Travailleurs européens
Et le pays d’Europe où les salaires ont le moins décroché de l’inflation est…
Depuis la crise du Covid-19 et face à l'inflation, la croissance des salaires dans les pays européens a été modérée. Faut-il se réjouir de la situation française par rapport à nos voisins européens ?
Atlantico : Depuis la crise de la Covid-19, la croissance des salaires dans les pays européens a été modérée, même si nous constatons désormais une certaine reprise. En Italie, en Espagne ou en Allemagne par exemple, la croissance des salaires nominaux a été bien inférieure à l'inflation. Qu’en est-il de la France ?
Philippe Crevel : En France, les salaires augmentent moins par rapport aux autres pays, pour une raison simple : l’inflation y est plus faible. En Allemagne, les syndicats réclament une augmentation de 10%, mais la hausse des prix est seulement de 6% en France. Au-delà de ces revendications, plusieurs raisons expliquent pourquoi les salaires suivent peu l’inflation. Nous avons mené, dans les années 1980/90, une politique de désinflation compétitive avec les fins des indexations. Il y a donc peu de clauses d’indexation salariale en France, à l’exemption du SMIC. Dans d’autres pays, comme en Belgique ou en Italie, il peut y avoir des conventions avec des indexations. En France, les négociations collectives fixent les règles d’augmentation des salaires dans les grandes branches professionnelles ou les entreprises, mais cela n’est pas automatique.
Par ailleurs, en Italie ou en Espagne, le fort taux de chômage n’est pas propice à des augmentations de salaires, contrairement à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou à la République Tchèque. Enfin, une autre raison peut expliquer la situation française : la division du monde syndical. Les jeux syndicaux étant plus complexes qu’en Allemagne, cela peut ne pas favoriser les augmentations de salaires. En France, l’inflation est de 6% et les augmentations de salaires sont de 3% environ. Nous sommes donc en-dessous de la moyenne européenne, mais nous restons un bon élève en matière d’augmentation des coûts salariaux.
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Il faut savoir que la France a pris très rapidement des mesures de soutien du pouvoir d’achat. L’Allemagne a mis plus de temps à s’y mettre, même si elle a mis 200 milliards d’euros sur la table. L’Italie a de moins bonnes capacités pour financer les aides, et n’a donc pas pu imiter la France. Au Royaume-Uni, aucune mesure n'a été prise. Le France a donc frappé rapidement et assez fort. Elle a joué plutôt efficacement en la matière, même si l’endettement augmente.
Faut-il se réjouir de la situation française ?
Quand on fait ce genre de politique, la sortie est toujours compliquée. Quand le bouclier tarifaire va passer de 5 à 15% en janvier 2023, il pourrait y avoir des contestations. Le retour aux prix du marché est toujours compliqué. La France a d’ailleurs mis presque 40 ans pour sortir du blocage des prix de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, on l’a d’ailleurs payé cher en termes de compétitivité. Le pari du gouvernement est donc bon si l’inflation redescend rapidement en 2023. En revanche, si elle devait perdurer, il y aurait un coût élevé sur les finances publiques et d'autre part, nous serions en train de contenir l’ensemble des grilles de prix, ce qui est à mon sens assez pervers d’un point de vue économique. Nous avons donc pris un pari populiste. Nous ne sommes donc absolument pas dans une politique libérale, mais dans du keynésianisme complet, contracyclique. On joue les déficits et on soutient le pouvoir d’achat des ménages, ce qui est à l’opposé de la politique monétaire de la BCE, qui souhaite ralentir la consommation pour freiner l’inflation.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène pour l’économie et les ménages français ?
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Le pari du gouvernement est d’améliorer la compétitivité de l’économie française, ce qui pourrait à terme augmenter nos exportations. Pour le moment, on voit pourtant davantage la dégradation du commerce extérieur. Le gouvernement souhaite cependant améliorer la compétitivité des entreprises, à travers un financement administratif de l’inflation, et conduire une politique de modération salariale.
Les ménages subissent une perte limitée du pouvoir d’achat, si on prend en compte les prestations sociales revalorisées et les aides mises en place depuis le mois de mars. Pour l’instant, cette perte est de 1%. Le contribuable finance donc une part non négligeable des pertes de pouvoir d’achat
Ce phénomène est-il parti pour durer ?
Dans la loi de finance pour 2023, on remarque qu’il y a encore un bouclier tarifaire, il y a des aides pour les entreprises, la ristourne sur les carburants doit laisser sa place à des aides privées … Les mesures liées à la crise ukrainienne et l’inflation qu’elle génère sont nombreuses. Le gouvernement devrait donc continuer à soutenir le pouvoir d’achat via les finances publiques.
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