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L’ère de la subversion qui venait de l’intérieur : cette étrange fascination punk rock que produisent Nicolas Sarkozy ou Donald Trump sur les électeurs
©REUTERS/Ints Kalnins

Sex Pistols

Nicolas Sarkozy et Donald Trump sont dans une forme de transgression par rapport à la pensée unique du politiquement correct "gauchisant" qui règne depuis 30 ans. Celle-ci est aujourd'hui en perte de vitesse auprès de plusieurs segments de la population exaspérés par leur précarité et leur avenir, préoccupés également par les questions d'identité et du terrorisme. Comprenant cette évolution, les deux candidats veulent "frapper là où ça fait mal" pour toucher de potentiels électeurs.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Donald Trump aux Etats-Unis, Nicolas Sarkozy en France : si l'on ne peut pas comparer les deux hommes sur le terrain politique, ils partagent néanmoins une communication de la transgression. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, on peut notamment penser aux épisodes de "nos ancêtres les Gaulois", du "Ici, c'est la France, c'est pas le Gabon, si vous voulez parler du Gabon, retournez y !", ou encore des souhaits d'anniversaire à Cyril Hanouna. Le mensuel américain The Atlantic théorise une volonté de Donald Trump d'importer un climat "punk rock" au sein d'une campagne électorale, permettant d'agir sur l'émotionnel des électeurs, par opposition aux conventions de l'exercice. Dans quelle mesure peut-on appliquer cette analyse à Nicolas Sarkozy ? Que révèle le succès de ces campagnes auprès de l'électorat et de nos sociétés ? Peut-on parler de révélateur d'un malaise profond de la population vis-à-vis-du "monde actuel" ?

André Bercoff : Les campagnes électorales ont toujours eu une part d'émotion. Nicolas Sarkozy en 2007, avec son récit national, jouait déjà beaucoup sur l'émotion, et John Fitzgerald Kennedy en 1960 était aussi dans le registre émotionnel. Sans comparer - car évidemment il boxe dans une autre catégorie - qu'incarnait De Gaulle sinon le récit national porté à son sommet et à son incandescence ? Si ce n'était pas de l'émotion, un récit de gloire, qu'était-ce ?

Il me parait étrange que l'on redécouvre l'eau chaude à chaque campagne électorale alors qu'il est évident que ce sont moins les programmes qui importent que le charisme, l'impression, l'émotion que fait partager le candidat aux électeurs.

En ce qui concerne Trump, davantage qu'un côté "punk rock", c'est son utilisation des nouvelles technologies qui est remarquable. Il utilise la stratégie de Twiter, Facebook, Instagram, c’est-à-dire la communication directe dans une logique d' "ubérisation" de la politique et de désintermédiation.

Voir Nicolas Sarkozy souhaiter son anniversaire à Cyril Hanouna n'a rien de transgressif. Cela n'est rien d'autre que la spectacularisation de la vie politique française poussée à l'extrême. Que Nicolas Sarkozy éprouve le besoin de souhaiter son anniversaire à Cyril Hanouna et de le faire savoir et que François Hollande réponde très gravement à Rihanna sur Twitter prouvent très bien que nous ne sommes plus dans le spectacle de la politique mais dans la politique du spectacle.

Christophe de Voogd : Le parallèle est tentant : deux candidats "républicains" représentant l’un des deux grands partis de gouvernement, mais où l’un et l’autre sont des cas à part. Une stratégie rhétorique qui brise, avec délices, le politiquement correct qui règne dans la plupart des médias. Et qui sont tous les deux l’objet de leur hostilité. L’amalgame entre les deux commence même à prendre dans certains médias, sous le nom de "post-truth politics", la politique post-vérité, faite de "mensonges" et de "transgressions". Quitte d’ailleurs à ce que lesdits médias mentent eux-même, comme ils le font régulièrement sur les déclarations de Nicolas Sarkozy. J’ai lu le même mot des deux côtés de l’Atlantique à propos de leur style : "épicé", "spicy".

Mais le mot traduit aussi une certaine ambiguïté : les épices, cela relève le goût des plats fades ! C’est pourquoi la fascination le dispute à la détestation. Les médias aiment le conformisme intellectuel et moral, mais vivent aussi du spectacle. Quant à l’opinion publique, l’attraction de Trump et de Sarkozy traduit dans les deux cas, la même lassitude, voire la colère, face au déni et à la langue de bois trop souvent pratiqués, notamment sur le terrorisme islamiste. En fait, le style iconoclaste de ces tribuns remonte à Pim Fortuyn, le leader populiste néerlandais, qui est le premier à avoir brisé les tabous autour de l’an 2000. Et Fortuyn a fait son miel des attaques contre les élites "coupées du peuple", "égoïstes" et "irresponsables". Mais le risque est alors grand d’exciter les ressentiments, de renforcer les divisions et de négliger le programme au profit de la provocation. On ne gère pas un pays sur des rejets, des colères et des indignations.

Mais ne poussons pas la comparaison trop loin : Nicolas Sarkozy est très loin des excès de Trump qui tient davantage du Jean-Marie Le Pen de la grande époque, notamment par la pratique de l’insulte à tout va et de la blague plus que douteuse. Et Sarkozy a une grande expérience gouvernementale, pas Trump. Il est le président sortant de son parti, pas Trump. Le programme du premier est bien plus "raisonnable" et ne prévoit pas de construire de mur avec l’Italie, ni de stopper toute immigration, ni de supprimer l’avortement, ni même (désormais) le mariage gay.

Disons les choses plus abruptement : contrairement aux sornettes habituelles, Sarkozy ne menace pas la démocratie ; il l’a prouvé lors de son quinquennat (cf. la réforme constitutionnelle de 2008), bien plus positif pour les libertés publiques que le suivant (cf. la loi sur le Renseignement). Son problème est ailleurs : dans sa crédibilité entamée par le bilan, jamais vraiment tiré, de son quinquennat et ses fréquents changements de pied. Trump est lui clairement en rupture avec la tradition américaine, y compris républicaine, et peut constituer une menace pour la démocratie et pour l’Occident. Peut-être plus encore par l’incertitude inquiétante de sa politique ("attendez que je sois président !") et sa totale inexpérience que par ses déclarations incendiaires.  La violence du débat politique là-bas ramène d’ailleurs nos prétendues "guerres" de droite ou de gauche aux gentilles discordes de "nos ancêtres les Gaulois" dans la version Astérix.

De la même façon, comment expliquer le peu d'attention médiatique réservée aux programmes réels des candidats, lorsque ceux-ci ne sont pas "décorés" d'une petite phrase ? 

André Bercoff : Il est beaucoup plus facile de lire un tweet de 140 signes que de lire un livre de 140 ou 1 400 pages. Dans la mesure où les gens n'ont plus le temps de s'intéresser au fond des sujets et de prendre du recul, les candidats s'affrontent davantage sur le terrain des petites phrases que sur le contenu. Encore une fois, c'est une tendance qui existe depuis 30 à 40 ans mais dont l'explosion est liée à l'information – ou plutôt le bruit  en continu et aux réseaux sociaux.

Christophe de Voogd : Puisque vous êtes journaliste, je vous retournerai volontiers la question ! Notons que cela ne constitue pas une nouveauté. Toute dramaturgie bien construite nécessite l’affrontement des caractères, et, de préférence, un duel : d’où le désir actuel du combat Sarkozy/Juppé. Shakespeare lui-même a mis en scène le duel politique par excellence, rempli déjà de petites phrases, entre Brutus et Antoine dans son Jules César Depuis le règne de la télévision, la dimension du spectacle est évidemment omniprésente. Du "monopole du cœur" de Giscard au "Moi président" de Hollande, ce sont toujours les formules chocs que l’on retient. Or on ne fait pas de spectacle avec une argumentation de fond sur des programmes. Les questions des journalistes politiques portent d’ailleurs presque toujours sur les questions de personnes... Et les médias sociaux amplifient le phénomène : le format de Twitter par exemple, avec ses 140 signes, privilégie ipso facto la petite phrase au détriment de l’analyse.

Dans quelle mesure le créneau de la transgression est-il porteur pour Nicolas Sarkozy ? Ne s'agit-il pas finalement d'un "créneau" naturel, voire attendu, lui permettant de se démarquer d'une posture "raisonnable et apaisante" incarnée par Alain Juppé, ou par d'autres candidats ? 

André Bercoff : Quand Nicolas Sarkozy parle d'identité – un sujet dont il s'est déjà emparé dans le passé  il évoque une thématique chère à Marine Le Pen et à Jean-Marie Le Pen depuis quelques années déjà.

On peut parler d'une forme de transgression par rapport à la pensée unique du politiquement correcte "boboisant" qui a régné depuis 30 ans. Cette pensée séduit moins aujourd'hui car un certain nombre de populations françaises évoluent vers une exaspération quant à la précarité, leur avenir, leur identité, les problèmes de terrorisme. Nicolas Sarkozy accompagne cette exaspération grandissante et suit ces gens qui se recentrent sur leur identité quand d'autres à droite sentent autre chose et demeurent prudents. 

Donald Trump est beaucoup plus subversif car il transgresse aussi bien chez les Républicains que chez les Démocrates. Il suit les millions d'Américains de la classe moyenne qui ne savent plus où ils sont.  

Mais Donald Trump et Nicolas Sarkozy ne transgressent pas, ce sont simplement des politiques qui sentent une évolution et veulent "frapper là où ça fait mal" pour toucher leurs électeurs potentiels.

Christophe de Voogd : Puisqu’il y a duel, il est essentiel pour les protagonistes de se distinguer par leur style, leur caractère, leur "ethos" comme on dit en rhétorique. Le discours de l’un est déterminé par celui de l’autre : ils se repoussent comme deux pôles magnétiques. Et cela d’autant plus qu’il s’agit comme vous dites d’un "créneau naturel" pour l’un et pour l’autre. C’est la fameuse "absence de surmoi" de Sarkozy, et la pondération à la fois paysanne et technocrate de Juppé. Et chacun de jouer sur des registres différents, Juppé davantage sur la raison, le logos, Sarkozy sur les émotions, le pathos, et notamment sur l’indignation. Leur duel me fait penser à celui mis en scène par Thucydide dans la guerre du Péloponnèse entre le vieux sage (déjà !) Nicias, adepte de la prudence, et le jeune et fougueux Alcibiade, connu justement pour ses transgressions et jouant sur l’irrationnel : orgueil, prestige, fierté athénienne (eh oui !). Si j’en crois ce précédent, ce n’est pas forcément le plus raisonnable qui l’emporte…Mais tout dépend du contexte et de l’horizon d’attente de l’opinion.

Or, au-delà des grands mots, rien ne prouve que les Français soient vraiment désireux de rupture et encore moins d’aventure. Ils sont certes excédés mais nullement révolutionnaires ; je les crois même conservateurs, notamment du "modèle social français", corrigé de ses abus. Certes, un gros tiers de la population n’en peut plus : elle votera FN ou Mélenchon. Mais, pour une majorité, "il faut que tout change pour que rien ne change" comme disait Lampedusa. Et pour une raison bien simple, toujours occultée dans le débat public : le patrimoine privé des Français dépasse les 10 000 milliards d’euros. Voilà pourquoi ils ne sont pas prêts pour une révolution, fût-elle "nationale". Voilà aussi l’explication de l’avance d’Alain Juppé dans les sondages qui correspond à cet état d’esprit conservateur, aussi fort à droite qu’à gauche, où il est d’ailleurs comme on le sait, très populaire. C’est bien la raison aussi pour laquelle François Fillon, avec son "discours de vérité" et ses propositions pertinentes mais radicales, ne décolle pas dans les sondages. Bruno le Maire, en revanche, a, lui, très tôt compris qu’il ne fallait pas "imposer de purge" aux Français et insiste sur le gradualisme de ses propositions économiques et sociales, tout en mettant "le paquet" sur l’école, enjeu fondamental de l’élection.

Au regard des différences de culture politique entre la France et les Etats-Unis, quelles pourraient être, pour Nicolas Sarkozy, les limites de ce "show" politique ? Quelles seront les limites de l'exercice, notamment lorsque l'anicen président sera confronté à une nécessité de rassembler ? 

André Bercoff : Il n'y a aucune différence de ce point de vue entre la France et les Etats-Unis si ce n'est qu'aux Etats-Unis, ils vont au bout du spectacle, se traitent de tous les noms, alors qu’en France les échanges sont moins violents. Mais sur le fond, c'est la même chose.  

Nicolas Sarkozy s'occupe aujourd'hui du premier tour des primaires, à chaque jour suffit sa peine. S'il gagne, il sera toujours temps pour lui de rassembler après.

Christophe de Voogd : Au fond, les Français attendent trois choses de leur prochain président : l’autorité, l’énergie et la protection face aux défis terribles du monde actuel. Ce sera l’équation présidentielle de 2017. Ce fut l’équation gaullienne par excellence en 1958. Sarkozy et Juppé ont tous deux l’autorité. Le premier a aussi l’énergie, mais il inquiète ; le second rassure, mais a-t-il l’énergie ? Et tous deux manquent encore d’une vision globale, davantage présente chez leurs concurrents : "le renouveau" chez Le Maire et "la liberté" chez Fillon.

C’est pourquoi je ne suis pas encore sûr à ce stade que le duel Sarkozy/Juppé écrasera la primaire et les autres candidats. Tout dépendra du premier débat télévisé, où chacun prendra enfin ses marques. Vous pouvez compter sur Nicolas Sarkozy pour jouer à fond de son expérience et de son statut présidentiel face aux autres, car c’est son "exclusivité" à droite.

Mais s’il veut rassembler, cela ne suffira pas, car justement sa présidence est sujette à critiques et pèse sur sa crédibilité. Il lui faudra aller bien au-delà : ne pas seulement développer le registre de la colère et de l’anxiété, ni même de l’identité défensive ; mais trouver un mot d’ordre positif qui lui avait déjà fait défaut en 2012. Car, même anxieux, surtout anxieux, un peuple veut toujours un message d’espoir. C’est par la promesse de la victoire militaire qu’Alcibiade l’avait emporté sur Nicias… 

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