Et maintenant les églises pour cible du djihad : quand nos tentatives pour taire la christianophobie grandissante n’ont fait qu’attiser les tensions que l’on souhaitait éviter<!-- --> | Atlantico.fr
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Des bougies dans une église.
Des bougies dans une église.
©Reuters

Tendre l'autre joue ...

Le gouvernement a annoncé mercredi matin 22 avril avoir arrêté un jeune algérien qui projetait de faire un attentat contre plusieurs églises de la banlieue parisienne. Selon des chiffres du ministère de l'Intérieur, relayés par le Figaro, sur les 807 cas de profanations recensés en 2014, la très grande majorité d'entre-eux avait pour cible des symboles chrétiens. Et pourtant, on en parle peu.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Sur les 807 cas de profanations recensés l'an dernier (deux par jour), la grande majorité d'entre-eux avaient pour cible des monuments chrétiens (206 cimetières et 467 lieux de culte). Comment expliquer que ce phénomène si imposant soit si peu relayé ou évoqué, que ce soit dans les médias ou de la part des pouvoirs publics ?

Vincent Tournier : Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. On a ici un exemple malheureusement classique d’aveuglement idéologique. Le propre de l’idéologie, c’est de retenir ce qui arrange et d’écarter ce qui dérange. Aujourd’hui, la haine anti-chrétienne, voire anti-blanche, fait partie de cet aveuglement. Quelle est son importance ? On n’en sait rien parce que la question n’a même pas droit de cité. Le récent rapport de la CNCDH en fait une nouvelle démonstration : en France, on a de très beaux sondages sur le racisme et les Français sont scrutés sous tous les angles, mais l’idée d’aller étudier le racisme qui émane des autres groupes de la société est tout simplement inconcevable. Par exemple, on enquête beaucoup sur les discriminations de la population majoritaire, auxquels on consacre une grande partie du temps et des ressources de la recherche publique, mais nous n’avons aucune étude sur les préjugés qui émanent des minorités elles-mêmes, sur leur niveau d’intolérance ou de discrimination. Pourtant, quand on regarde des atteintes aux édifices religieux entre 2008 et 2012 (sépultures et lieux de culte), il y de quoi se poser des questions. Bien sûr, les atteintes contre les édifices chrétiens ne sont pas forcément motivées par des raisons politiques ou religieuses. Mais le problème est qu’on n’en sait rien. Et puis, pourquoi n’en irait-il pas de même pour les autres lieux de culte ? Qu’est-ce qui permet d’affirmer que seules les atteintes aux édifices chrétiens seraient comme miraculeusement dépourvues de toute motivation politique ou religieuse ? J’ajoute une question subsidiaire : pourquoi ces statistiques ne sont plus fournies par le ministère de l’Intérieur ? Cécité volontaire ?

De quelle nature est cet aveuglement ? Quelles en sont les racines ?

L’aveuglement se produit lorsque l’information que l’on reçoit ne coïncide pas avec les grilles de lecture auxquelles on souscrit. Les révélations sur le goulag ont été minimisées ou rejetées parce qu’elles étaient trop éloignées de la vision idyllique du communisme. Aujourd’hui, les attaques contre les chrétiens perturbent une certaine idéologie issue de l’anti-colonialisme et amplifiée par une interprétation pessimiste de l’histoire nationale. Dans ce contexte hypercritique, les minorités ne peuvent être vues que comme des victimes. L’idée que ces minorités puissent à leur tour se transformer en bourreau est tout simplement inconcevable. Les massacres de chrétiens ont beau se généraliser en Afrique et en Orient, l’information ne fait que rebondir ; elle interpelle beaucoup moins que les noyades de migrants en Méditerranée, même si le récent drame des chrétiens jetés à la mer par des musulmans vient perturber cette grille de lecture victimaire.

On peut ajouter deux autres facteurs pour expliquer l’aveuglement. Le premier est le déclin de l’identité chrétienne en France et en Europe, en lien avec les processus de sécularisation. Peu de chrétiens aujourd’hui mettent en avant la religion pour se définir, y compris chez les catholiques pratiquants. Du coup, les Européens ont du mal à comprendre les enjeux des conflits en cours car pour eux, la religion ne peut pas être une source déterminante de mobilisation.

Le second facteur tient à la faiblesse des moyens de mobilisation dont disposent les chrétiens. Les associations chrétiennes ont appris à être discrètes, et elles n’ont pas une culture de la revendication et de l’action militante, comme on l’a vu lors du mariage gay. Leurs liens organiques avec les pouvoirs publics sont également limités, d’autant que ces derniers sont surtout préoccupés par la situation des minorités. La situation actuelle est donc très différente de celle qui prévalait au XIXème siècle lorsque des massacres de chrétiens avaient enflammés l’Europe et conduit les puissances européennes à intervenir dans l’Empire ottoman au nom d’un quasi droit d’ingérence. Aujourd’hui, personne n’a intérêt à œuvrer dans ce sens.

Lorsqu'il s'agissait d'évoquer les exactions commises à l'égard des chrétiens d'Irak, d'aucuns ont tenu à préciser que les principales victimes du terrorisme demeuraient les musulmans eux-mêmes (voir ici). L'instauration d'une compétition entre les victimes pourrait-elle avoir, au contraire, l'effet d'accroître les tensions communautaires ?

J’avoue ne pas bien comprendre l’intérêt de l’argument selon lequel les musulmans sont les premières victimes de l’islamisme. En quoi permet-il de penser la situation actuelle, de lui donner du sens ? S’il s’agit de dire que les musulmans ne sont pas tous des terroristes, la belle affaire. Par contre, s’il s’agit de dire que l’islam n’a rien à voir avec ce qui se passe, alors on est dans le négationnisme. Car si le monde musulman était réellement et puissamment réfractaire à l’islamisme, cela crèverait les yeux et n’aurait pas besoin d’être clamé sur tous les toits. Le problème est que la réalité est très différente. Dire que les musulmans sont les premières victimes de l’islamisme, c’est un peu comme dire que les premières victimes des nazis ont été les Allemands, ce qui est parfaitement exact sur le plan factuel, mais quoi ? Fallait-il en conclure que la société allemande n’était pas en mesure de produire le nazisme ? Que penserait-on aujourd’hui de celui qui, dans les années 1930, aurait passé son temps à plaider en faveur de l’amitié franco-allemande en répétant que l’Allemagne a été une grande civilisation qui a apporté beaucoup de lumière au reste de l’humanité ? Les intellectuels d’aujourd’hui feraient bien d’y réfléchir.

Cela dit, la stratégie de minimisation de la part des pouvoirs publics a malgré tout une justification : court-circuiter la stratégie de l’Etat islamique. L’un des objectifs des islamistes est, en effet, d’exacerber les tensions en Europe afin de faire basculer les musulmans dans le djihadisme et provoquer le chaos sur le continent européen. Si l’on en croit les informations qui filtrent dans la presse, l’envoi de milliers de migrants par bateaux ferait d’ailleurs partie de cette stratégie de déstabilisation.

C’est donc probablement pour couper court à cette stratégie que le gouvernement propose de réprimer plus fortement les propos racistes : en somme, il s’agit d’éviter de donner prise à l’idée que les Européens seraient hostiles aux musulmans, d’empêcher tout dérapage pour ne pas donner d’alibi aux islamistes. Le problème est toutefois que cette volonté de  contrôler le débat risque de ne pas tenir très longtemps si de nouveaux attentats sont perpétrés. L’opinion publique ne comprendrait pas qu’on lui interdise par la force toute possibilité de discuter de la situation actuelle, surtout si des vies sont en jeu.

Manuel Valls a reconnu mercredi que "les catholiques de France étaient visés". Comment peut-on analyser la réponse des pouvoirs publics jusqu'à aujourd'hui sur cette question ?

Il faut insister sur la nouveauté de la situation. Cette tentative d’attentat est évidemment bien moins grave que les attaques de janvier, mais l’acte est plus lourd de menaces. Avec cette tentative, qui a probablement été avortée grâce à cette jeune femme, Aurélie Châtelain, qui l’a payé de sa vie, le problème change de nature. Désormais, la question identitaire se trouve au premier rang, qu’on le veuille ou non. La France a beau ne pas vouloir se définir par sa religion, c’est bien à ce titre qu’elle est désormais visée. On avait déjà commencé à le voir avec l’assassinat du Français Hervé Gourdel en Algérie, mais l’événement était lointain. Aujourd’hui, les choses deviennent plus explicites, comme le montre d’ailleurs la réaction du Premier ministre lorsqu’il déclare que "vouloir s'en prendre à une église, c'est s'en prendre à un symbole de la France. C'est l'essence même de la France qu'on a voulu viser, comme les synagogues, les mosquées, les cimetières". La première partie de la phrase, qui fait de la religion chrétienne l’essence de la France, est étonnante pour un responsable socialiste, mais elle montre que, par la force des choses, une logique identitaire se met en place. En revanche, la référence aux mosquées est surprenante car, que l’on sache, il n’existe aucun mouvement terroriste qui attaque aujourd’hui les mosquées et les musulmans. On voit donc que le discours officiel hésite encore entre la prise en compte de la réalité et le déni de celle-ci.

Certains signes incitent, pourtant, à penser que la situation est grave. Les pouvoirs publics ont mis trois jours à rendre publique cette tentative d’attaque, manifestement parce qu’ils craignaient que des complices soient encore dans la nature. De plus, on vient d’apprendre que six attentats ont été évités au cours des trois derniers mois, ce qui est énorme. Enfin, on n’a pas suffisamment mesuré la signification du projet de loi sur le renseignement. Le débat se polarise sur la question classique des libertés individuelles, mais l’enjeu est ailleurs. Si l’on part du principe que, dans un pays démocratique, les gouvernements réagissent de manière proportionnée à la menace, alors l’ampleur des mesures que s’apprêtent à prendre le gouvernement n’augure rien de bon.*

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