur demander plus de capital, donc les taxer ! Mieux vaut leur monter qu’elles y ont intérêt, avec une baisse du taux d’intérêt ! Si la BCE intègre le réchauffement climatique comme inflationniste, elle achètera alors des « obligations vertes » (green bonds) et financera moins cher des programmes écologiques. Alors les entreprises s’y mettront, changeront leurs pratiques et émettront ces bons, dûment validés. Un marché nouveau, vert, se développera. Alors, le « principe pollueur-payeur » deviendra le principe « pollueur financé moins cher pour dépolluer» !
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