Eric Zemmour dans le chaudron des droites lors du « Grand Débat » orchestré par Valeurs actuelles<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Eric Zemmour lors du débat organisé par l'hebdomadaire Valeurs actuelles à Paris, en mars 2022.
Eric Zemmour lors du débat organisé par l'hebdomadaire Valeurs actuelles à Paris, en mars 2022.
©Alain JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Jules Torres publie « Zemmour, dans le secret de sa campagne » aux éditions Plon. Des grands meetings aux déjeuners confidentiels en passant par les loges des émissions télévisées ou l'état-major de la rue Jean-Goujon, Jules Torres nous entraîne dans le tourbillon de cette campagne qui n'a cessé d'alimenter l'élection. Ce livre dévoile l'homme derrière les caricatures. Extrait 2/2.

Jules Torres

Jules Torres

Jules Torres est journaliste à Valeurs actuelles. Il intervient régulièrement sur CNews et BFMTV. 

Voir la bio »

22 mars

Dans le chaudron des droites

« Le brief que m’ont fait les mecs de Valeurs actuelles, c’est de mettre les gens à l’aise, qu’il n’y ait pas de favoritisme, on n’est pas là pour orienter l’avis de nos lecteurs, l’important, c’est de passer un bon moment et qu’à la fin, tout le monde rentre à la maison en se disant “Au fond, Zemmour a raison”. » Gaspard Proust, grinçant, réussit son coup : il prend la salle et ses hôtes à contrepied. Dans le public, certains rigolent quand d’autres lancent les premiers « Zemmour président ». Pour la soirée, Valeurs actuelles réunit plusieurs acteurs du monde politique pour son « Grand Débat » au Dôme de Paris. Au menu, Marlène Schiappa, Marion Maréchal, Valérie Pécresse, Éric Ciotti, Jordan Bardella et Éric Zemmour, évidemment.

Vers 21 heures, Éric Zemmour arrive dans les loges, accompagné par de nombreux membres de son équipe. Un responsable de l’organisation le prévient qu’il rentrera par la droite de la scène, contrairement aux trois précédents invités. Valérie Pécresse ne veut pas le croiser. « Oh non, quel dommage, je suis déçu », ironise Éric Zemmour. L’ancien journaliste est souriant. Marion Maréchal, qui vient d’en finir, passe une tête dans sa loge avec son mari, Vincenzo Sofo, et sa mère, Yann Le Pen. Valérie Pécresse, de son côté, commence son grand oral. Dans la loge de Zemmour, le son de la télévision saute, puis revient après quelques secondes de coupure. « C’était peut-être mieux sans », raille un proche du candidat.

Il est 22 h 24. Éric Zemmour entre sur « Paint it black », le morceau phare des Rolling Stones, son groupe préféré. Le public l’ovationne. Le Dôme de Paris prend des airs de Villepinte. « Pourquoi la remigration devient-elle nécessaire maintenant ? », questionne Geoffroy Lejeune. Éric Zemmour répond du tac au tac : « La remigration, c’est le renvoi de personnes dont on ne veut plus. Quand on trahit le pays qui nous accueille, nous nourrit, nous loge, nous éduque, on ne mérite pas d’y rester. » Deux Femen interrompent l’explication du candidat en criant : « Valeurs réacs, riposte féministe », avant d’être exfiltrées. Zemmour ironise : « C’est un rituel. Ça nous aurait manqué si elles n’étaient pas venues. » L’entretien se poursuit en toute quiétude. « Avez-vous la foi ? », le questionne Geoffroy Lejeune. « J’ai l’impression de croire en Dieu de plus en plus. Mes parents me regardent, il ne faut pas que je les déçoive. » Évoquant sa vidéo postée pour la fête de Noël, l’essayiste rap‑ pelle les racines chrétiennes de la France, « fille aînée de l’Église » : « Je suis rentré dans le christianisme par la France. Cette religion a contribué à la fondation de notre nation. »

À Lire Aussi

Comment la guerre en Ukraine est venue rebattre les cartes de la campagne d’Eric Zemmour

En sortant, Éric Zemmour croise Éric Ciotti, qui vient de saluer tout ce qui porte un insigne. Durant quelques instants, il s’arrête pour discuter avec deux agents du service de la protection (SDLP) d’Éric Zemmour. « Ils m’ont sollicité comme toi, à ce que je vois », s’exclame Zemmour. Insistant, il lance en direction de Geoffroy Didier : « Il y a des amitiés de longue date qu’il faut honorer. » Présent à ses côtés, Guillaume Peltier lance à son collègue parlementaire : « Tu es à ta place, là. » Des sous-entendus qui créent un certain malaise. Interrogé par Tugdual Denis sur la proposition du candidat de Reconquête ! de créer un ministère de la Remigration, le questeur de l’Assemblée nationale répond sans détour : « La remigration, ça ne veut rien dire. » Face aux sifflets, Éric Ciotti ne varie pas : « J’entends vos réactions, mais vous ne m’empêcherez pas de dire ce que je pense. La remigration, ce sont des slogans, et les slogans n’apportent pas de solution ! » Après avoir été remercié par le directeur adjoint de la rédaction de VA, l’élu quitte la scène sous des applaudissements nourris.

En loge, le passage d’Éric Ciotti est le seul qu’Éric Zemmour suit attentivement. « Il parle comme nous, répète-t-il plusieurs fois devant son écran. Même les chiffres qu’il utilise viennent de chez nous. » À la fin de la séquence du député, la loge d’Éric Zemmour se remplit. Alors que Valérie Pécresse a quitté les lieux, deux de ses soutiens pénètrent dans l’antre de son concurrent. Le magistrat Charles Prats, orateur national de la candidate LR, vient saluer Éric Zemmour et Sarah Knafo. L’ancien journaliste lui demande : « Bon, quand est-ce que tu viens avec nous ? » Réponse de l’intéressé : « Il est trop tard pour moi. » Vingt minutes plus tard, une élue habituée de ces soirées débarque. « Alors, les voyous, quand est-ce que vous remigrez ? » Il rigole. Nadine Morano tape dans le mille. La députée européenne vient discuter avec son vieux copain. La conversation dure quelques instants. Il la questionne sur la proposition de Guillaume Larrivé, député LR, qui appelle d’ores et déjà à une « nouvelle majorité » avec Emmanuel Macron si Valérie Pécresse est battue. La réponse est foudroyante : « Larrivé a un gros problème : le syndrome du “si t’as pas été ministre avant 40 ans, t’as raté ta vie”. » Il en a 45. Puis l’ancienne ministre de Sarkozy se retire pour discuter quelques instants de manière informelle avec Geoffroy Lejeune. Éric Zemmour quitte les lieux en lâchant une dernière phrase : « Elle n’a pas dit qu’elle était contre la remigration… »

Quelques minutes plus tôt, Jordan Bardella est d’humeur taquine. Les yeux rivés sur son téléphone, il assiste, sourire aux lèvres, à l’entrée en scène du candidat de Reconquête ! « J’aurai au moins fait un meeting d’Éric Zemmour dans ma vie ! » Depuis sa loge, il peut entendre, çà et là, les « Zemmour président », les « Ben voyons » qui émanent de la foule. Pas de quoi le faire trembler. Il peaufine calmement ses notes griffonnées sur des petites feuilles. « Je vais leur parler de pouvoir d’achat, ça va les calmer », s’amuse le jeune président par intérim du Rassemblement national. Il s’apprête pourtant à discourir d’union des patriotes et à pénétrer dans une arène loin d’être aussi hostile à son égard qu’il semble le penser. Il faut dire que les militants du RN ne sont pas légion dans les travées du Dôme. « Ils préféreront toujours un barbecue à une soirée parisienne », raille Jordan Bardella. Les 4 000 spectateurs présents à cette « soirée parisienne » attendent sa prise de parole de pied ferme. Chez les partisans de Reconquête ! notamment, où il est perçu comme un acteur majeur de la future grande recomposition du « camp national » promise par Éric Zemmour au sortir des élections.

L’union des droites ? Jordan Bardella n’y croit pas. Ou plutôt, il s’en moque. Il sait pourtant qu’il en sera question quand son tour viendra de monter sur la scène. « Il faut bien qu’on explique pourquoi on ne croit pas à cette grande union. » Philippe Olivier et Marie-Caroline Le Pen accompagnent leur gendre. Le conseiller de la candidate du RN se moque encore plus de l’union des droites que son poulain : « C’est un concept complètement fumeux et dépassé. » Bardella acquiesce. Serein, il s’inquiète seulement de l’état d’épuisement mental de l’assemblée. « Vous pensez que la salle va se vider ? » se demande-t-il tout en renouant son nœud de cravate.

Malgré l’heure tardive et les deux heures et demie de débats écoulées, seule une petite partie du public a quitté le Dôme. « Je ne suis pas venu ce soir pour vous flatter », assure-t-il d’emblée quand on lui demande de décrire les liens qui pourraient unir la droite conservatrice et le Rassemblement national. Il convainc son auditoire par son honnêteté : « La grande recomposition, 2027… Je vous le dis franchement, je m’en fous complètement. Mon sujet, c’est qu’on puisse sauver la France dans trois semaines. » Jugeant le clivage historique entre la droite et la gauche « dépassé », Jordan Bardella tend la main aux électeurs d’Éric Zemmour en vue du second tour. Geste de rassemblement plus que d’union. « Sa stratégie nous cantonne à du témoignage, elle vous mène à faire 15 %, lâche-t-il sous quelques applaudissements. Ce que fait Éric Zemmour aujourd’hui, c’est ce qu’on faisait avec Jean-Marie Le Pen il y a trente ans. À force d’avoir été les champions des premiers tours, on a longtemps oublié qu’il y en avait un second. »

Quand il regagne sa loge, Jordan Bardella arbore une moue satisfaite : il sait qu’il a réussi son grand oral. Il a avancé encore un peu plus l’hypothèse d’un vote utile en faveur de sa candidate. Un phénomène électoral dont il a lui-même subi les fâcheuses conséquences par le passé : « Quand on se prend le vote utile, on ne peut rien y faire. Une fois qu’il est face à nous, on est morts. Je l’ai vu aux régionales. » Au Palais des Sports, il était bien décidé à laisser les défaites aux vestiaires. En quittant la scène, il pouvait mesurer les effets de sa prestation. Outre ses collègues qui ne tarissaient pas d’éloges, des sympathisants LR et de Reconquête ! – même des journalistes – se joignaient à cette chorale de louanges. Son incursion d’un soir dans cette marmite lui aura même inspiré une dernière saillie, résumant, à bien des égards, l’atmosphère qui se sera dégagée de l’événement : « Finalement, les seuls à avoir réussi l’union des droites, c’est Valeurs actuelles… »

Extrait du livre de Jules Torres,  « Zemmour, dans le secret de sa campagne », publié aux éditions Plon

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !